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Virginia Garin

Université Paul-Valéry Montpellier 3 — EA-739 Dipralang

Introduction

L’Amérique latine est un espace géopolitique de grand intérêt pour le socio- linguiste, et ce, pour plusieurs raisons. Tout d’abord, en tant qu’espace de confluence de plusieurs langues et cultures : amérindiennes, européennes, africaines, asiatiques, conséquence du passé colonial et des nombreuses vagues d’immigration (forcée ou volontaire) qui ont généré et qui génèrent encore d’innombrables situations de contact (ou de conflit) linguistique. En outre, cette même configuration sociolinguistique complexe rend cet espace fascinant d’un point de vue glottopolitique; les différentes périodes histo- riques et politiques traversées par les pays latino-américains : la conquête, la colonisation, les indépendances, la consolidation des nouvelles nations, les périodes dictatoriales et les transitions vers la démocratie nous four- nissent des exemples variés de la gestion des langues en présence sur ce vaste territoire. Par ailleurs, l’interaction du continent avec d’autres espaces géopolitiques de même que les influences de la globalisation1(et de la gloca-

lisation) ainsi que du contexte de capitalisme tardif ou de nouvelle économie dans lequel nous vivons font du continent un terrain de recherche inépui- sable de tous points de vue, et particulièrement en ce qui nous concerne, d’un point de vue sociolinguistique.

1. Nous optons pour l’utilisation du terme globalisation et non pas mondialisation, car à l’instar de Bouchet (2005) nous croyons qu’il s’agit de deux réalités certes liées, mais différentes : « L’une est un processus historique de très longue durée qui concerne l’humanité. L’autre est un processus économique orienté par la dialectique des rapports de forces dans le cadre du marché » (ibid, p. 51).

Les nouvelles dynamiques linguistiques engendrées par ce contexte mondial, entre uniformisation et exaltation de la diversité, ont des consé- quences sur le plan de la gestion des langues, des idéologies linguistiques et des discours qui les véhiculent. Selon Arnoux (2008), cette tendance généra- lisée à l’exaltation de la diversité doit être comprise dans son lien étroit avec le processus de globalisation, celui-ci demande :

[...] peut-être comme une étape, la conformation d’intégrations régionales, qui assurent, en tant que concurrentes, le dynamisme économique et qui imposent, en même temps, un certain ordre parmi leurs propres populations. Mais, pour avancer dans la conformation de cet espace, elles doivent affaiblir les anciennes frontières nationales et en établir des nouvelles à partir de variables comme les langues [...]1. (Arnoux, p. 20)

Dans cette contribution, insérée dans un ouvrage consacré aux contacts (ou conflits) de langues en contexte postcolonial, il nous a paru pertinent de nous pencher sur l’aménagement linguistique au sein des intégrations régionales en Amérique latine ainsi que sur les relations entretenues entre les pays latino-américains et les anciennes métropoles en matière de gestion des langues. Nous avons décidé de nous concentrer spécifiquement sur les deux langues véhiculaires les plus importantes du continent, l’espagnol et le portugais.

S’intéresser à la réalité linguistique des intégrations régionales implique, comme l’affirme Chareille (2001 : 26), de se demander « en quoi la régiona- lisation a modifié les notions de politiques et d’aménagement linguistiques ne serait-ce que parce que le rapprochement des États remet à la fois en cause la notion de frontières (et sa relation avec les cultures) et la notion d’États-nations ». Ce questionnement est particulièrement pertinent dans le cas des pays latino-américains où la construction de la nation s’est basée en grande partie sur le mythe d’un État-nation homogène, harmonieux et monolingue et où la langue et la culture du voisin s’avéraient être une menace pour la souveraineté de l’État provoquant des situations de conflit linguistique notamment dans les régions frontalières2.

1. Este requiere — tal vez, como una etapa —- la conformación de integraciones regionales, que

aseguren al competir entre ellas el dinamismo económico e impongan, al mismo tiempo, cierto orden en las poblaciones propias. Pero, para avanzar en la conformación de ese espacio, deben desgastar las viejas fronteras nacionales y establecer nuevas a partir de variables como las lenguas... (Traduction

personnelle).

2. Le cas de l’Uruguay est un bon exemple de construction d’un État-nation homogène linguistiquement et culturellement avec un clair positionnement de défense vis-à-vis de l’in- fluence des voisins (notamment du Brésil) et d’assimilation linguistique et culturelle des migrants (venus d’Europe pour la plupart). Voir à ce propos Garin, 2014, et Teixeira dans cet ouvrage, entre autres.

