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Changements politiques et pratiques linguistiques des Ukrainiens en 2014-

2 Gestion politique de la situation linguistique en Ukraine en 2014-

2.1 Changements politiques et pratiques linguistiques des Ukrainiens en 2014-

Le dernier recensement de la population ukrainienne qui pourrait fournir des informations statistiques fiables sur la composition ethnique et les pra- tiques linguistiques de la population de l’Ukraine date de 2001 et, malgré les recommandations de l’ONU, ces données n’ont pas été mises à jour dans

1. www.kmu.gov.ua/control/uk/publish/article?art_id=247112342\&cat_id=244276429.

2. www.lefigaro.fr/international/2014/06/27/01003-20140627ARTFIG00363-le-president-ukrainien- explique-son-plan-de-paix-au-figaro.php.

les années 2010. Ainsi, selon le Comité des statistiques1, en 2001, 77,8 %

de la population locale sont Ukrainiens (ils étaient 72,7 % en 1989), 17,3 % sont Russes (22,1 % en 1989), 5 % sont des représentants d’autres minorités ethniques. Les Ukrainiens ethniques forment la majorité dans l’ensemble des 25 régions du pays — ces proportions allant de 98 % dans la région de Ternopil jusqu’à 82 % à Kiev et 56 % dans la région de Donetsk —, mais sont minoritaires en Crimée et à Sébastopol (24 % et 22 % respectivement). Les pratiques linguistiques de la population ukrainienne ne coïncident pas avec leur identification ethnique puisque 67,5 % des sondés considéraient l’ukrainien comme leur langue maternelle (64,7 % en 1989) et 29,6 % étaient russophones (32,8 % en 1989) (ibid.). Il est également à noter que d’après divers sondages sociologiques, la proportion de personnes qui considèrent la langue ukrainienne comme leur langue maternelle est supérieure au nombre de personnes qui l’utilisent dans la vie quotidienne.

Vu l’absence de statistiques officielles récentes et les bouleversements du paysage politique ukrainien par de nombreux événements en 2014-2015, dont la Révolution de la Dignité, l’occupation de la Crimée par la Russie, l’agression armée à l’est du pays étant parmi les plus importants, nous avons décidé de baser notre analyse sur les résultats des sondages sociolo- giques et le monitoring réalisé par les volontaires du mouvement « Espace de la liberté2» sur les pratiques linguistiques effectives de la population

ukrainienne en 2014-2015 dans les principaux domaines de la vie publique. Ainsi, l’une des dernières études sur les pratiques linguistiques à l’échelle nationale a été menée en mars 2015 par le groupe sociologique « Reiting3»,

sur commande de l’Institut républicain international. Dans le cadre de cette enquête, 17 000 personnes résidant dans des chefs-lieux ont été sondées. Le choix des résidents des chefs-lieux n’est pas fortuit : premièrement, la langue ukrainienne domine à la campagne sur tout le territoire de l’Ukraine; deuxièmement, les grandes villes industrialisées, surtout celles à l’Est et au Sud du pays, ont été beaucoup plus influencées par la Russie; finalement, étant donné que la vie politique, économique et culturelle y est plus intense qu’à la campagne, les représentations, valeurs et comportements des citadins influent sur l’imaginaire collectif — et les usages linguistiques — de toute la nation.

Les résultats de cette enquête figurent dans le tableau 1 page suivante.

1. http://2001.ukrcensus.gov.ua/results/general/nationality/ et http://2001.ukrcensus.gov.ua/

results/general/language.

2. http://dobrovol.org/article/334. 3. www.ratinggroup.com.ua.

Tableau 1 – Langue de communication quotidienne des Ukrainiens en 2014-2015 (selon le sondage réalisé par « Reiting »)

Langue de communication quotidienne (en %) Ukrainien

Chefs-lieux ukrainiens Ukrainien et russe Russe Autre

Nord et Centre 1 Vinnytsia 70 5 15 0 2 Zhytomyr 79 13 6 2 3 Kirovograd 25 49 26 0 4 Poltava 47 36 15 2 5 Soumy 17 51 27 5 6 Tcherkassy 52 25 19 4 7 Tchernigiv 27 31 41 1 8 Kiev 27 40 32 1 Ouest 9 Loutsk 97 1 2 0 10 Ouzhgorod 79 11 3 7 11 Ivano-Frankivsk 92 3 4 1 12 Lviv 93 5 2 0 13 Rivné 97 1 2 0 14 Ternopil 96 3 0 1 15 Khmelnytskiy 76 15 9 0 16 Tchernivtsi 66 24 7 3 Sud et Est 17 Dnipropetrovsk 8 58 2 18 Zaporijjia 3 66 1 19 Mykolaïv 6 71 0 20 Odessa 6 78 1 21 Kharkiv 4 84 1 22 Kherson 11 62 2 23 Donetsk - - - - 24 Lougansk - - - -

