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1. Distinction entre expérience, souvenir de l’expérience et expérience de souvenir

1.2. La focalisation de l’attention sur certains éléments

1.2.1. Le moment le plus intense, le début et la fin de l’expérience

L’intensité de l’expérience n’est pas la même au cours du temps (Ariely, 1998). La littérature sur la mémoire a mis en évidence que le déroulement de l’expérience au cours du temps, et notamment l’intensité de chacun des événements la composant, a un impact sur son évaluation globale (Loewenstein et Prelec, 1993 ; Hsee et Abelson, 1991). Chacun de ces événements se voit affecté un poids différent et leur combinaison permet à l’individu de former une évaluation globale.

La « peak-end rule » est née des travaux de Fredrickson et Kahneman (1993) qui exposent les participants à des vidéos contenant des clips plaisants et déplaisants. Au moment de l’évaluation rétrospective de l’expérience par les clients, il s’est avéré que le meilleur prédicteur de cette

35 Anderson et Conway (1993) parlent de détails spécifiques, de début et de fin. Nous faisons le choix de centrer

nos propos sur les effets du « peak », de primauté et de récence pour deux raisons. D’une part leur utilisation est de plus en plus utilisée dans les sciences de gestion. D’autre part, ils mettent en évidence que les individus se basent sur ces éléments spécifiques de leur expérience pour guider leurs comportements futurs. Or c’est spécifiquement cette relation entre souvenir et comportement qui nous intéresse dans ce travail doctoral.

123 évaluation était la moyenne pondérée du moment le plus intense de l’expérience (« peak ») et de son intensité finale (« end »). L’explication de l’importance du pic de l’expérience trouve sa légitimité dans l’effet de von Restorff (Wallace, 1965). Celui-ci stipule qu’un élément isolé est mieux mémorisé lorsqu’il est situé dans un ensemble d’éléments homogènes que lorsqu’il figure parmi des éléments sans lien apparent entre eux36. Ainsi, les événements atypiques sont bien souvent plus mémorables que leurs contreparties ordinaires (Brown et Kulik, 1977 ; Fredrickson, 2000 ; Fredrickson et Kahneman, 1993 ; Hastie et Kumar, 1979 ; Ochsner, 2000). Dans diverses études relatives au domaine médical, aux vacances ou aux voyages, il a été démontré que les émotions vécues les plus fortes contribuent le plus aux souvenirs subséquents (Fredrickson, 2000 ; Morewedge, Gilbert et Wilson, 2005 ; Wilson et al., 2003 ; Wirtz et al., 2003). La nouveauté est distincte de l'intensité affective. Les épisodes « nouveaux » d’une expérience sont intégrés à l’évaluation de celle-ci, et ce, même lorsqu’ils n’ont pas lieu lors du pic ou de la fin de l’expérience. Par opposition, les épisodes « familiers » ne sont intégrés que s’ils correspondent au pic ou à la fin de l’expérience (Bhargave, 2009). Le « pic » semble être le moment de l’expérience le mieux remémoré, et ce, quelle que soit sa position dans la séquence temporelle, au début, au milieu ou à la fin.

L’importance de la fin de l’expérience fait écho au phénomène de récence37 (Greene, 1986) qui stipule que l’individu mémorise plus facilement les derniers éléments d’une liste de stimuli lorsque le rappel a lieu immédiatement après l’exposition à ceux-ci. Ariely (1998) confirme le rôle de l’intensité de fin de l’expérience puisqu’il a démontré que l’évaluation d’une séquence de stimuli de plus en plus douloureux est évaluée comme plus douloureuse [4, 5, 6, 7, 8, 9] qu’une séquence qui ne change pas d’intensité au cours du temps [6, 6, 6, 6, ,6 ,6], qui elle- même est évaluée plus négativement qu’une séquence dont l’intensité de la douleur diminue avec le temps [9, 8, 7, 6, 5, 4]. La fin de l’expérience est particulièrement importante pour les expériences orientées vers un objectif à atteindre et celles qui peuvent être affectées par l’anticipation et la crainte des événements qui peuvent se produire (par exemple, la focalisation

36 Tversky et Griffin (1991) parlent d’effet de contraste pour désigner le fait qu’une expérience joue un rôle indirect

sur l’évaluation des expériences à venir. Vivre une expérience positive rendra l’individu heureux mais rendra ses expériences à venir similaires et moins excitantes.

