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S ECTION 1 – R ETOUR SUR LA NOTION D ’ EXPERIENCE : DEFINITION , ENJEUX ET

2.1. L’expérience de consommation vue comme un processus

2.2.8. Dimension ‘temporelle’

La ressource « temps » est présente dans tous les comportements des individus (Venkatesan, Anderson, Schroeder et Wong, 1992) et figure également parmi les entrées du modèle expérientiel d’Holbrook et Hirschman (1982). Etrangement, cette dimension n’apparaît que dans la conceptualisation de Roederer (2008). Nous nous rallions à cette dernière et considérons la variable temporelle comme étant importante.

43 Deux conceptualisations du temps existent. Pour certains, le temps est uniforme et la perception de celui-ci par le consommateur équivaut au temps physique mesuré à l’aide d’un chronomètre (Hornik, 1984 ; Katz, Larson et Larson, 1991 ; Taylor, 1994). Pour d’autres, le temps est subjectif et interne, et sa perception dépend des processus mentaux mis en place par l’individu (Bergadaà, 1990 ; Cotte, Ratneshwar et Mick, 2004 ; Feldman et Hornik, 1981 ; Usunier et Valette-Florence, 2007). Les chalands surestiment par exemple la durée d’attente en caisse (Hornik, 1984) car cet épisode de leur expérience s’apparente à un temps mort où ils sont inoccupés (Maister, 1985). La perception du temps dépend en partie des émotions ressenties par la personne, d’où le fait qu’une attente de cinq minutes en caisse puisse ne pas être évaluée de la même façon entre deux individus. L’orientation temporelle de ces derniers est une explication possible de ces différences de perception (Bergadaà, 1990).

Le temps ne doit pas simplement être vu comme le moment où l’expérience a lieu, mais comme une caractéristique de l’expérience en elle-même (Woermann et Rokka, 2015). Roederer (2008) choisit d’ailleurs de parler de ‘rapport au temps’ et pas simplement de dimension ‘temporelle’ pour accentuer le fait que l’individu peut agir sur le temps de l’expérience : il a conscience du temps, le mesure et le contrôle.

En plus de l’orientation temporelle (Bergadaà, 1990), Roederer (2008) suggère que la spécificité du contexte expérientiel peut influencer le rapport au temps. Les résultats de sa recherche en font ressortir trois types :

[1]. le temps comme « durée à combler », dont la flânerie dans les rayons peut en être un exemple. Le fait d’aller dans le magasin devient un moyen de « ne pas voir le temps passer » ; [2]. le temps comme « ressource à contrôler », qui reflète l’idée que le consommateur cherche à contrôler la durée de son expérience et/ou à ne pas la subir. Les chercheurs se sont intéressés à la relation entre le temps d’attente et l’évaluation d’un service (Taylor, 1994) et sur les décisions d’achat d’un produit ou d’un service (Tsai et Zhao, 2011).

[3]. le temps comme « rythme » à ralentir ou à retrouver, qui souligne le fait que le consommateur peut agir de manière symbolique sur l’expérience. A travers une expérience particulière, l’individu est en capacité de vivre un moment d’apaisement différent du rythme effréné des autres moments de la vie quotidienne. S’adonner à une activité de shopping peut ainsi être un temps pour soi où les problèmes quotidiens sont évacués l’espace de quelques instants.

44 Woermann et Rokka (2015, p.1487) ont récemment introduit la notion de « timeflow » qu’ils définissent comme « a practice’s ability to induce a certain pattern of experienced temporality in those performing the practice ». Derrière cette notion se cache l'idée que les événements qui composent une expérience s'enchaînent à des vitesses et des rythmes qui peuvent différer, et que ces changements peuvent affecter le vécu de l’expérience. Le timeflow est influencé par cinq éléments que nous nous permettons de transposer au contexte de magasinage puisque cette notion a initialement été étudiée dans un tout autre domaine (paintball et ski freestyle) : [1]. le matériel nécessaire pour la pratique, comme le fonctionnement des caisses du magasin ; [2]. les routines et les compétences corporelles peuvent jouer un rôle sur la durée de l’expérience du chaland, ce dernier pouvant utiliser ses expériences passées pour mettre en place des stratégies comme optimiser ses déplacements pour acheter l’ensemble des produits désirés ; [3]. les structures téléoaffectives désignent les objectifs que l’individu s’est fixés et les émotions et les sentiments considérés comme étant acceptables durant la pratique (Schatzki, 2002). Le chaland qui va faire ses achats de Noël un 24 décembre est conscient du stress qui l’accompagnera tout au long de son expérience ; [4]. les règles mises en place par l’enseigne influencent les pratiques, comme la possibilité de retourner le produit sans frais ni pénalité s’il ne convient pas, ou l’organisation d’une animation pour une durée limitée qui peut pousser le chaland à se comporter différemment ; et [5]. les sensibilités culturelles qui comprennent les discours, les tropes culturels ou les systèmes de valeurs. Toute pratique peut être vue comme un moyen d’exprimer une certaine sensibilité. Tel que développé par Woermann et Rokka (2015), ce dernier facteur nous semble en lien avec la dimension ‘symbolique’ de l’expérience même si nous comprenons qu’il puisse impacter le timeflow de l’expérience. Les grandes surfaces alimentaires ont par exemple la volonté de donner l’impression à leurs clients qu’ils passent le moins de temps possible à faire leurs courses et font des efforts pour minimiser la durée du passage en caisse. A l’inverse, les magasins de luxe cherchent à suspendre le temps et à prendre soin du client à chacune des étapes de sa visite, le paiement pouvant se faire autour de la dégustation d’un café.

Quatre recherches font référence à la nouveauté entourant l’expérience. Nous considérons que cet élément ne constitue pas une dimension de l’expérience au sens strict mais une variable susceptible de l’influencer. Si nous devions toutefois rattacher cet élément à une dimension, nous le rapprocherions de la ‘sensori-perceptuelle’. D’ailleurs, une des caractéristiques de la nouveauté selon Otto et Ritchie (1996) réside dans l’évasion permise au cours de l’expérience. La dimension ‘normative’ proposée par Michaud-Trévinal (2013) et les dimensions ‘éléments

45 physiques’, ‘variété des produits et de l’assortiment’ de Terblanche et Boshoff (2001) nous semblent, quant à elles, être des éléments du contexte expérientiel.

La confrontation des conceptualisations existantes dans la littérature nous permet de soutenir l’existence d’une convergence entre expériences physiques et en ligne au niveau de leurs dimensions constitutives.

L’ensemble des définitions de l’expérience nous conduit à définir l’expérience de magasinage comme l’interaction entre le chaland, une enseigne et l’ensemble des composantes du contexte expérientiel (produits, atmosphère, personnel en contact, etc.), que celui-ci soit réel ou virtuel, et qui implique chez lui des réponses à différents niveaux. Une revue de la littérature relative aux conceptualisations de l’expérience nous amène à retenir sept dimensions de l’expérience de magasinage : [1]. une dimension ‘affective’ ; [2]. une dimension ‘sensori-perceptuelle’ ; [3]. une dimension ‘cognitive’ ; [4]. une dimension ‘pragmatique’ ; [5].une dimension ‘sociale’ ; [6]. une dimension ‘symbolique’ ; et [7]. une dimension ‘temporelle’.

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