Le tableau 1 démontre que la langue ukrainienne est la langue de commu- nication quotidienne dans toutes les grandes villes à l’Ouest du pays, elle est également pratiquée au Nord et au Centre de l’Ukraine, où elle est souvent utilisée en parallèle avec le russe. Les chefs-lieux au Sud-Est du pays res- tent en grande partie russophones, la langue ukrainienne y est minoritaire, mais peut être parlée conjointement avec le russe. Vu la situation politique actuelle, l’enquête ne couvre pas Sébastopol (la République Autonome de Crimée) et les villes de Donetsk (23) et Lougansk (24), majoritairement russophones.

En même temps, un autre facteur influe sur les pratiques linguistiques des Ukrainiens, qui varient non seulement en fonction du critère géographique mais aussi selon le domaine d’usage linguistique. Ainsi, le monitoring des décisions juridiques rendues en 2014 témoigne de l’utilisation quasi exclu- sive de l’ukrainien dans le domaine juridique en Ukraine, y compris dans les régions de Donetsk et Lougansk ainsi qu’en Crimée1.

Le domaine éducatif constitue un relais important de la politique linguis- tique d’ukrainisation. Les données statistiques fournies par le ministère de l’Éducation et de la science témoignent d’une augmentation de 6,11 % du nombre d’écoles où la scolarisation se fait en ukrainien et de 7,61 % du nombre d’élèves scolarisés en ukrainien, ce qui est surtout dû à la perte du contrôle des régions les plus russophones. Toutefois, 14 régions sur 24 et la ville de Kiev ont un taux d’instruction en ukrainien qui varie entre 96 % et 100 %, dans d’autres régions (10/24) l’enseignement secondaire se fait surtout en ukrainien (de 55,14 % dans la région de Donetsk à 95,9 % dans la région de Mykolaïv). Le choix de la langue de l’Évaluation indépendante extérieure2se fait également en faveur de l’ukrainien : en 2014, 85,78 % des

candidats ont choisi la version ukrainienne du test en physique et 91,63 % en histoire de l’Ukraine (en 2013, ils étaient 78,34 % et 84,51 % respectivement). La politique linguistique de l’État ukrainien est beaucoup moins efficace dans la sphère médiatique. En 2014, le tirage des journaux en ukrainien était de 29,5 % et a enregistré une baisse de 1,7 % en comparaison avec l’année 2013 à l’opposé des journaux en russe (66 % en 2014 et 64,3 % en 2013). La situation avec les magazines est encore plus inquiétante avec 9,9 % de périodiques publiés en ukrainien et 85,6 % en russe (11,3 % et 82,5 % en 2013). Le monitoring des 8 plus grandes chaînes ukrainiennes en 2014 prouve que

1. Au début de l’année 2014.

2. L’équivalent du baccalauréat français introduit en Ukraine en 2008. Les candidats ont le droit de choisir la langue de passation du test, le test de langue et littérature ukrainiennes étant obligatoire sur tout le territoire du pays.

le russe continue à dominer dans ce domaine avec une répartition du temps à l’antenne : 43,49 % en russe, 30,34 % en ukrainien, 26,17 % dans les deux langues. La langue ukrainienne n’est guère plus présente à la radio : elle occupe 22,6 % de l’antenne des 5 stations les plus populaires (25,9 % pour le russe), le taux de chansons ukrainiennes n’étant que de 4,9 % (40,2 % sont en russe).

Ainsi, les résultats des études sociologiques les plus récentes démontrent qu’en dépit du statut de la seule langue officielle, l’ukrainien est mino- ritaire dans les médias écrits et audio-visuels sur tout le territoire du pays. Les régions du Sud et de l’Est restent majoritairement russophones, certaines avancées positives sont néanmoins constatées dans la justice et l’enseignement.

2.2 La politique linguistique sur les territoires non-contrôlés (2014-2015)

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