• Aucun résultat trouvé

Encadré 1.4. – Satisfaction remémorée vs satisfaction t+

3.2. Enjeux autour du souvenir de l’expérience

Nous vivons les expériences pour le souvenir que nous en gardons, quitte à sacrifier un peu du plaisir de l’expérience lorsqu’elle est vécue (Kahneman, 2012). Si les exemples de Kahneman et de ses co-auteurs présentés dans ce travail doctoral portent sur des expériences douloureuses, l’Encadré 1.5. confirme que leurs conclusions sont valables pour les expériences hédoniques.

81 Encadré 1.5. – La quête effrénée de l’immortalisation de l’instant présent

Les consommateurs achètent de nombreux souvenirs chaque année car ils attachent de la valeur au fait de se souvenir de l’expérience (Pine et Gilmore, 1999). Ces achats, mais également les autres biens personnels, tels que les photographies, les objets, les cadeaux, servent de matérialisations de la mémoire et évoquent un sentiment puissant du passé (Belk, 1991). Il n’y a qu’à voir l’exemple des salles de concerts où les spectateurs s’empressent de tweeter pour informer leurs followers qu’ils sont au concert, et passent plus de temps à regarder leur écran de téléphone pour savoir si le film qu’ils prennent est cadré plutôt qu’à vivre l’instant présent et à en apprécier chaque seconde. Ils se comportent ainsi pour prolonger l’expérience et pouvoir la revivre quand ils le souhaitent. Il n’est pas rare pour une personne de prendre des photographies pendant ses expériences même si elle a la quasi- certitude qu’elle ne les revisionnera probablement jamais, comme si elle avait besoin de se rassurer et de garder une preuve au cas où…

Pour redonner aux spectateurs la possibilité de pouvoir apprécier toute la richesse de vivre les moments présents26, l’entreprise Yondr a créé un étui à téléphone qui se verrouille automatiquement lorsque le consommateur entre dans la salle de concert.

Depuis très longtemps les chercheurs ont pris conscience de l’intérêt d’étudier la mémoire humaine pour tenter de comprendre les réactions du consommateur suite à son exposition à une publicité. En revanche, le souvenir de l’expérience de consommation ne semble pas avoir suscité autant d’engouement de la part des marketers, alors même que des chercheurs emblématiques du domaine expliquent que les expériences doivent être engageantes, robustes, attirantes et mémorables (Pine et Gilmore, 2000). Un magasin est « un endroit où les souvenirs sont créés, modifiés, récupérés et recyclés » (Borghini et al., 2009, p.371). Notre interprétation

26 Nous passons volontairement sous silence le fait que cette invention puisse permettre aux artistes de mieux gérer

leur image, et d’éviter par exemple que les films pris pendant les spectacles et mis en ligne ne viennent concurrencer la vente de leurs DVD.

82 de l’exemple de la marque American Girl proposé par (Diamond et al., 2009) rejoint celle de Borghini et al. (2009). Le magasin est au service de la marque et lui permet de se créer à travers l’histoire ou les histoires qu’elle pourra raconter en son sein. En reprenant à leur compte Sherry (1998), Diamond et al. (2009) considèrent que le magasin American Girl est un « mindscape » dans le sens où l’expérience qu’il y est proposé de vivre est censée être inoubliable. De nombreux facteurs influencent le processus de décision du consommateur, et la plupart d’entre eux sont sous l’influence de l’expérience de magasinage (Puccinelli et al., 2009), espace propice au développement de liens durables avec la marque (Rogers, Vrotsos et Schmitt, 2003 ; Thomson, MacInnis et Park, 2005). L’expérience constitue le socle d’une relation longue et durable entre le consommateur et l’enseigne, tant en ligne que physique (Grewal et al., 2014), notamment à travers le souvenir qu’il en reste.

