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LE RÉGIME DE TRAVAIL IMMIGRANT EN AGENCE DE PLACEMENT TEMPORAIRE

2. LA DÉQUALIFICATION PROFESSIONNELLE 1 L’immigration au Canada ou la régression professionnelle

2.7. Une entrave à la reprise d’étude : le niveau de français de candidats francophones

En outre, rappelons que la langue maternelle des immigrants et des immigrantes, autre que le français ou l’anglais est un des facteurs explicatifs de leur déqualification professionnelle et de leurs difficultés d’accès aux emplois qualifiés, de nombreux employeurs pratiquant une discrimination à l’embauche avec cette catégorie de candidats (Galarneau et Morissette 2008, Chicha 2012). D’ailleurs, on note nombre d’exemples de personnes immigrantes recalées à un

emploi pour un niveau considéré insuffisant en français117. Si ce phénomène est difficilement observable à travers les entretiens menés avec les participants, on constate néanmoins un problème lié au niveau de langue exigé par certaines institutions qui offrent des services de formation. Alors qu’ils sont résidents permanents et que leur niveau linguistique en français ou en anglais a constitué un critère du processus de sélection pour l’octroi de leur résidence, on leur demande de faire à nouveau la preuve de leurs compétences linguistiques pour être acceptés à des formations professionnelles dispensées par les centres de formation.

Samuel qui avait décidé de s’engager dans la formation nécessaire à l’obtention du DEP d’infirmier auxiliaire, s’est vu ainsi exiger de fournir des preuves d’un niveau de français équivalent au secondaire V. Au début Samuel ne comprend pas qu’il soit appelé pour un test de français. « À mon niveau, on parle quand même du secondaire, moi j’ai un niveau supérieur, donc je ne pensais pas que je ferais partie du test ».

Mais plusieurs semaines plus tard, on lui apprend qu’il doit faire un test de français, après lecture de son dossier, dont Samuel précise qu’il y manquait son Évaluation comparative des études effectuées hors du Québec, qui était encore en cours de traitement six mois après en avoir fait la demande au MIDI et qui aurait pourtant suffi pour prouver son niveau de français.

« Vers mi-septembre, on m’appelle. Pour me dire, “oui, [la personne] a vu tout, mon dossier, mais malheureusement elle ne peut pas prendre le risque de [vous] convoquer à une entrevue, parce qu’elle ne connaît pas [votre] niveau de français”. J’ai dit : “Vous voyez, je suis en plus résident permanent. Si vous connaissez la procédure de résident permanent, ce n’est pas celui qui a le niveau secondaire III ou IV ou V qui vient ici. On ne veut pas les gens qui ont … (rire) On veut des gens qui ont un niveau à partir de la licence là, tu les intéresses. À moins que ça, tu ne peux pas les intéresser”. Elle me dit : “Non, c’est le règlement, ceci, cela…”, et qu’elle n’y peut rien. Que j’aille faire le test en français niveau secondaire V dans une école pour adultes. Quand je l’aurai fini, là je l’appelle pour qu’elle me convoque à une entrevue. »

117 Dans un article paru dans Le Devoir, Mehrdad Ishanain un immigrant iranien raconte avoir été écarté d’un emploi qualifié, pour avoir échoué à un ultime test linguistique sur les synonymes dans la langue française! Cf. : Récit d’une déception. Le Québec donne-t-il aux immigrants la chance de contribuer à la protection du français?, http://www.ledevoir.com/politique/quebec/475720/le-francais-et-l-immigration-recit-d-une-deception, consulté le 18 juillet 2016.

S’engagent alors des démarches auprès d’un centre de formation pour adultes. Les deux prochaines sessions étant complètes, Samuel est finalement accepté cinq mois plus tard pour faire un premier test de classement dans le but d’évaluer son niveau et dont il doit payer le coût de 50$. Alors qu’il est classé au niveau V, les trois épreuves nécessaires à l’obtention de l’examen, s’étalent sur les six prochains mois, période au terme de laquelle il obtient très facilement son examen final.

