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2.3 et son effritement

4. LES IMMIGRANTS (PERMANENTS) PARMI LES CATÉGORIES LES PLUS AFFECTÉES PAR LA

PAUVRETÉ EN EMPLOI

Au regard des éléments exposés dans les sections précédentes, on se rend compte que la pauvreté en emploi est un phénomène multidimensionnel qui ne renvoie pas seulement aux

bas salaires ou à la situation familiale impliquant les charges et responsabilités ou les formes de solidarité intrafamiliales. En effet, les travailleuses et travailleurs pauvres sont soumis à des arrangements institutionnels complexes reliant les dynamiques du marché du travail et les politiques publiques en matière de protection sociale et de transferts sociaux, de fiscalité, de travail et d’emploi et aussi d’immigration comme nous le verrons par la suite. Or, dans le contexte d’un marché du travail de plus en plus concurrentiel et dual, opposant les emplois stables, valorisés et demandant un haut niveau de qualification, aux emplois précaires et peu qualifiés en recrudescence, les individus ne bénéficient pas tous des mêmes ressources pour faire face aux risques de la pauvreté en emploi (Perret 1995 ; Lesemann et al. 2006 ; Ulysse 2006).

« Il ne faut pas s’étonner … que la dégradation du marché du travail, les emplois à bas salaire et la précarité se répercutent sur certaines catégories de population, qui se retrouvent désavantagées et placées en position de faiblesse par les actions conjuguées des institutions et de l’État, les stratégies des entreprises et la reproduction de rapports sociaux de domination entre femmes et hommes notamment, entre groupes « racialisés » et groupes d’âges aussi. Comme le soulignent juristes, organismes communautaires et divers comités consultatifs – dont celui sur la lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale –, c’est leur « localisation sociale », la situation dans laquelle se retrouvent ces diverses populations de femmes, d’immigrants, de minorités « visibles » ou « racialisées », d’Autochtones, de jeunes ou de vieux, qui est en cause, et non leurs caractéristiques individuelles (Commission du droit de l’Ontario, 2012) ». (Yerochewski 2014 :100)

Au Canada, les catégories de personnes ayant le plus de probabilité de devenir travailleurs pauvres et précaires sont donc les femmes en général, les femmes monoparentales en particulier, les immigrants, les personnes « racialisées », les autochtones, les personnes à faible niveau de qualification et les jeunes décrocheurs (Heisz 2007 ; Picot et Myles 2005 ; Picot, Hou et Coulombe 2007 ; Ulysse 2006).

Or, dans ces catégories, la situation des immigrants interpelle particulièrement puisqu’ils connaissent des écarts de revenu51 parmi les plus importants avec le reste de la population et sont « les plus susceptibles de devenir des travailleurs pauvres », affirme Ulysse (2006 :51). Aussi, concernant leurs revenus d’emploi, au début des années 2000, ils ne

51 Le revenu inclut les revenus d’emploi ainsi que les transferts sociaux émanant des politiques publiques de redistribution.

gagnaient qu’environ 60% du salaire de leurs homologues nés au Canada (Frenette et Morissette 2003). De plus, malgré un haut niveau de scolarité et un taux de diplômation universitaire supérieur à la moyenne, ils représentaient pour la même année à Montréal 52% des prestataires d’assistance-emploi alors qu’ils ne totalisaient que 33% de la population de l’île de Montréal (Ulysse 2006).

Ainsi, on note que les travailleurs immigrants rencontrent des difficultés pour faire reconnaître leurs diplômes, leur expérience et leurs compétences, n’obtiennent que rarement un revenu correspondant à leur niveau de scolarité et se retrouvent en surreprésentation dans les secteurs peu rémunérés où l’on rencontre une minorité de « Québécois de souche ». Les travailleurs immigrants sont alors surreprésentés dans les secteurs peu rémunérateurs de l’hébergement et des services de restauration, du textile, du commerce de détail, de la fabrication, des services aux entreprises et des services relatifs aux bâtiments et autres services de soutien (Gilmore 2008, Statistique Canada).

Or, si les règles de l’immigration favorisent l’arrivée au Québec d’immigrants ayant un haut niveau de diplômation, une bonne expérience professionnelle et des compétences linguistiques (Simmons 2010 ; Alboim et Cohl 2012), leur difficile intégration sur le marché du travail contredit de manière constante, depuis les années 1980, le bénéfice que les titres scolaires devaient leur apporter (Ulysse 2006). Ainsi, la déqualification des immigrants s’aggrave lentement et sûrement depuis les années 2000 (Yerochewski 2014 :88-90), alors que le temps passé sur le territoire canadien n’est plus un gage de l’amélioration de leur situation en emploi, comme c’était encore le cas une décennie auparavant (Galarneau et Morissette 2008). Les difficultés des immigrants ne sont donc plus liées à leur récente arrivée sur le marché du travail, mais deviennent durables.