Roederer (2008) s’est interrogée sur la frontière entre les approches par le souvenir, la valeur et la satisfaction. Le lien qu’elle a pu mesurer entre les dimensions de l’expérience et la satisfaction l’amène à parler de complémentarité. En s’appuyant sur Bourgeon-Renault, Cova et Petr (2006) qui considèrent que la satisfaction ne permet pas de capturer toute la phénoménologie de l’expérience, Roederer (2008) avance qu’une approche par le souvenir de l’expérience permet de mieux en rendre compte. Le souvenir de l'expérience nous semble différent de la satisfaction dans le sens où il ne constitue pas une évaluation générale de l'expérience ou de certains attributs du contexte expérientiel, mais porte sur le souvenir d’un vécu qui intègre des réponses cognitives, affectives, physiologiques ou encore comportementales. Comme nous l’avons vu, selon le paradigme cognitiviste, l’effet à long terme de la consommation est appréhendé par l’intermédiaire de la satisfaction. Dans le cadre du paradigme expérientiel, nous proposons qu’une approche par le souvenir de l’expérience permette de s’intéresser aux conséquences de l’expérience. L’approche cognitiviste et l’approche expérientielle ne sont pas exclusives mais complémentaires (Hirschman et Holbrook, 1982 ; Holbrook et Hirschman, 1982). En d’autres termes, nous pensons que l’étude conjointe du souvenir de l’expérience et de la satisfaction est nécessaire pour mieux comprendre les comportements futurs des chalands.

Nous proposons de compléter le cadre conceptuel de l’expérience de magasinage proposé par Antéblian et al. (2013) à l’aune de la revue de la littérature effectuée (voir Figure 1.4.).

83 Figure 1.4. – Cadre conceptuel adapté d’Antéblian et al. (2013)

En vertu de ce que nous avons pu voir jusqu’à présent, le souvenir de l’expérience serait une conséquence de l’expérience, au même titre que la satisfaction et la valeur mais des travaux de conceptualisation semblent nécessaires pour mieux en cerner toutes les facettes.

Comme nous l’avons vu dans la première section de ce chapitre, l’expérience est un concept multidimensionnel. Il nous semble réducteur de se limiter, comme Kahneman et ses co-auteurs le font, ainsi que d’autres chercheurs (Bhargave, 2009 ; Robinson, 2011 ; Rozin et al., 2004), au seul plaisir/déplaisir intrinsèque que l’individu retire de l’expérience en elle-même.

La conceptualisation des dimensions du souvenir de l’expérience n’est pas le seul enjeu à relever. Un instrument de mesure permettant d’en capter toute l’étendue nécessite d’être développé afin de pouvoir tester si le souvenir de l’expérience de magasinage est un bon prédicteur des comportements futurs. Si tel est le cas, les cartes seraient redistribuées : le management de l'expérience client ne serait pas la chose la plus importante dans la construction de la fidélité comme l’avancent Crosby et Johnson (2007) mais le management du souvenir de l’expérience.

84 Nous avons vu que l’entreprise ne livre pas l’expérience toute faite au client, mais seulement un contexte que le client peut s’approprier pour vivre son expérience. L’interprétation faite par Filser (2002) de la de la métaphore dramaturgique a permis de dégager trois constantes dans la production d’expérience : [1]. le décor ; [2]. l’intrigue ; et [3]. l’action. Nous avons également abordé avec un peu plus de détail le décor en présentant notamment quelques effets des variables d’atmosphère sur le comportement de magasinage, ainsi que le niveau de participation laissé par l’entreprise au consommateur. Nous avons également présenté comment le consommateur s’approprie le contexte expérientiel pour pouvoir vivre son expérience au travers de la notion d’immersion (Carù et Cova, 2003). La plus-value de cette seconde section réside dans la partie qui traite des conséquences de l’expérience. L’approche par la satisfaction, puis celle par la valeur, sont définies et discutées. Leur faible pouvoir explicatif des comportements nous a amené à proposer une nouvelle façon de repenser l’expérience par l’intermédiaire du souvenir qu’elle génère. En nous appuyant sur plusieurs recherches, nous avons discuté des enjeux théoriques, méthodologiques et managériaux du recours à une telle approche qui manque pour l’heure d’unification. Les recherches sur lesquelles nous nous sommes fondé pour étayer nos propos s’appuient les unes sur les autres sans pour autant faire explicitement référence aux mêmes concepts et utiliser les mêmes instruments de mesure.

85