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Les réformes entreprises : de la poudre aux yeux ?

2 Les réformes des années 2000 2.1 Temps forts et dispositifs clés

2.2 Les réformes entreprises : de la poudre aux yeux ?

Le 3 octobre 2005 s’ouvrent les négociations entre la Turquie et l’UE concernant le processus d’adhésion. L’espoir soulevé par les perspectives européennes est grand et les réformes entreprises par le gouvernement turc rencontrent un certain écho à l’étranger. C’est le cas en France où la diaspora kurde est représentée par environ 200 000 personnes (deuxième foyer en Europe après l’Allemagne). Une de nos précédentes études1a

montré par exemple l’intérêt de certains internautes pour les évolutions en cours à cette période cruciale de 2004-2005 (entre l’élargissement de l’UE à 10 nouveaux États-membres et l’ouverture des pourparlers en vue de l’éventuelle entrée de la Turquie dans l’UE). Bien que la question kurde ait une importance quantitative secondaire dans les 9 forums que nous avons étudiés, les interventions de certains locuteurs sont significatives d’une préoccupation concernant les enjeux européens et internationaux du moment. Et c’est avec une représentation plutôt favorable que certains inter- venants s’expriment. Ainsi, l’un des internautes écrivait-il sur le forumhttp: //help.berberber.com/forum78/12362-la-turquie-dans-lue-oui-ou-evet.html(entre le 19 mai 2005 et le 10 janvier 2007) :

Coté islamique, je m’inquiète plus des Lech Kaczynki ou Jörg Haider, genre ligue des familles catholiques et j’en passe, tout ça en Europe et declarés cette fois. À mettre dans la balance face à Erdogan qui a aboli la peine de mort, autorisé la diffusion de programmes télévisés en kurde et d’autre réforme bien plus sympathique que certaines chez nous... (The_FD)

1. Voir notre thèse de doctorat : Les représentations de la Turquie en France : approche d’un

Et, sur le forumwww.etnoka.fr/static/page/communaute/magazine/turquie_ UE/(du 22 décembre 2004 au 6 mars 2007), un autre interlocuteur s’exclamait :

Alors pourquoi pas la Turquie? Nouveaux marchés. Brassage de cultures. Je pense que ça peut être positif et pour l’Europe et pour la Turquie. Qu’on arrête le politiquement correct en évoquant Chypre ou les Kurdes. On a accepté dans l’Union des pays avec un passé lourd et tragique plus récent.

(Saurienof) Certes, ces réactions sont peu nombreuses mais elles entrent en réso- nance avec plusieurs articles parus dans la presse écrite nationale française à ce moment-là. Même si le système de titrage contemporain de la mise en place de ces réformes reste hésitant sur la tonalité générale à choisir et qu’il offre une vision mitigée des avancées faites en Turquie (Le Monde du 10 septembre 2004 : « Kurdes, droits de l’homme, réforme du code pénal : Bruxelles demande encore un effort à la Turquie »; Libération du 14 juin 2004 : « Turquie —- retour triomphal de Leyla Zana chez les Kurdes »; Libération du 15 juillet 2004 « Nouveau procès pour quatre députés kurdes de Turquie »...), c’est toutefois le thème de l’espérance qui domine lorsqu’est évoquée la com- munauté kurde de Turquie à travers des titres comme : « Réveil kurde en Turquie » (Le Figaro du 8 juillet 2004); « Le grand rêve européen des Kurdes de Turquie » (Le Figaro du 5 octobre 2004); « Jour d’espoir pour les Kurdes de Turquie » (Libération du 11 juin 2004); « Désormais, c’est l’État turc qui parle kurde » (Libération du 19 juillet 2004).

Au début des années 2000, les commentaires sur les réformes mises en place en Turquie sont donc plutôt empreints d’optimisme. La notion de droits culturels est en effet prise en compte et des propositions sont mises en œuvre pour que cette reconnaissance corresponde à une réalité concrète sur le terrain. Certaines lois portent sur l’indemnisation des populations kurdes ayant subi des répressions extrajudiciaires. Nombreux sont les observateurs qui parlent de progrès décisifs, impensables quelques années plus tôt. Dans son rapport de 2004, la Commission européenne, sans sous-estimer les retards et les insuffisances dans l’application des nouvelles dispositions, note par exemple :

Les mesures adoptées dans le domaine des droits culturels ne sont qu’un point de départ. Il existe toujours des restrictions considérables. La normali- sation de la situation dans le Sud-est devrait être poursuivie en permettant le retour des personnes déplacées, en élaborant une stratégie de développe- ment socio-économique et en mettant en place les conditions nécessaires à un exercice plein et entier des droits et libertés pour les Kurdes1.

Tableau 2 – Décisions européennes relatives aux négociations avec la Turquie

6 octobre 2004 La Commission européenne rend un avis favorable pour

l’ouverture des négociations avec la Turquie.

15 décembre 2004 Le Parlement européen vote à une large majorité (407 voix pour, 262 voix contre) pour l’ouverture des négociations d’adhésion avec la Turquie, sans délai superfétatoire. 17 décembre 2004 Le Conseil européen de Bruxelles décide l’ouverture des

négociations avec la Turquie pour le 3 octobre 2005. 3 octobre 2005 Début de l’examen analytique de la transposition de l’acquis

communautaire dans la législation turque ; ouverture des négociations (initialement prévues pour durer jusqu’en 2013).

En tout cas, en 2004, les instances européennes considèrent que les évolu- tions réalisées par la République turque sont significatives et que, plus de quarante ans après la signature de l’accord d’Ankara créant en 1963 l’asso- ciation C.E.E.-Turquie, ce pays déjà membre du Conseil de l’Europe depuis 1949, est susceptible de rejoindre l’Union européenne. Les décisions allant dans ce sens s’organisent selon le calendrier suivant (cf. tableau 2) :

Après 1999 et 2002, les années 2004 et 2005 confirment le tournant esquissé dans la gestion du fait kurde en lien avec les perspectives turques d’intégrer à terme la construction européenne. Baillon insiste sur cette double dimension mais également sur l’instabilité latente et la précarité des solutions instaurées :

La question kurde a longtemps été une épine dans le pied de la candidature turque à l’UE. C’est aussi un des dossiers sur lesquels la Turquie a sans doute le plus progressé. Pourtant tout n’est pas parfait, comme en témoigne la reprise des attentats perpétrés par le PKK depuis juin 2004, le dernier en date faisant cinq morts le 6 août 2005. Mais les problèmes sont généralement

considérés comme résiduels. (2006 : 159)

Quant à Bozarslan, intellectuel kurde né en Turquie, auteur notamment de La question kurde : États et minorités au Moyen-Orient1, il parle à cette

même période d’une situation de « ni paix ni guerre » et est alors persuadé

1. Bozarslan Hamit, La question kurde : États et minorités au Moyen-Orient, Paris, Presses de Sciences-Po, 1997 (traduction turque en cours : Istanbul, Avesta, 2015).

que l’entrée de la Turquie dans l’UE conforterait ce pays et sa population kurde dans la voie de la démocratisation et celle de la reconnaissance des différences culturelles : « l’intégration européenne pourrait ainsi offrir un cadre, à la fois institutionnel et de confiance, à l’État et aux organisations kurdes, du moins à celles qui acceptent de renoncer à la lutte armée en contrepartie de leur légalisation » (2004b : 90).

3 Quelques réflexions en guise de conclusion temporaire...

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