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Limites des travaux recourant aux effets du « pic », de primauté et de récence

1. Distinction entre expérience, souvenir de l’expérience et expérience de souvenir

1.2. La focalisation de l’attention sur certains éléments

1.2.4. Limites des travaux recourant aux effets du « pic », de primauté et de récence

Tous les travaux cités s’accordent à dire que l’évaluation de l’expérience repose sur quelques fragments de celle-ci. Lorsque l’individu vit une expérience de magasinage, il ne se trouve pas dans une démarche analytique durant toute la durée de celle-ci et toute son expérience ne sera pas mémorisée. Aussi intéressants soient ce résultat et les règles d’évaluation du souvenir de l’expérience pour étudier les comportements subséquents des consommateurs, ces travaux nous

128 semblent passer sous silence certaines facettes de l’expérience également importantes et qui méritent une attention particulière.

Tout d’abord, ces travaux portent sur des expériences, réelles ou décrites hypothétiquement par les chercheurs, pour lesquelles l’évaluation des expériences est souvent la seule mesure demandée à être rappelée. Dans l’une des études de Bhargave et Votolato Montgomery (2013), les individus évaluent, dans un contexte de laboratoire, l’expérience d’une exposition à des images d’une galerie d’art. Seule l’évaluation de la séquence et des images est prise en compte. Outre le fait qu’elle n’inclut pas d’autres stimuli susceptibles d’être mémorisés, voire d’influencer l’évaluation rétrospective globale de l’expérience, l’étude porte sur une expérience composée d’événements identiques : plusieurs images d’œuvres à regarder successivement. Les événements composant une expérience de magasinage ne sont pas identiques (test d’un produit vs. paiement). Dholakia et al. (2010) semblent toutefois convaincus que les travaux de Kahneman et de ses co-auteurs sont applicables à l’expérience de magasinage. Ils prennent l’exemple, sans le tester, d’un consommateur qui passe un agréable moment de shopping dans un magasin mais qui fait face à un parking bondé au moment de rentrer chez lui. La réaction émotionnelle déclenchée en réponse à ce dernier événement de son expérience de magasinage peut produire un souvenir négatif biaisé susceptible d’influencer son choix de fréquenter à nouveau ce magasin dans le futur, toute son expérience étant réduite à l’épisode malheureux de sa sortie du parking (Dholakia et al., 2010, p.92).

Dans l’étude sur la douleur ressentie pendant une coloscopie réalisée par Redelmeier et Kahneman (1996), les individus évaluent la douleur ressentie pendant la réalisation de l’acte médical, un mois puis un an après. Il ne leur est en aucun cas demandé de se prononcer sur d’autres stimuli, tels que le rapport avec le médecin ou la pièce dans laquelle a eu lieu l’examen. Nous ne savons rien sur la mémorisation de ces éléments, et de leur éventuelle influence sur l’évaluation globale de l’expérience et de son souvenir. Il en est de même pour l’exemple avancé par Dholakia et al. (2010). L’épisode du parking peut amener l’individu à ne plus fréquenter le canal mais est-il correct de résumer toute l’expérience de magasinage à la sortie du centre ? Le client se souviendra-t-il d’autres éléments de sa visite ?

129 1.2.5. Un exemple d’étude soulignant les décalages entre expérience et souvenir

immédiat

Nous avons comparé le souvenir post-expérience immédiatement collecté en sortie de magasin à l’expérience effectivement vécue par le chaland sur ses dimensions ‘praxéologique’ et ‘temporelle’, seules dimensions accessibles par observation (Flacandji, 2014). L’expérience a été collectée par observation non intrusive des comportements du chaland et son souvenir par l’intermédiaire d’un entretien semi-directif.

Il ressort de l’analyse que les effets du pic de l’expérience, de primauté et de récence se retrouvent. L’étude est allée au-delà de ces effets et montre en outre que certains éléments de l’expérience sont quasi-systématiquement remémorés, alors que d’autres, au contraire tendent à être oubliés (Tableau 2.2.). Dans la plupart des cas, le chaland se souvient de ce sur quoi son premier regard s’est porté, du sens général de sa visite, de ce qui a guidé ses pas, du premier produit qu’il a essayé, des produits qu’il a achetés, si le personnel est venu ou non à sa rencontre, du degré d’accompagnement qu’il a reçu, et des anecdotes qui sont venues jalonner son expérience. En revanche, dès lors qu’il s’agit de la remémoration de détails, des oublis et des distorsions apparaissent, constat qui corrobore l’idée que l’expérience engendre avant tout des souvenirs holistes. Les oublis et les distorsions sont d’autant plus nombreux que le parcours du chaland est complexe et étendu et qu’il a manipulé et testé beaucoup de produits. Pour ce qui est du souvenir du temps passé en magasin, les chalands ont des difficultés à se le remémorer. Pour ceux qui ne sont pas en mesure de rapporter avec exactitude le temps réellement passé en magasin, ils présentent une tendance à la surestimation (Fredrickson et Kahneman, 1993 ; Redelmeier et Kahneman, 1996).

130 Tableau 2.2. – Tableau synoptique des similarités et différences entre souvenir immédiat et parcours de magasinage (Flacandji, 2014, p.26)

Eléments invariablement rappelés

Eléments soumis à des distorsions et/ou des oublis

Parcours

1er regard

Table d'animation ; Personnel de vente ; Vitrine ; Balayage rapide de la boutique du regard pour trouver le rayon cherché

Chemin effectué

Sens général toujours rappelé (Côté par lequel le client est entré ; Zone(s) fréquentée(s)) Si parcours direct ou séquentiel direct, souvenir précis du chemin effectué

Si parcours réflexo-séquentiel direct ou indirect ou flânerie : apparition de décalages

Processus de décision de parcours

Automatique droit vers le produit recherché ; Suivi du parcours pensé et voulu par l'enseigne ; Fonction des besoins ; Fonction de l'accompagnement effectué par le personnel Interactions avec les produits Produit(s) essayé(s)

1er produit testé ; produit

préféré

Au-delà de 3 produits testés : distorsions mais surtout oubli systématique du nombre et des produits testés (souvenir de la catégorie)

Produit(s)

acheté(s) Achat pour soi

Achat pour autrui en cas de coffrets comprenant plusieurs produits

Processus de décision d'achat

Achat programmé et le client ne se détourne pas de son objectif ; Test du produit qui lève certains doutes et convainc la personne de procéder à un achat ; Conseils du personnel qui convainquent d’acheter le produit Interactions avec le personnel Client actif/réactif (1er contact)

Souvenir si le vendeur est spontanément venu proposer son aide ou pas

Degré d'accompa- gnement

Souvenir si : Simple bonjour (et éventuel encaissement) ; Prise en charge partielle ou totale Chronologi e Déroulement de l'expérience

Interaction avec le personnel de vente (moment de l'intervention)

Durée En cas de décalage, tendance à la surestimation

Autres remarques

Anecdotes, problèmes

Souvenir des anecdotes relatives au personnel, aux produits, au magasin

Oubli des éléments plus personnels (coup de fil de son enfant pendant la visite)

Moment le plus plaisant

Découverte des produits et du test de ceux-ci ; Interaction avec le personnel ; Trouver le produit recherché ; Flasher sur un produit ; Passage en caisse

131 1.3. Une expérience, des expériences de souvenir

Nous définirons successivement ce que nous entendons par expérience de souvenir et les conditions dans lesquelles ce type d’expérience particulier peut se produire.