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Chapitre II : Les citoyens de la cité et la dévotion aux dieux gréco-romains

B. Mars, le dieu des magistrats.

1. La documentation épigraphique

Selon F. Bertrandy382, le dieu romain de la guerre fait l’objet de dix-huit dédicaces,

mais il est aussi à l’origine d’un flaminat officiel dans la cité.

Derrière Mercure, Mars apparaît comme la seconde divinité la plus honorée sur les textes épigraphiques, mais il se distingue, comme nous allons le voir, avant tout par la qualité des dédicants qui appartiennent tous à l’élite allobroge383, alors que Mercure, lui, se

singularise par le nombre d’autels et d’ex-voto qui lui sont consacrés. a. A Vienna, à Cularo et en Savoie.

Dans la capitale, un certain Sex. Contessius Verus384 a dédié à Mars un texte pouvant dater du Ier ou du IIème siècle. Ce personnage de la gens Contessia, dont l’un des membres fut

duumvir à Royans (ILN 331. 338), fut lui-même édile. Le lieu de découverte a l’air, de plus, de coïncider avec l’emplacement du temple de Mars à Vienna.

A Cularo, deux documents attestent la présence du dieu. Le chevalier Decimus Decmanius Caper385, connu par deux autres témoignages (ILN 363. 370), a laissé une

dédicace testamentaire, à l’époque julio-claudienne, avec une donation de statues à Mars et Saturne, dont le coût aurait atteint les cinquante mille sesterces. Sous-préfet de cavalerie, il n’est pas le seul avoir fait ce type de don (ILN 621 à Pont-de-Beauvoisin – ILN 597 et 598 à

379B. Rémy, N. Mathieu, Les femmes en Gaule romaine (Ier siècle av. J.-C. – Vème siècle ap. J.-C.), Paris, 2009, p. 152. B. Rémy semble ,

depuis peu, partager le fait que Mercure avait certainement, dans la cité, une personnalité et des fonctions très proches du dieu de Rome.

380N. Laubry, Marcus Herennius Albanus, affranchi lyonnais, adepte du culte de Mercure , in H. Savay-Guerraz, A. Destat ( sous la dir.),

Rencontres en Gaule romaine, 2005-Expo. Lyon, 2005, p. 51 à 54. L’auteur précise que Mercure est accompagné de Maïa, comme c’est parfois le cas à Lyon : C.I.L. XIII 1767, 1768.

381I. Tournié, C. Jourdain-Annequin, Le culte de Mercure et de Mars, in Atlas culturel des Alpes occidentales, Paris, 2004, p. 202 et 203. 382F. Bertrandy, Le culte de Mars dans la cité de Vienne, R.A.N., t.33, 2000, p. 223 à 246 – Carte, p. 489.

383A. Allély, Comptes rendus, REA, 109, 2, 2007, p. 804 à 807 – à propos : Mars en Occident. Actes du Colloque international « Autour

d’Allonnes (Sarthe), les sanctuaires de Mars en Occident », Le Mans, 4-6 Juin 2003, Rennes, 2006. L’auteur rappelle l’analyse de M. Th. Raepsaet-Charlier sur les cultores en Gaule Belgique et dans les Germanies. Il est intéressant de souligner que cette dernière note que Mars est notamment très présent chez les élites et dans le culte public.

384R 28 – A. Pelletier, B. Rémy, Inscriptions latines de Narbonnaise, V1, Vienne, Paris, 2004 : ILN 11.

385R 58, 61 et 62 – CIL XII 2218. 2225. 2231 ; B. Dangréaux, B. Rémy, Inscriptions Latines de Narbonnaise, V2, Vienne, Paris, 2004 : ILN

87 Aoste – ILN 812 et 823 à Genève). Les statues de bronze devaient servir ici d’ornementation à un monument. Toujours à Grenoble, deux membres de la gens Cassia, Severinus et Censorinus ont fait ériger un autel en l’honneur de Mars auguste.386

En Savoie, la divinité a fait l’objet d’une seule et unique dédicace. Le document, dont la datation est indéterminée, a une formule votive utilisée dans six occurrences sur le sol viennois. Il est l’œuvre d’un certain C. Betutius Hermes387 (surnom théophore grec), sévir

augustal à Pont-de-Beauvoisin.

b. Dans les contrées haut-savoyardes.

