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2.3 et son effritement

Encadré 2.2. : Bref aperçu de la littérature sur les TET

6.2. Les impacts des PTET sur le marché du travail canadien et les pays pourvoyeur de main-d’œuvre

Dépassant largement les chiffres de l’immigration permanente depuis 200765 et touchant un nombre grandissant de secteurs de travail incluant de nombreux emplois spécialisés, les programmes de travailleuses et travailleurs étrangers temporaires (PTET) semblent être devenus un axe central des politiques fédérales et provinciales d’emploi et de recrutement de main-d’œuvre. Mais l’existence même de ce type de statut qui conditionne la situation d’immigration à l’obtention d’un contrat de travail dans une entreprise révèle des choix économiques et migratoires problématiques et implique des conséquences préoccupantes pour les travailleurs étrangers eux-mêmes ainsi que pour l’ensemble de la main- d’œuvre canadienne.

Dans le contexte d’une économie libérale mondialisée et fortement concurrentielle, la restructuration et la délocalisation de l’industrie manufacturière et du secteur des services se sont accélérées ces vingt dernières années vers des pays66 dont les standards de travail sont moins exigeants et donc plus attrayants pour les entreprises (Cheung et Rossiter 2008). Ce phénomène particulièrement intense au Canada a ainsi généré des pertes d’emplois dans les secteurs concernés et a exercé une pression à la baisse sur les conditions salariales des Canadiens (Khaterchi 2009). Dans ce contexte, on peut comprendre le recours systématisé aux TET dans certains secteurs, comme la continuité du recours à une main-d'œuvre bon marché appliqué à des secteurs difficiles voir impossibles à délocaliser, tels que les services aux

65 Selon les chiffres présentés par CIC, à partir de 2007, le nombre de résidents permanents, toutes catégories confondues, subit une baisse de 4% par rapport à 2006 pour atteindre 251.642, http://www.cic.gc.ca/francais/ressources/statistiques/faits2009/permanents/01.asp … tandis que les travailleurs étrangers temporaires en hausse de 17,5% par rapport à 2006 atteignent 300.399, http://www.cic.gc.ca/francais/ressources/statistiques/faits2009/temporaires/01.asp consulté le...

66 Il est intéressant de constater que ces pays ne correspondent pas seulement aux économies émergentes, puisqu’après la Grande récession de 2008, nombre de pays industrialisés dont les États-Unis ont mis en place des mesures d’attraction des entreprises en proposant des avantages fiscaux et des coûts salariaux de plus en plus

« compétitifs » afin de relancer l’emploi (Cf : Fournier Audrey, 2012, « Comment la relocalisation des entreprises fait son chemin aux Etats-Unis », dans Le Monde, 7 décembre 2012). À titre d’exemple, une usine de Novelis a ainsi été délocalisée dans l’État de New-York à l’été 2012, laissant 160 travailleurs canadiens non syndiqués au chômage.

personnes, la restauration, l’agriculture, la santé, la banque ou la maintenance technique, par exemple. En d’autres termes, à défaut de pouvoir transférer l’activité à l’étranger, ce sont les travailleurs que l’on fait venir pour accomplir le travail à des conditions avantageuses pour l’entreprise.

Cette stratégie globale de baisse des coûts de production et donc des coûts du travail se répercute immanquablement sur les standards de travail d’une main-d’œuvre canadienne de plus en plus incitée, voire contrainte d’accepter des emplois atypiques et précaires67, en la mettant en concurrence avec « une sous-classe de travailleurs étrangers »68. En fond, les politiques sociales et d’emploi, consistant dans l’activation des personnes, vont dans le sens d’une incitation, voire d’une obligation à travailler, faite aux Canadiens sans emploi. À titre d’exemple, la dernière réforme de l’assurance-emploi en vigueur depuis janvier 2012 est très significative de la restriction de l’accès à la protection des chômeurs canadiens et de l’injonction explicite qui leur est faite d’accepter du travail à tout prix, c’est-à-dire, quelle qu’en soit la qualité. Pour justifier son projet de réforme, la ministre des Ressources humaines et du Développement des compétences, Diane Finley, déclarait ainsi à la chaine CPAC : « [Nous voulons] nous assurer que les McDonald’s de ce monde ne soient pas obligés de faire venir des travailleurs étrangers temporaires pour faire un travail que des Canadiens sur l’assurance-chômage peuvent faire »69. Ce discours qui incite explicitement les Canadiens à occuper les emplois quels qu’ils soient, a plusieurs implications. Premièrement, il cautionne la nature pourtant notoirement précaire des emplois du type « Mc jobs », dont les conditions d’emploi (à temps partiel, à bas salaire, non syndiqué, pas de prestations sociales) ne sont pas remises en cause. De plus, il stigmatise les chômeurs qui refuseraient ces emplois sous- qualifiés et sous-payés en expliquant qu’ils sont responsables du recours à des travailleurs

67 Nous avons vu précédemment que cette contrainte est tout autant exercée par la restriction et le conditionnement de l’accès aux politiques de protection sociale, dont les logiques correspondent à une incitation au travail des bénéficiaires.

68 « Le Canada a créé une sous-classe de travailleurs étrangers », titrait Le Devoir à l’automne 2012 (Montpetit, 06 octobre 2012).

