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L’entreprise dispose d’une « boîte à outils expérientielle » pour lui permettre de proposer à ses clients des expériences plaisantes, créatrices de sens et mémorables (Kwortnik et Ross, 2007).

1.2.1. Les constantes de la production d’expérience

En utilisant comme clé de lecture la métaphore dramaturgique développée par Goffman (1973), Filser (2002) dégage trois constantes dans la production d’expérience : [1]. le décor ; [2]. l’intrigue ; et [3]. l’action. Cette structure subsiste quel que soit le contexte expérientiel, que les expériences soient produites ou coproduites par les entreprises.

[1]. Le décor (la théâtralisation)

L'environnement du magasin est une variable clé de l'expérience de magasinage. La finalité première du décor est de mettre en valeur l’offre proposée par l’entreprise afin de favoriser l’échange marchand. « Et dans ce décor, la théâtralisation confère à l’histoire un script prédéfini suivi par des acteurs – personnel et clients » (Ouvry et Ladwein, 2006, p.12). Le décor « n’est que la déclinaison du positionnement, le contexte dans lequel le produit est proposé » (Filser, 2002, p.19). Pour façonner son décor, l’entreprise dispose de tout l’arsenal du marketing expérientiel.

[2]. L’intrigue (le récit que raconte le produit)

Mettre en avant les caractéristiques du produit est une condition nécessaire mais non suffisante de réussite. En plus de dresser un « décor » autour du produit, la marque doit raconter un récit, son histoire. Les éléments constitutifs du point de vente sont utilisés par les entreprises pour conférer des valeurs morales et sociales à leur marque (Borghini et al., 2009).

Lorsqu’elles ne possèdent pas d’histoire suffisamment croustillante pour éveiller l’appétit des consommateurs, les marques peuvent s’inventer un passé et construire un mythe autour de leurs origines et de leurs racines. Cette tendance se reflète également dans la personnification des marques qui permet à ces dernières de transférer leurs valeurs à un personnage. Cette quête

49 d’authenticité (Cova et Cova, 2001), permise par le récit de son histoire, tente de rapprocher le consommateur de la marque et l’invite à s’investir pleinement dans une relation avec elle. L’authenticité perçue de la marque semble affecter favorablement la relation du consommateur à la marque (Camus, 2003 ; Napoli et al., 2014).

[3]. L’action (les relations entre le consommateur et le produit)

En conclusion du point relatif à l’intrigue, nous venons de parler d’invitation à la relation. C’est justement l’objectif de l’action que de relier le consommateur au produit et au décor. La construction de l’expérience ne sera complète que si une relation, même éphémère, se développe entre la marque et le consommateur. Cette relation devra par la suite être entretenue par la marque si elle ne souhaite pas que celle-ci s’altère.

Les événements organisés dans les canaux de distribution physiques peuvent être classés en deux catégories selon qu’ils divertissent ou qu’ils engagent le consommateur (Sit et Birch, 2014). Les clients ne réagissent pas tous de la même façon face à ces évènements. Certains, plutôt passifs, veulent se reposer et se divertir, tandis que ceux qui sont davantage actifs sont à la recherche de socialisation et d'exploration. Cette deuxième catégorie de client a tendance à rester plus longtemps dans le centre, à acheter plus, à partager son expérience avec autrui, et à vouloir revivre des expériences similaires dans le futur (Sit et Birch, 2014). Le plaisir retiré des événements organisés en magasin est généralement générateur de satisfaction (Leischnig, Schwertfeger et Geigenmueller, 2011 ; Sands, Oppewal et Beverland, 2008, 2009).

Filser (2002) conclut que la combinaison de ces trois constantes, le décor, l’intrigue et l’action, constitue un « habillage expérientiel » concourant à la production d’expériences gratifiantes pour le consommateur, que le produit soit à dominante fonctionnelle (par exemple : pâtes Panzani, moutarde Maille) ou expérientielle (par exemple : un CD) (Figure 1.3.).

