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Le processus de qualification ou la qualification comme outil de l’organisation du travail et de stratification sociale

IMMIGRANTS EN AGENCE ET DES TET

9.1. Le processus de qualification ou la qualification comme outil de l’organisation du travail et de stratification sociale

Au sens commun, la qualification réfère à l’ensemble de ce qui constitue le niveau de capacité et de formation d’une personne acquis à travers des études – validées par un diplôme ou un certificat – et l’expérience de travail, le cas échéant. En ce sens, on peut parler des qualifications d’une personne pour référer à ses compétences. Dans un second sens, la qualification renvoie au processus d’obtention du grade que cette personne pourra négocier sur le marché du travail et qui implique un cheminement d’acquisition des capacités nécessaires. Elle est ici synonyme de formation et d’obtention d’un diplôme. Le troisième sens qui nous intéresse est l’autre versant de ce processus qui correspond au fait de constituer une preuve de la compétence de quelqu’un pour occuper une fonction donnée au travail. En ce sens, la qualification entendue comme habilitation de la personne à occuper une fonction permet

d’inscrire et d’organiser ses compétences dans un système de classification des emplois sur le marché du travail, comme l’analyse Wittorski (1998). Dans le même sens, Zarifian explique que la qualification revient à une question générique « qui se pose dans tout rapport salarial [à savoir] : comment désigner, nommer, hiérarchiser, mobiliser, reconnaître, rémunérer développer les qualités humaines sollicitées dans la mise en œuvre du travail salarié ? » (Zarifian 2006, texte en ligne non paginé). Or, l’auteur analyse que parmi les modèles qui ont été construits socialement pour répondre à cette question – modèles du métier, de la profession, du poste de travail ou de la fonction publique –, celui du poste de travail correspondant à l’organisation tayloriste du travail, est encore dominant dans la manière de définir les qualifications des travailleurs selon des tâches précises à effectuer pour occuper ces postes. Dans ce modèle dominant, on réduit les qualités humaines à celles « requises pour réaliser des tâches prescrites à chaque type de poste de travail » (id.). Et l’auteur d’expliquer :

« Ce modèle a acquis et possède toujours une influence considérable : c’est autour de lui que s’articulent tous les processus [de gestion des ressources humaines] et organisationnels essentiels : le recrutement (on recrute pour occuper tel poste), l’organisation du travail, le classement des salariés et leur rémunération, la formation, la mobilité professionnelle, etc. » (Zarifian 2006, texte en ligne non paginé).

À cette liste non exhaustive reprenant les processus de gestion de la main-d’œuvre et organisationnels du travail qui sont articulés autour du modèle taylorien de qualification, pourraient s’ajouter également les rapports de travail, la valorisation des personnes et leur identification au travail, mais aussi la stratification sociale dans et à l’extérieur des milieux de travail et donc les rapports sociaux de domination. Car, si l’on considère le rôle d’intégrateur social joué théoriquement par le travail dans les sociétés capitalistes libérales, ce modèle de qualification articule aussi la place accordée aux individus dans la société et ultimement leur exercice de la citoyenneté. S’il est entendu que les modèles de qualification répondent aux besoins existant sur les marchés du travail, force est de constater qu’ils structurent en retour la gestion des individus inscrits dans des collectifs de travail et plus largement dans une société, en légitimant leur organisation et leur stratification. La notion de qualification est donc intrinsèquement liée à la question du statut et des conditions sociales du travail. Zarifian le dit en ces termes :

[La qualification permet d’établir] « …une hiérarchie sociale des groupes d’individus et donc un principe de hiérarchie des rangs et des salaires dans un univers professionnel donné. Elle sert de référent pour permettre de gérer la mobilité [professionnelle des personnes, et] … fournit les éléments d’un certain ordre social et d’une régulation des relations sociales sur des bases les plus durables possible ». (Zarifian 1999 : texte en ligne non paginé)

Si l’auteur prétend proposer un autre modèle sociétal de reconnaissance des qualités humaines, basé sur la « logique compétences » – à savoir, dégagé des seules caractéristiques des emplois à pourvoir, donc, des exigences du marché du travail et articulées autour des qualités professionnelles des personnes –, retenons ici que le modèle de qualification en vigueur fonctionne selon la vraisemblance que les qualités professionnelles sont reconnues sur le marché de l’emploi. C’est le contrat social implicite au salariat, relayé dans le discours social dominant et qui définit la qualification des personnes comme la garantie d’un emploi valorisé et d’une possible ascension socioéconomique. Partant, on considère ce processus de reconnaissance de la qualification par les employeurs (ou par l’État, comme nous le verrons ci-après), comme étant l’ultime étape du processus de qualification. Autrement dit, une fois les diplômes obtenus et l’expérience professionnelle acquise (ou non), il est nécessaire d’être qualifié apte à, c’est à dire, d’être reconnu capable de, remplir une fonction, pour obtenir un emploi. Sans une reconnaissance effective des qualités des personnes sur le marché du travail, le système de classification des emplois perdrait tout son sens.

Ainsi, entendue au sens de processus de reconnaissance des qualités d’un travailleur, considérées suffisantes pour remplir une tâche et pour accéder au marché du travail, la qualification est une étape obligée pour les employeurs et les politiques publiques canadiennes d’immigration qui cherchent à combler des besoins spécifiques en main-d’œuvre. Cela est d’ailleurs valable pour tous les niveaux d’emploi, des plus aux moins qualifiés. Dès lors, comment les politiques publiques organisent-elles la sélection des immigrants et des migrants selon leurs niveaux de qualification ? L’usage des critères liés à la qualification des personnes sert-il à légitimer l’existence de statuts d’immigration différents qui impliquent un accès différencié aux droits ? Que révèlent les dernières réformes des politiques canadiennes d’immigration sur l’articulation des niveaux de qualification et des conditions salariales offertes sur le marché du travail ? À travers ces questions, on souhaite comprendre comment

l’usage de la notion de qualification des immigrants sert à structurer les marchés de l’emploi et produit une stratification sociale articulée selon un accès aux droits rendu relatif.

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