69 Cité dans un article de Carole Yerochewski et al. : Réformes de l’assurance-emploi et de l’aide sociale - Des

machines à produire pauvreté et sous-citoyenneté, 18 avril 2013, Le Devoir. http://www.ledevoir.com/politique/canada/375937/des-machines-a-produire-pauvrete-et-sous-citoyennete

étrangers temporaires que les entreprises sont dites « obligées » de faire venir par manque de main-d’œuvre locale. Enfin, sur un ton explicitement patriotique, il laisse croire subtilement que les travailleurs canadiens sont priorisés pour occuper les emplois existants contre une main-d'œuvre étrangère dont le gouvernement fédéral organise l’arrivée massive par ailleurs. Or, cette mise en concurrence implicite de certaines catégories de travailleurs canadiens avec les TET ne s’adresse pas uniquement aux chômeurs, mais à l’ensemble de la main-d’œuvre que l’on contraint d’accepter la flexibilisation et la précarisation du travail.

En outre, il semble radicalement contradictoire de soutenir la nécessité de combler des pénuries dites temporaires de main-d'œuvre, par l’embauche sans cesse renouvelée et permanente de travailleurs étrangers temporaires. Si le recours constant à du personnel temporaire est nécessaire depuis plusieurs décennies dans certains secteurs d’activité au Canada, cela signifie mécaniquement que les besoins en main-d’œuvre sont durables. Tandis que CIC reconnaissait que « l’immigration deviendra une source de plus en plus importante de croissance de la population et de la population active »70, la préférence donnée à l’immigration temporaire plutôt qu’à l’immigration permanente est un choix qui semble confirmer une réorientation majeure des politiques canadiennes d’immigration, opérée depuis le début des années 2000. Ces politiques semblent ainsi servir un objectif principal : fournir aux entreprises canadiennes une force de travail flexible, rendue docile par la nature précaire du statut juridique qui lui est accordé et souvent démunie de capacités de défense individuelle et collective.

Dans ce contexte, ce sont les employeurs qui selon leurs besoins, décident de l’entrée au Canada d’une majorité d’immigrants, révélant ainsi une forme de « privatisation de l’immigration », comme l’analysent Boti et Guy dans leur film documentaire The End of Immigration (2012) portant sur les PTET canadiens. À travers ces politiques d’immigration, les gouvernements canadiens qui se sont succédé depuis le début des années 2000, moment de la création du PTET-peu-spécialisé (2002), indiquent une priorité donnée à l’exploitation de la

70 CIC, 11 octobre 2011, Rapport sommaire : Programme des travailleurs étrangers temporaires – Consultations auprès des intervenants, http://www.cic.gc.ca/francais/ministere/consultations/tet-consultations- intervenants/index.asp

force de travail de personnes contraintes de rentrer dans leurs pays une fois leurs contrats terminés, plutôt qu’à intégrer des citoyens, susceptibles de participer à la vie économique, sociale, politique et culturelle du pays.

Par conséquent, le Canada accapare de façon continue des travailleuses et travailleurs compétents, expérimentés, parfois diplômés et jeunes, donc particulièrement productifs, privant les pays pourvoyeurs de main-d’œuvre, des qualités essentielles à leur développement socioéconomique. Ainsi, pour le Programme des travailleurs étrangers temporaires spécialisés, les postes à pourvoir doivent exiger une formation scolaire ou une formation régulière telle qu’un diplôme d’études universitaires, un diplôme d’études collégiales, une formation professionnelle ou une formation d’apprenti, correspondant à des professions exigeant des niveaux A ou B de formation, selon la Classification nationale des professions. Or, pour le Programme des travailleurs étrangers temporaires dits peu spécialisés ou peu qualifiés, bien que les niveaux de qualification exigés ne dépassent pas les niveaux C et D de la CNP, nos observations de terrain menées au CTI montrent qu’il n’est pas rare de voir des travailleurs avec des niveaux élevés de qualification dans des professions peu qualifiées. À titre d’exemple, avec son niveau d’ingénieur en électronique, Samir, un travailleur tunisien rencontré au CTI et qui fait partie des répondants à cette recherche, est arrivé au Canada pour travailler dans une chaine de restauration rapide, sous le PTET-PS.

De plus, selon les programmes de migration temporaire, le pays hôte n’offre aux travailleuses et travailleurs que peu ou pas de perspectives autres que celle de retourner au pays lorsque le contrat arrive à son terme ou prend fin de manière anticipée. C’est aussi le cas lorsque les perspectives de renouvellement du contrat de travail ne sont plus possibles, dès lors que la limite des quatre ans renouvelables est atteinte.

En conclusion, nous voyons que le statut de travail et d’immigration, prévu par les Programmes de travailleur étranger temporaire, révèle de nombreux points problématiques quant à leurs impacts sur les travailleurs eux-mêmes et leurs conséquences sur les standards canadiens du travail. Émanant vraisemblablement d’une volonté politique de faciliter l’accès aux employeurs à une main-d’œuvre flexible et bon marché, les TET connaissent une véritable vulnérabilité en matière d’accès à leurs droits élémentaires. Alors que les besoins en main-

d’œuvre sont dits temporaires, les pratiques de recrutement des employeurs et les chiffres en perpétuelle augmentation du nombre des TET au Canada nous indiquent le contraire. Pour autant, le gouvernement canadien continue de refuser à ces travailleurs étrangers l’accès à la résidence permanente, les excluant de la participation citoyenne, sociale et culturelle, tout en ayant durablement recours à leur force de travail.

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