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1.3. La place du consommateur dans le processus de production de l’expérience

1.3.1. De la mise en scène à l’appropriation par le consommateur

Pour poursuivre l’analogie au théâtre, l’entreprise construit un théâtre et une scène sur laquelle ses produits sont exposés et où le consommateur se produira (Cova et Dalli, 2010 ; Firat et Dholakia, 1998 ; Hoëllard, 2013). La mise en scène de l’offre par l’entreprise n’a donc de sens que si le chaland s’en empare lors de sa visite. Dans le cas contraire, les efforts consentis par l’entreprise restent vains (Petr, 2002). Derrière cette idée se cache un concept apparu pour la première fois en psychologie suite aux travaux de Marx et Leontiev, celui de l’appropriation. Ce dernier est souvent définit comme l’action de faire sien quelque chose, ce quelque chose pouvant être un espace personnel, un espace marchand (Fontaine, 2002 ; Renaud, 2007), un objet, une expérience ou encore une technologie. L’appropriation, active et visible, peut être individuelle ou collective (Carù et Cova, 2003).

En ce qui nous concerne, c’est l’appropriation de l’expérience qui nous intéresse. Certains auteurs expliquent qu’elle permet de rendre compte des diverses actions réalisées par le consommateur pour s’immerger dans une expérience, plutôt que de faire la simple rencontre de produits finis. Son domaine d’application est relativement large, allant de l’immersion dans un concert (Carù et Cova, 2003), à la distribution de musique sur Internet (Chaney, 2007) en passant par l’appropriation de son lieu de vacances (Ladwein, 2003). Dans le domaine de la distribution, Foster et McLelland (2015) ont montré que les environnements thématisés conduisent à une immersion et des niveaux de plaisir liés à l’activité de magasinage plus importants. Le client pour lequel une telle activité est censée être plaisante est à la recherche d’un magasin au décor attractif, source de plaisir et d’éveil (Forsythe et Bailey, 1996) et ceci

54 est notamment rendu possible par l’utilisation des variables d’atmosphère. L’Encadré 1.1. aborde le fait qu’une expérience corporelle peut influencer les perceptions du consommateur.

Encadré 1.1 – Des stimuli d’atmosphère à l’expérience corporelle

Lorsque qu’un individu vit une expérience, ses sens sont soumis à de nombreux stimuli sensoriels. Les expériences corporelles se définissent comme « les sensations physiques évoquées par le monde extérieur, comme celles provoquées par l’environnement d’un espace commercial » (Möller et Herm, 2013, p.4399). Elles sont à prendre en considération car elles affectent les perceptions du consommateur (Meyers-Levy, Zhu et Jiang, 2010) et la connaissance qu’il garde en mémoire (Barsalou, 2008). L’environnement sensoriel du magasin permet ainsi à la marque de se construire (Hollenbeck et al., 2008) puisque les stimuli d’atmosphère que le consommateur perçoit, consciemment ou non, peuvent se retrouver dans la perception de la marque : s’il fait chaud dans le magasin, la marque sera perçue chaude (Möller et Herm, 2013).

En se basant sur les travaux de Fischer (1981, 1983) sur l’appropriation de l’espace, Carù et Cova (2003) expliquent que le processus d’appropriation amenant à l’immersion dans l’expérience de consommation se déroule en trois étapes : [1]. la nidification ; [2] l’exploration ; et [3]. le marquage :

[1]. La nidification

Durant cette première étape du processus d’appropriation, l’individu va s’employer à isoler la partie de l’expérience qu’il a déjà rencontrée par le passé ou qui lui semble familière. Fischer (1983, p.48), la conçoit comme « des offres d’installation qui se réfèrent toujours plus ou moins explicitement à la création d’un chez soi, et qui, par toutes sortes d’artifices et d’aménagements, permettent à l’individu de faire son nid ». Elle permet donc à l’individu d’avoir une certaine emprise sur l’expérience.

[2]. L’exploration

Cette phase est l’occasion pour l’individu de quitter son « nid » et d’explorer le contexte expérientiel, afin de développer sa propre connaissance de l’expérience.

55 [3]. Le marquage

Après avoir exploré et étendu son territoire, l’individu va conférer du sens à l’expérience qu’il est en train de vivre. Si l’entreprise propose un contexte expérientiel, la production de sens n’est le fruit que de l’individu. Pour que le réenchantement orchestré par l’entreprise soit réussi, il faut qu’il attribue un sens à ce qu’il vit.

Ce qui se cache réellement derrière ce concept d’appropriation est que l’individu, en faisant sien le mobilier et les autres éléments du décor, peut s’immerger pleinement dans l’expérience (Carù et Cova, 2003). Ces mêmes auteurs la définissent comme « un moment fort vécu par le consommateur et résultant d’un processus partiel ou complet d’appropriation de sa part ». Chaque point de contact est un moyen pour la marque de s'exprimer (Diller, Shedroff et Rhea, 2008). Toutefois, le client doit se retrouver dans l'histoire racontée, voire même mieux être impliqué dans celle-ci (Hoëllard, 2013). Pour cela, personnalités du client et de l’enseigne doivent être congruentes (Lombart et Louis, 2012). Ce n’est qu’à cette condition qu’il s’appropriera l’histoire racontée par l’enseigne et qu’il pourra se construire un « chez lui » physique, mental, affectif et spirituel (Carù et Cova, 2003), conditions nécessaires pour qu’un lien privilégié entre lui et l'enseigne puisse se créer (Hoëllard, 2013). Si la production d’environnements thématisés, sécurisés et clos (Firat et Venkatesh, 1995), et le rôle du personnel en contact favorisent le « plongeon » dans des expériences extraordinaires, son accès n’est ni évident, ni systématique (Ladwein, 2002). Des différences peuvent exister entre le type d’expériences (ordinaires vs. extraordinaires). Les réponses des consommateurs peuvent également différer même lorsqu'ils font face à un contexte expérientiel similaire (Giebelhausen, Robinson et Cronin, 2011 ; Guiry, Mägi et Lutz, 2006).

La première expérience avec une marque est souvent déterminante pour la suite de la relation avec celle-ci (Benoît-Moreau, 2008). Il en est de même pour le premier contact avec un produit. La façon dont le client apprend à l’utiliser conditionne souvent son adoption. Il est bien connu que l’expérience est le meilleur professeur (Hoch et Deighton, 1989). Les entreprises peuvent ajouter de la valeur à ce premier contact et à l'expérience globale du client en lui permettant de vivre ce que Lakshmanan et Krishnan (2011) qualifient d’« expérience Aha! ». L’exploration permise par les essais gratuits, combinée à une interaction avec un membre du personnel dans le cadre d’une expérience de magasinage, réduisent le coût d’apprentissage par rapport à un apprentissage reposant sur la simple lecture des consignes d’utilisation du produit, et

56 augmentent la probabilité de vivre une « expérience Aha ! » (Lakshmanan et Krishnan, 2011) qui, à son tour, peut conduire à des réactions affectives favorables à l’entreprise. Qui plus est, contrairement à une expérience où le client est livré à lui-même, l’interaction permet de contrôler le contenu de l’apprentissage (Hoch et Deighton, 1989).