Figure 1.3. – Le continuum de la production d’expérience de Filser (2002)

Contenu expérientiel faible Contenu expérientiel fort

Produits à contenu fonctionnel

Produits à « habillage expérientiel » Produits à contenu

expérientiel

50 La grille de lecture proposée par Filser est pour ainsi dire validée par Moisio et Arnould (2005) qui assimilent l’interaction du chaland avec son environnement à celle d’un spectateur avec une pièce de théâtre. En plus de la structure du drame incluant le décor, les acteurs et le public, les auteurs incorporent les concepts d’intensité dramatique (c’est-à-dire le niveau d’implication du client) et de contenu dramatique (c’est-à-dire les ressources culturelles mobilisées par le client). L’habillage expérientiel peut ainsi revêtir un caractère divertissant et ludique pour le consommateur. Ces univers divertissants ne sont pas l'apanage des distributeurs physiques et la gamification permet également d'engager les consommateurs envers les détaillants virtuels (Insley et Nunan, 2014).

1.2.2. Le contexte expérientiel, une agrégation de variables

Un contexte expérientiel est « un assemblage de stimulus (produits) et de stimuli (environnement, activités) propres à faire advenir l'expérience » (Carù et Cova, 2006a, p.44).

Plusieurs modèles ont tenté d’identifier les variables susceptibles d’influencer le vécu de l’expérience. D’après Verhoef et al. (2009), il convient de prendre en considération l’environnement social, l’interface de service, l’assortiment, le prix. Ils ajoutent les expériences passées du consommateur, dans le même canal, dans d’autres canaux de la marque ou dans ceux de concurrents. Bagdare (2013) recense quatre éléments de l’environnement susceptibles d’influencer l’expérience de magasinage : l’atmosphère du point de vente, sa commodité, son personnel et l’orientation de la relation. Trois dimensions sont communes à Hart et al. (2007) qui distinguent l’atmosphère du point de vente, son personnel, son accessibilité, et enfin son environnement en faisant référence à sa propreté ou encore sa sécurité. Ces deux dernières dimensions renvoient à la commodité de Bagdare (2013).

La plupart des recherches se sont intéressées à l’environnement ou l’atmosphère du point de vente. Nous préférons la notion de contexte expérientiel à celle d’atmosphère qui est plus réductrice. Cette dernière « se réfère à tous les éléments du magasin qui peuvent être contrôlés afin d'influencer les réactions affectives, cognitives, physiologiques et / ou comportementales des occupants (tant les consommateurs que les employés). Ces éléments peuvent être multiples et incluent des stimuli d'ambiance tels que la couleur, l'odeur, la musique, la lumière, et les matières, ainsi que les relations employés-clients » (Rieunier, 2000, p.6). Grewal et al. (2014, p.469) présentent une définition plus large puisqu’ils considèrent que l’atmosphère du magasin

51 concerne tout ce qui, dans le magasin, impacte l’environnement du consommateur. Le contexte expérientiel dépasse les frontières de l’environnement et inclut également l’offre de produit et toute l’histoire racontée par l’enseigne. Depuis Kotler (1973), de nombreux chercheurs se sont intéressés à l’influence de l’atmosphère du point de vente sur les comportements des consommateurs. Celle-ci est aussi bien source d’informations, à travers des processus cognitifs, que de stimulations à travers des processus plus affectifs (Derbaix et Filser, 2011). Nous recensons trois classifications de l’ensemble de ces stimuli.

Dissociation facteurs sociaux – de design – d’ambiance

Les variables d'atmosphère d'un point de vente se répartissent en trois catégories : les facteurs sociaux, de design et d'ambiance (Baker, 1986 ; Baker, Grewal et Parasuraman, 1994 ; Baker, Levy et Grewal, 1992). Les facteurs sociaux font référence à la présence et au contact avec les employés et les autres clients. Les facteurs de design comprennent l'ensemble des éléments visuels du magasin. Ils sont parfois dissociés en deux sous-catégories : ceux qui sont fonctionnels (disposition, signalisation), et ceux qui sont esthétiques (couleur, architecture, décor, propreté). Les facteurs d'ambiance concernent les éléments non visuels, tels que la musique, la température, les odeurs diffusées, etc.

