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2. Nature et contenu du souvenir de l’expérience : les apports de la psychologie à la littérature sur l’expérience

2.4. Réflexions sur la mesure de l’expérience

Dans cette dernière sous-partie, nous expliquerons que nous considérons les mesures rétrospectives de l’expérience comme des mesures du souvenir de l’expérience qui sont obtenues au cours d’une expérience de souvenir particulière. Nous finirons en réflichissant aux outils à la disposition des managers pour collecter l’expérience réellement vécue par le client.

2.4.1. Le récit d’expérience, une expérience de souvenir particulière

Nous considérons que l’ensemble des travaux sur l’expérience recourant à des récits rétrospectifs ou à des questionnaires aboutissent à des mesures du souvenir de l’expérience puisque la collecte passe par le souvenir.

La mesure de l’expérience telle que conceptualisée par Roederer repose sur le souvenir que l’individu a eu de son expérience (Roederer, 2008). En d’autres termes, toutes les questions posées à l’individu lors d’entretiens, ou les items de mesure d’un questionnaire, portent en

44 Nous rattachons la récence du souvenir évoquée par Baumgartner et al. (1992) à la dimension ‘temporelle’. 45 Conway (2009, p.2306) considère que la perspective visuelle se rapporte à la nature du souvenir épisodique. 46 Le questionnaire de mémoire autobiographique de Borrini et al. (1989) et le test d’évaluation de la mémoire du

passé lointain autobiographique de Piolino, Desgranges et Eustache (2000), qui portent tous les deux sur des événements de périodes de vie distinctes allant de l'enfance à l'âge adulte, utilisent la notion de contenu pour parler de la trame du souvenir.

146 réalité sur le souvenir que l’individu garde de son expérience. Pour reprendre les termes utilisés dans la partie relative au contexte de survenance de l’expérience de souvenir, lors des mesures de l’expérience, telles que celle proposée par Roederer (2008), l’expérience de souvenir est déclenchée par un stimulus personnel (un chercheur) dans un contexte non-marchand. Plus spécifiquement, l’individu est plutôt réactif (et non actif), son expérience de souvenir n’est pas orientée vers lui mais vers le chercheur, et enfin, elle n’a pas pour vocation de déclencher un autre comportement de consommation, mais juste de servir les intérêts d’une recherche.

Si notre vision de l’articulation entre expérience, souvenir de l’expérience et souvenir de l’expérience est en contradiction avec Roederer qui affirme que « conceptualiser le souvenir de l’expérience, revient à conceptualiser l’expérience » (Roederer, 2008, p.295), elle ne remet néanmoins pas en cause les dimensions de l’expérience qui ont été conceptualisées (Gentile et al., 2007 ; Michaud-Trévinal, 2013 ; Roederer, 2008 ; Verhoef et al., 2009).

2.4.2. Quelques pistes pour mieux cerner l’expérience

L’expérience possède un caractère privé qui fait que seul celui qui l’éprouve peut avoir accès à celle-ci (Barberousse, 1999). Le récit d’une expérience ne permet pas de rendre compte de toute sa complexité et des significations qui lui sont sous-jacentes. L’expérience possède une part indicible et insaisissable (Roederer, 2008) et les mots n’en reflètent pas toujours l’entièreté. La réalisation d’entretiens ne permet pas forcément de capter le comportement naturel des répondants et des décalages peuvent exister entre ce que l’individu a fait et ce qu’il en raconte, ce qui peut mener le chercheur à des conclusions erronées (Flacandji, 2014 ; Healy et al., 2007). A l’exception des recherches qui recourent à des techniques comme l’observation, celles qui s’appuient sur des récits rétrospectifs d’expériences ne sont en aucun cas des mesures de l’expérience. Lorsqu’il raconte son expérience ou qu’il répond à un questionnaire sur celle-ci, le consommateur se remémore cette expérience passée pour pouvoir répondre et partage donc le souvenir qu’il lui en reste. « Le souvenir recueilli constitue le seul chemin d’accès à l’expérience d’autrui » (Roederer, 2008, p.295). D’un point de vue temporel, une adaptation de la méthode des protocoles nous semble davantage pouvoir permettre de collecter l’expérience en minimisant l’impact du souvenir de celle-ci sur le matériel collecté. Cette méthode consiste à demander au consommateur « de penser à haute voix et de dire tout ce qu’il fait pendant qu’il est en train de le faire » (Evrard, Pras et Roux, 2009, p.159) même si une mesure « on-line » de l’expérience peut la modifier (Ariely et Zauberman 2000). Cette suggestion nous semble

