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3 Serbie : situations minoritaires

3.5 Les minorités cachées

Notre dernière réflexion concernera les petites minorités ou les minorités

cachées. Dans la publication qu’il a coordonnée, consacrée à la situation des

« petites » et des « grandes » minorités, P. Domonji commence par le constat que certaines minorités plus que d’autres se sont trouvées « dans la vitrine » et ont été parfois instrumentalisées par le régime (Domonji, 2004 : 7). Cela n’a pas été le cas avec les Juifs, les Tchèques, les Ukrainiens, les Allemands, les Ashkalis1et les Macédoniens — tous ceux que l’on pourrait classer parmi

les « petites » minorités2. Pendant que l’État serbe s’appliquait à gérer sa

principale « vitrine » pluriculturelle et plurilingue — la Voïvodine — et ses principales minorités, les autres s’assimilaient peu à peu et à des degrés divers, incapables de s’organiser ou découragés d’attendre qu’on s’intéresse enfin à eux.

Cet intérêt est en revanche très présent dans le monde universitaire. Un autre travail important sur les minorités « cachées », déjà mentionné supra, a été coordonné par B. Sikimić et concerne les Tcherkesses du Kosovo, les Grecs de Belgrade, les Shopes du sud-est de la Serbie, les Kajkaviens du Banat... Les raisons de cet effacement ou de cette invisibilité ont potentiellement à voir avec des facteurs de marginalisation historique, de ghettoïsation ethnique ou socioprofessionnelle, ou de transplantation récente. Mais le champ de leur invisibilité constitue un horizon de recherches et de réflexions particulièrement riche pour les sciences sociales, surtout dans un contexte plurilingue aussi polarisé et composé de tant d’individuations marquées.

4 Géorgie : situations minoritaires

Peuplée par quatre millions d’habitants environ, la Géorgie doit gérer depuis l’indépendance les revendications de minorités qui représentaient dans les années 2000 un tiers de sa population (Serrano et al., 2003 : 137). Celles-ci ne se retrouvent pas forcément dans l’identité géorgienne telle qu’elle a été redéfinie après la chute du communisme, et qui peine à fédérer l’ensemble de la population :

1. Il s’agit d’une population musulmane, de langue albanaise, de tradition autrefois nomade, à l’instar des Roms.

2. Le nombre de leurs ressortissants ne dépasse pas généralement 5 000 personnes, excepté les Macédoniens, qui sont nettement plus nombreux, mais, pourtant, les droits dont ils bénéfi- cient sont bien moindres de ceux des Slovaques, Roumains ou encore Ruthènes. Encore un cas qui illustre le décalage entre les minorités traditionnelles, bien protégées et bien organisées, et les autres.

Dans les faits, les minorités sont pourtant marginalisées par les problèmes économiques, linguistiques, par l’absence de volonté d’intégration induite par une vision ethniciste de la Nation et la fracture entre Géorgiens et non Géorgiens s’accroît dangereusement. (Serrano et al., 2003 : 142) Par ailleurs, les différentes forces centrifuges, dont il a déjà été question

supra, sont souvent sinon soutenues du moins encouragées par la Russie,

qui maintient ainsi son influence dans la région, en dépit du fait que les ressortissants russes l’ont massivement quittée. Les conflits les plus impor- tants, qui ont certainement modifié le plus la structure ethnique régionale, sont les guerres en Abkhazie et en Ossétie du Sud. Après avoir abordé le cas abkhaze1, nous nous arrêterons sur quelques autres cas significatifs

susceptibles d’enrichir cette typologie des situations minoritaires. 4.1 Abkhazes : de minorité à majorité

Lorsque le Caucase s’est embrasé, l’Abkhazie a été parmi les premiers terrains de heurts. Le conflit latent s’est transformé à une véritable guerre en 1992, suite à la proclamation unilatérale de l’indépendance de cette répu- blique géorgienne, située au bord de la mer Noire, bénéficiant d’une auto- nomie. Après la disparition de l’État soviétique, deux nationalismes se sont opposés : « au slogan “La Géorgie — aux Géorgiens”, les Abkhazes ont répondu par un autre “L’Abkhazie — sans Géorgiens” » (Avioutskii, 2005 : 210).

En effet, avant la guerre, les Géorgiens étaient majoritaires en Abkhazie (46 % contre 17 % d’Abkhazes), tandis qu’un nombre important de Russes et d’Arméniens était encouragé à s’installer dans cette république par Staline dans le cadre de sa politique nationale (Serrano, 2007 : 38). Les conflits qui ont éclaté en 1992 ont été violents et la population majoritaire de l’époque — les Géorgiens — contrainte à l’exil2, car la Géorgie a de facto perdu cette

1. Nous avons fait le choix de ne pas nous arrêter sur la situation en Ossétie du Sud qui nous semble avoir beaucoup de points communs avec l’Abkhazie. À la fin de l’U.R.S.S., l’Ossétie du Sud a demandé à être rattachée à l’Ossétie du Nord. Cette demande a été rejetée par le gouvernement géorgien de Z. Gamsakhourdia et de violents affrontements ont éclaté à Tskhinvali, la capitale régionale. Le cessez-le-feu, orchestré par la Russie, sera signé en 1992 entre les représentants rebelles et la Géorgie présidée depuis peu par E. Chevardnadze. Un autre conflit éclate en 2008, à l’époque du président M. Saakachvili. La Russie intervient une fois de plus; les destructions sont importantes, tandis que la communauté internationale assiste à une véritable épuration ethnique, compromettant tout retour des Géorgiens en Ossétie. Cf. pour une analyse de la situation en Ossétie du Sud, du point de vue de l’historiographie géorgienne, les travaux de R. Topchishvili (Топчишвили, 2009, 2011).

2. Le nombre exact de Géorgiens déplacés est difficile à estimer : il s’agit sans doute d’environ 250 000 personnes (Balivet, 2005 : 56).

guerre contre les séparatistes abkhazes, aidés dans ce combat aussi bien par les Russes, que par les Tchétchènes ou d’autres peuples des montagnes environnantes. Le cessez-le-feu, orchestré par la Russie, reste précaire, car la Géorgie considère toujours ce territoire comme le sien, et les réfugiés géor- giens espèrent pouvoir réintégrer l’Abkhazie, au-delà du district de Gali, le seul partiellement repeuplé par les candidats au retour. Si les Abkhazes ont mal vécu le discours sur l’identité nationale géorgienne dans les années quatre-vingt-dix dans lequel ils ne se reconnaissaient pas, ils semblent lui avoir substitué un discours tout aussi nationaliste, une fois devenus majo- ritaires sur le territoire nouvellement indépendant. Pour preuve, la crise de 2014, motivée, entre autres, par les sentiments hostiles vis-à-vis des Géorgiens retournés à Gali.

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