Dissociation facteurs de performance – de contexte

L’expérience est le résultat de l’interprétation par l’individu de facteurs de performance (« performance clues ») et de contexte (« context clues ») émis aussi bien par les produits, les services que l’environnement dans lequel ils s’insèrent (Carbone et Haeckel, 1994). Berry et al. (2002) leur préfèrent la terminologie de facteurs fonctionnels (« functional clues ») et émotionnels (« emotional clues »). Les premiers sont relatifs à la fonction du produit ou du service et peuvent faire l’objet d’un traitement logique de la part de l’individu, tandis que les seconds sont associés à l’environnement et impliquent les émotions. Ces facteurs émotionnels se subdivisent en facteurs mécaniques (« mecanics clues ») qui font référence à des choses vues, entendues, senties ou testées, et en facteurs humains (« humanics clues ») qui émanent des individus et renvoient aux interactions sociales (Berry, Wall et Carbone, 2006 ; Carbone et Haeckel, 1994). Toute interaction du consommateur avec l’un de ces éléments constitue un moment de vérité pouvant influencer positivement ou négativement ses perceptions et ses réponses émotionnelles et comportementales.

52 Cette dissociation est à rapprocher de celle proposée par Eroglu, Machleit et Davis (2001, 2003) qui font la distinction entre les éléments d’un site internet qui sont pertinents pour permettre au consommateur d’atteindre ses objectifs (« high task relevant cues » : description des produits, prix, politique de retours, etc.) et ceux qui sont plus périphériques (« low task relevant cues » : animation, musique, etc.).

Dissociation facteurs statiques – dynamiques

Les éléments statiques et dynamiques de l'environnement favorisent l'immersion de l'individu dans l'expérience. Les éléments statiques correspondent aux éléments du design qui facilitent la mise en avant des produits et qui font ressortir les bénéfices psychologiques pouvant être associés au magasin (Healy et al., 2007). Schmitt (2003) en recense trois types : les marchandises et leurs attributs fonctionnels, l'aspect et la convivialité du magasin et le thème/message expérientiel. La mise en œuvre de ces éléments s’appuie sur les variables d’atmosphère. De leur côté, les éléments dynamiques renvoient aux échanges d’informations dynamiques et se matérialisent par l’interface « client - personnel en contact – magasin » (Schmitt, 2003). Le personnel en contact et l’interaction que le client peut avoir avec lui confère une dimension humaine à l’expérience.

Si le découpage proposé par Baker et ses co-auteurs est à ce jour le plus utilisé, tout comme la notion d’atmosphère du point de vente, il pourrait être intéressant de regarder quelle classification de ces stimuli reflète le mieux la catégorisation faite par le consommateur.

Tout l’enjeu pour l’entreprise consiste à intégrer l’ensemble des variables évoquées et leurs interactions dans la création d’un contexte expérientiel organisé autour d’un thème unifié et qui raconte une histoire cohérente au consommateur, de sorte à favoriser son immersion dans l’expérience. La thématisation est « une caractéristique de l’atmosphère et un vecteur d’harmonie et de congruence sensorielles » (Bonnefoy-Claudet, 2011, p.86). Pour Foster et McLelland (2015), cette congruence entre les éléments du contexte est une condition nécessaire (Fiore, Yah et Yoh, 2000 ; Mattila et Wirtz, 2001 ; Mitchell, Kahn et Knasko, 1995), mais non suffisante. Le point de vente doit être un véritable construit physique spécifique (« specific physical construct ») qui évoque un certain schéma comme a pu le faire l’enseigne Hollister en concevant des magasins semblables à des maisons de plage, avec tout ce que cela entraîne dans l’esprit du client. Il s’opère une inversion de la relation entre produit et point de vente (Bonnin, Lichtlé et Plichon, 2000) où l’histoire racontée autour de la marque devient plus importante que

53 le produit (Hollenbeck, Peters et Zinkhan, 2008), le point de vente passant du statut de lieu de mise en scène de l’objet à celui d’objet de la mise en scène (Hetzel, 2002).