147 aller dans le sens de Healy et al. (2007) pour qui l’ethnographie est la méthode la plus appropriée pour capter l’expérience de magasinage. Ils discutent des avantages et des inconvénients de différentes méthodes ethnographiques que le professionnel peut utiliser selon ses besoins (exemples : accompagnement du client au cours de son expérience, entretiens auprès du personnel de vente, enquête mystère). Les auteurs évoquent la réalisation de journaux de bord audio-visuels par le client, toutefois, comme ils le mentionnent, cette méthode n’appréhende pas l’expérience en temps réel mais elle permet de déterminer les éléments de l’expérience qui sont mémorables. En résumé, la triangulation des données semble être la solution permettant de se rapprocher au plus près de l’expérience vécue par le client tant il est difficile d’en capter toute la richesse et la complexité.

Qu'est-ce que le souvenir de l'expérience de magasinage ? Telle est la question qui nous a servi de fil directeur tout au long de cette section. Sur la base de la littérature existante, tant en marketing qu'en psychologie cognitive, nous proposons de conceptualiser le souvenir de l’expérience comme un construit de troisième ordre partageant les propriétés de l’expérience (facette « contenu » du souvenir de l’expérience) auxquelles s’ajoutent des dimensions spécifiques à tout souvenir (facette « nature » du souvenir de l’expérience). La Figure 2.6. présente de manière schématique ce construit.

Figure 2.6. – Proposition des dimensions du souvenir de l’expérience EN CONCLUSION

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C

ONCLUSION DU CHAPITRE

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Dans ce deuxième chapitre, nous avons exploré la littérature en psychologie consacrée à la mémoire afin de comprendre ce qui se cache derrière la notion de souvenir de l’expérience.

Un souvenir peut s’avérer être une reconstruction quasi parfaite de la réalité mais il peut également être partiellement ou totalement erroné pour des raisons liées aux processus d’encodage, de stockage et de récupération de l’information en mémoire. Par son caractère incomplet et fragmentaire, un souvenir ne possède pas les mêmes propriétés qu’une vidéo ou une photo qui sont des reproductions et non des reconstructions. « Savoir qu'un souvenir est reconstruit et pas nécessairement une représentation véridique ne le rend pas moins intéressant ou agréable au moment où la personne se souvient de l'événement » (Braun-LaTour et al., 2004, p.21). Nous proposons de définir le souvenir d’une expérience comme les informations, stockées en mémoire de manière consciente ou inconsciente à la suite d’une expérience, et qui sont rappelées par l'individu au cours d'une expérience de souvenir, avec un degré de précision et de certitude plus ou moins fort.

La comparaison entre les travaux effectués dans le champ du marketing sur la notion d’expérience et ceux en psychologie sur le souvenir nous ont permis d’identifier les composantes du souvenir de l’expérience. Sur la base de la littérature, nous suggérons que le souvenir de l’expérience est un construit multidimentionnel de troisième ordre composé d’une composante relative à sa nature composée de cinq dimensions ([1]. une dimension ‘richesse’ ; [2]. une dimension ‘accessibilité’ ; [3]. une dimension ‘cohérence’ ; [4]. une dimension ‘reviviscence distanciatrice’ ; et [5]. une dimension ‘perspective visuelle’) et d’une autre relative à son contenu composée de sept dimensions ([1]. une dimension ‘affective’ ; [2]. une dimension ‘sensori-perceptuelle’ ; [3]. une dimension ‘cognitive’ ; [4]. une dimension ‘praxéologique’ ; [5].une dimension ‘sociale’ ; [6]. une dimension ‘symbolique’ ; et [7]. une dimension ‘temporelle’). Des recherches complémentaires semblent nécessaires pour nous assurer de la pertinence de cette décomposition du souvenir de l’expérience.

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CHAPITRE 3. –

ETUDE QUALITATIVE