37 Postman et Phillips (1965) et Glanzer et Cunitz (1966) ont présenté des listes de mots de différentes longueurs

puis ont demandé à leurs sujets de rappeler les mots dont ils se souvenaient dans l'ordre qu'ils souhaitaient (rappel libre). Quand le rappel a lieu immédiatement, les premiers et les derniers éléments de la liste ont le plus de chance d'être rappelés tandis que peu de sujets se souviennent du milieu de la liste. Quand le rappel a lieu après 15 ou 30 secondes, seuls les éléments du début de la liste ont une forte probabilité de rappel.

124 de son attention sur la queue faite pour acheter un produit plutôt que sur le produit lui-même) (Carmon et Kahneman, 1996).

La « peak-end rule » s’applique avec succès dans différents domaines, comme l’inconfort (Kahneman et al., 1993 ; Redelmeier et Kahneman, 1996 ; Redelmeier, Katz et Kahneman, 2003 ; Varey et Kahneman, 1992), la publicité (Baumgartner, Sujan et Padgett, 1997), ou encore l’attente aux caisses (Carmon et Kahneman, 1996). Rares sont les études à ne pas vérifier les effets du pic, de primauté et de récence (Ariely et Carmon, 2000 ; Rode, Rozin et Durlach, 2007). Les premiers expliquent qu’ils n’observent pas ces effets du fait de la méthodologie employée et les seconds à cause du manque de différenciation entre les plats dégustés qui constituent la séquence d’événements étudiés.

Ariely et Zauberman (2002) considèrent que le début de l’expérience impacte également l’évaluation globale que peut en faire l’individu. Il est d’usage de parler d’ « effet de primauté » (Jahnke, 1965) et d’ « effet de récence » (Ariely 1998 ; Kahneman et al. 1993) pour qualifier le fait que le début et la fin de l’expérience sont généralement sujets à une bonne mémorisation.

En fonction du moment auquel l’expérience est remémoré (tout de suite après vs. passé un certain délai), le souvenir ne sera pas le même. Montgomery et Unvana (2009) ont montré que les effets de primauté dominent les effets de récence quand un certain délai est introduit entre l'exposition et la mesure. Autrement dit, à court terme, nous nous souvenons principalement de la fin de nos expériences. Toutefois, passé un certain délai, l’impact de l’effet de récence se dissipe (Crowder, 1976) et les événements de l’expérience se produisant à son début sont mieux rappelés que le reste de l’expérience. Ce résultat est en accord avec la théorie des niveaux de représentation (Liberman et Trope, 1998 ; Trope et Liberman, 2003, 2010) puisqu’un haut niveau de construit favorise les effets de primauté au contraire d’un bas niveau qui les réduit (Eyal et al., 2011).

L’individu a tendance à améliorer les bons moments, à en fabuler de nouveaux, et à occulter les moins bons. En vertu de ces éléments, nous serions tenté de croire qu’il n’est pas forcément nécessaire pour une entreprise de vouloir à tout prix offrir une expérience pleine à l’individu mais qu’il lui faut mettre l’accent sur les éléments de l’expérience qu’il estime capitaux. Si l’individu souhaite revivre une expérience de magasinage mais que le dernier magasin visité ne possédait pas la climatisation en pleine canicule et/ou que l’édition collector d’un produit

125 proposée à la vente s’était très vite retrouvée en rupture de stock, il pourra, lors de la récupération de son souvenir, faire abstraction des points positifs de son expérience comme la théâtralisation de celui-ci ou les services proposés et se focaliser sur les désagréments rencontrés, et finalement prendre la décision de se rendre chez un concurrent.