Mais durant cette période, Samuel se rend très vite compte qu’il est en train de perdre une année pour rien. Premièrement, un mois après s’être engagé dans le cursus d’examens de langue, il reçoit enfin son Évaluation comparative des études effectuées hors du Québec, des services du MIDI qui auront tardé un an pour traiter sa demande. On remarque que si ce document officiel avait été envoyé dans un délai de deux mois approximativement, tel qu’indiqué sur le site du MIDI118 comme un « délai moyen de traitement des dossiers complets », Samuel aurait pu entamer son DEP d’infirmier auxiliaire, un an plus tôt119. Mais ayant déjà payé son inscription dans le cursus linguistique, Samuel souhaite aller jusqu’à son terme. « Et quand je paie, un mois après, mes équivalences sortent! Alors le français, j’avais commencé, il fallait que je le termine », explique-t-il. De plus, alors que Samuel était en cours de formation linguistique, il apprend par le centre de formation professionnelle qu’il aurait pu passer un autre test d’enseignement secondaire, plus rapide à obtenir et qui aurait été suffisant à la reconnaissance de son niveau de français et lui aurait épargné de long mois d’attente.

L’enjeu est de taille pour Samuel, car les délais qui lui sont imposés pour faire une formation de son choix, l’obligent à chercher du travail pour subvenir aux besoins de sa famille. « C’est seulement là que j’ai décidé donc d’aller chercher du travail », dit-il. Avant cela, Samuel comptait sur les prêts et bourses le temps de sa formation professionnelle, espérant trouver un emploi d’infirmier auxiliaire aussitôt après. Mais, comme pour nombre d’immigrants déqualifiés, c’est le travail en agence qui attend Samuel.

118Site du MIDI : http://www.immigration-quebec.gouv.qc.ca/fr/travailler-quebec/evaluation-comparative/delais- traitement.html, consulté le 2 août 2016.

119 Cette considération est conditionnelle au fait d’avoir pu fournir ce que le MIDI considère comme un dossier complet, information que nous n’avons pas pu vérifier.

On pourrait penser que cette situation résulte d’un malheureux concours de circonstances qui auraient abouti à retarder d’un an son entrée en formation et générer temporairement une situation de précarité en emploi pour Samuel. Mais, force est de constater que ces circonstances ne sont pas le fruit de volontés individuelles, mais qu’elles sont produites par des pratiques institutionnelles, au nombre desquelles on retrouve à nouveau les règles des politiques d’immigration, la délivrance de l’Évaluation comparative des études… – qui aurait pu remplir son objectif, pour une fois, selon les témoignages des participants –, les règles d’un centre de formation professionnelle et un centre de formation pour adulte. Alors que pour Samuel, la reprise d’une formation professionnelle correspond à une stratégie pragmatique d’insertion rapide au marché du travail et qu’elle implique en soi, une normalisation de sa déqualification en emploi (cf : section 2.6.2), la raison invoquée pour l’empêcher d’y accéder, ressemble à un second niveau encore plus avancé de déqualification.

En effet, lorsqu’on suspecte Samuel de ne pas maitriser suffisamment bien le français, alors qu’il a fait des études supérieures en français, on lui retire arbitrairement le droit d’accéder à un certain niveau social d’activité et on le soustrait à l’espace de pouvoir social et politique auquel la maitrise du discours permet d’accéder, dans un processus avilissant de mise à nu et de réduction de ses qualités à sa seule force physique de travail. Sa force corporelle est d’ailleurs la dernière chose qu’il réussira à vendre sur le marché du travail, auprès des agences de placement. En effaçant une partie de ses qualités, depuis ses qualifications professionnelles, à la maitrise de la langue, c’est son identité sociale qui est tronquée et reformulée au rabais, à travers un processus dynamique de reconnaissance – à travers les processus d’immigration –, de non-reconnaissance – par le marché du travail et les institutions de formation professionnelle –, aboutissant à un processus arbitraire d’avilissement symbolique, identitaire et social. En d’autres termes, l’exemple de Samuel nous montre ainsi en acte, la construction des conditions d’accès à l’emploi pour un immigrant permanent qualifié, à travers le continuum jalonné d’une qualification d’immigration, d’une déqualification professionnelle et d’une disqualification identitaire et sociale.

Pourtant, Samuel adhère au discours social dominant qui établit un lien de mérite entre le fait d’obtenir des diplômes et celui d’accéder à un emploi valorisé. « Si nous autres, nous

sommes allés à l’école, c’est pour avoir une place dans cette société-là, qui devrait te revenir de droit », rappelle-t-il. C’est sans compter avec le sort institutionnel réservé aux personnes non-natives du Canada, produisant une double et injuste régulation sociale, selon la provenance des passeports. Enfin, à son enseignante de français qui lui avouait ne pas comprendre sa présence dans un cours de niveau secondaire en lui affirmant qu’il pourrait lui- même enseigner à sa place, Samuel préférait ne pas trop réfléchir à cette situation : « Non, il faut s’adapter à tout. On va tout trouver si on commence déjà à réfléchir comme ça, on peut entrer dans le stress et… le stress ici ce n’est pas bien », conclut-il.

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