Mais, qu’entendons-nous par intégration régionale? Selon Ventura (2014 : 79) :

Par intégration régionale, nous entendons tous les processus qui visent à stimuler et approfondir, partiellement ou intégralement, les dynamiques d’interdépendances économique, commerciale, politique, géopolitique, cultu- relle entre des sociétés distinctes faisant partie d’unités géoéconomiques et géoculturelles communes (groupement de pays, régions, méga-régions) et qui peuvent déboucher sur la création d’entités géo-économiques et géopoli- tiques plus vastes. Ils peuvent prendre plusieurs formes : forums politiques, unions douanières, marchés communs, unions économiques et politiques, etc. Néanmoins, d’après l’économiste argentin Claudio Katz (2008, en ligne) il y aurait une distinction à faire entre intégration et unité régionales. La pre- mière ferait allusion à des accords commerciaux entre les classes dominantes tandis que la deuxième constituerait une aspiration anti-impérialiste des organisations populaires, et répondrait au vieux désir1(latino-américain)

d’association politique. Pour lui, il existe une différence substantielle entre le fait de forger un bloc compétitif et le fait de projeter des accomplissements sociaux à l’échelle régionale2.

Les intégrations régionales en Amérique latine ont commencé à se former pendant la deuxième partie du xxesiècle, mais elles se consolident et de

nouvelles sont créées à partir des années quatre-vingt-dix, les plus récentes — l’UNASUR3, la CELAC4et l’Alliance du Pacifique — ayant vu le jour en

2008, 2010 et 2012 respectivement5.

Les intégrations régionales auxquelles participent les pays latino- américains ne se limitent pas aux relations sud-sud : ces derniers ont également établi des accords de coopération à plusieurs niveaux avec des

1. Il s’agit du vieux rêve de certains héros des indépendances des nations latino-américaines comme Simon Bolivar. Le « rêve bolivarien » a été largement repris par certains dirigeants latino-américains, notamment par Hugo Chávez. Cette idée est à l’origine de l’ALBA-TCP (L’Alliance bolivarienne pour les peuples de notre Amérique — Traité de commerce des Peuples) créée le 4 décembre 2004 à la suite de l’initiative d’Hugo Chávez et de Fidel Castro et comme contrepartie de l’ALCA (ZLEA en français : Zone de libre-échange des Amériques) promue par les États-Unis.

2. Nous garderons dans cet article le terme d’intégration régionale pris dans un sens plus large que celui évoqué par Katz.

3. Union des nations sud-américaines.

4. Communauté des États latino-américains et caribéens.

5. En plus des trois intégrations citées supra, les intégrations régionales ou subrégionales les plus importantes du sous-continent sont : le MERCOSUR (Marché commun du Sud, créé en 1991), la CAN (Communauté andine des nations, créée en 1969), l’ALADI (Association latino-américaine d’intégration, créée en 1980), la CARICOM (Communauté caribéenne, créée en 1973), le SICA (Système centraméricain d’intégration, créé en 1991), et l’ALBA mentionnée auparavant et créée en 2004.

pays européens, notamment avec les anciennes métropoles, l’Espagne et le Portugal. La coopération ibéro-américaine commence en 1949 avec la création de l’Office d’éducation ibéro-américaine, devenu aujourd’hui Orga- nisation des États ibéro-américains pour l’éducation, la science et la culture (OEI). Un autre organisme important de coopération entre les pays hispa- nophones et les pays lusophones est l’Organisation ibéro-américaine de sécurité sociale (OISS), créée en 1954. Depuis, il y a eu différentes initia- tives sectorielles, des programmes de coopération, des rencontres officielles sous l’étiquette d’« ibéro-américain », mais ce n’est qu’à partir des années quatre-vingt-dix, avec la célébration du premier Sommet ibéro-américain des chefs d’État et de gouvernement et avec la création de la Conférence ibéro-américaine que se mettra en marche un processus qui donnera un cadre juridico-politique de caractère international à la Communauté ibéro- américaine des nations (désormais CIN).

Dans cet article, nous nous concentrerons sur deux intégrations régionales de nature très différente, d’un côté la CIN; il s’agit d’un concept humaniste servant de cadre aux Sommets ibéro-américains des chefs d’État et de gou- vernement et qui selon la définition d’intégration régionale de Ventura citée

supra, prendrait la forme d’un forum politique. De l’autre, le MERCOSUR1

qui naît en tant que communauté économique et union douanière et qui depuis les années 2000 se dirige aussi vers une intégration culturelle et linguistique. Nous nous intéresserons également à quelques initiatives uni- versitaires qui visent à créer des liens solides entre les pays du MERCOSUR de façon à contribuer à l’intégration régionale notamment d’un point de vue culturel et linguistique dans le but de forger à travers leurs actions une identité et une citoyenneté mercosuriennes.

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