En effet, si les nouveaux immigrants n’échappent pas à la précarité à laquelle est soumis tout nouvel entrant sur le marché du travail, les taux de faible revenu pour tous les immigrants quelle que soit leur ancienneté au Canada, ont augmenté considérablement depuis les années 1980, atteignant un taux de 22,6% en 2005 contre 13,3% pour les personnes nées au Canada (Statistique Canada 2010). Les immigrants vivant dans les centres urbains révèlent des chiffres plus inquiétants encore, puisque pour la communauté immigrante de Montréal, 41,2%

d’entre eux étaient concernés par le faible revenu en 2006, contre 16,6% pour l’ensemble de la population montréalaise. Et on constate que c’est seulement après vingt ans de vie sur le territoire, que les immigrants connaissent des taux de faible revenu comparables à la moyenne nationale (Statistique Canada 201052). De ces données statistiques, on peut conclure que la situation socioprofessionnelle des immigrants, leur difficile mobilité sociale et leur forte propension à se maintenir dans la pauvreté en emploi, semblent n’évoluer que très lentement au regard de leurs rémunérations sur le marché du travail et des transferts sociaux dont ils bénéficient.

De plus, les immigrants font face à de multiples obstacles à la reconnaissance professionnelle, alors qu’ils sont choisis de plus en plus diplômés, qu’ils n’ont ni le français, ni l’anglais comme langue maternelle, que les employeurs méconnaissent la valeur de leurs diplômes et qualifications et qu’ils sont objets de discriminations ethniques ou religieuses à l’embauche. La déqualification des femmes immigrantes est encore plus préoccupante alors que Chicha met en évidence son caractère systémique et intersectionnel (Chicha 2009, 2012), soulignant

« le rôle de variables telles que la constitution de réseaux professionnels, la réorientation professionnelle, les pratiques des ordres professionnels ayant potentiellement des effets discriminatoires, les pratiques de gestion de ressources humaines qui ont pour effet d’exclure les immigrantes » (Chicha 2012 : 110),

… variables analysées en fonction du genre et de l’origine étrangère. En outre, on note une augmentation générale du taux de déqualification chez les immigrants prétendants aux professions réglementées, du fait de la non reconnaissance systématique des diplômes, de l’exigence des ordres professionnels qui conditionnent l’accréditation à une reprise d’étude, empêchant durablement les personnes d’occuper un emploi correspondant à leur niveau de scolarité (Galarneau et Morissette 2008). Enfin, alors que jusqu’au milieu des années 2000, un

52 « Tableau 1 Taux de faible revenu selon le statut d'immigrant, 1980 à 2005 » in « Les taux de faible revenu des immigrants : rôle du revenu du marché et des transferts gouvernementaux », dernière modification le 29/03/2010, Statistique Canada, http://www.statcan.gc.ca/pub/75-001-x/2009112/tables-tableaux/11055/tbl001-fra.htm.

grand nombre d’immigrants se sont tournés vers le travail autonome comme alternative à la précarité du marché de l’emploi, la solution aura déçu massivement (Abada et al. 2012).

Par ailleurs, alors que les immigrants sont choisis pour leur niveau élevé de scolarité, l’un des grands paradoxes est de constater avec Picot et Myles (2005) que les inégalités du marché du travail affectent particulièrement les immigrants qui sont les plus qualifiés :

« une fois neutralisées les différences concernant la région d’origine, l’âge, la situation familiale et la langue parlée à la maison, les taux de faibles revenus ont grimpé de 24 % chez les immigrants sans diplômes d’études secondaires, mais de 66 % chez les titulaires d’un diplôme universitaire » (Picot et Miles 2005).

Cette situation n’est pas sans questionner la volonté par ailleurs affichée par le Canada et le Québec de développer une « économie du savoir » (MDEIEQ53 2005 ; MFC54 2013) et de mener des politiques d’immigration destinées à attirer des travailleurs immigrants qualifiés et diplômés.

Aussi, la difficile progression des trajectoires socioprofessionnelles des travailleurs pauvres immigrants semble particulièrement bien illustrer les logiques qui président au phénomène de la pauvreté en emploi et qui associent de faibles rémunérations, une précarité du lien d’emploi et un déficit de protection sociale.

5. L’INDUSTRIE DU PLACEMENT TEMPORAIRE AU

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