A la différence du dieu primordial du panthéon allobroge, c’est dans ce département que Mars est le plus fréquemment invoqué ;

Il est ainsi honoré, à l’époque julio-claudienne, par un membre de la gens Iulia à Annecy, se nommant Marcus Iulius Magnus388 (porteur d’un gentilice impérial et d’un

surnom latin). Nous pouvons aussi émettre qu’à Cran-Gevrier, non loin de Boutae, un autel ait été dédié soit à Mercure, soit à Mars par le riche évergète Sex. Iulius Optatus389, qui est issu

de la même famille que Magnus. En effet, ce personnage vivant sous les Julio-Claudiens est l’auteur d’une autre dédicace à Annecy, où il honore la dieu primordial du panthéon allobroge (ILN 755 - I.L.H.S. 4). Toutefois, l’épigraphie nous apprend parallèlement qu’Optatus a tenu le flaminat de Mars. La divinité indéterminée honorée par l’autel de Cran-Gevrier devait donc être l’un des deux grands dieux.

Trois personnages lui rendent hommage dans le haut sanctuaire de Passy390. Au Ier ou au IIème siècle, Aulus Isugius Vaturus391 a fait graver un ex-voto. Vaturus est un magistrat de

la cité ayant occupé les fonctions de duumvir du trésor et de flamine d’Auguste. Dans ce lieu sacré, au lieu-dit Les Outards, un autre magistrat a laissé un ex-voto à Mars auguste, Lucius Vibius Vestinus392. Après son duumvirat et son flaminat, il a atteint la plus haute charge civique de la cité, le triumvirat locorum publicorum persequendorum. Une dernière dédicace est l’œuvre de Marcus Arrius Gemellus393, questeur des deniers publics et duumvir du trésor.

Il acheva son cursus par le flaminat de Mars.

Plusieurs témoignages ont été découverts dans ce même département, non loin de

Genava. A Annemasse, un certain Firmus394 a, en 5 ap. J.-C., laissé un hommage. La cité

étant, sous Auguste, une colonie latine, Firmus devait être un pérégrin suffisamment riche. Deux textes ont été découverts non loin de là, à Ville-la-Grand. Sous les Julio-Claudiens, Iulius Saturninus395 au surnom théonyme a fait une dédicace à Mars. A la fin du Ier siècle,

386R 59 – ILN 358 – CIL XII 2219 ; B. Rémy, J.-P. Jospin, Inscriptions Latines de Grenoble et de son agglomération, IL de Grenoble n°8,

Grenoble, 2002, p. 102 et 103 – Annexe, p. 385.

387R 134 – 621 – Annexe, p. 386.

388R 165 – ILN 753 ; F. Bertrandy, Le culte de Mars dans la cité de Vienne, R.A.N., t.33, 2000, p. 223 à 246 ; F. Bertrandy, M. Chevrier, J.

Serralongue, Carte Archéologique de la Gaule, La Haute-Savoie, C.A.G. 74, Paris, 1999, p. 132 – Annexe, p. 387.

389R 169 – ILN 771 ; B. Rémy, I.L.H.S. 50, Annecy, 1995 – Annexe, p. 392.

390B. Rémy, La répartition des inscriptions latines dans la cité de Vienne – un moyen d’appréhender la latinisation et la romanisation des

campagnes, La Pierre et l’Ecrit, 19, Revue d’histoire et du patrimoine du Dauphiné, Grenoble, 2008, p. 16 à 18.

391R 153 – ILN 547 – CIL XII 2349 – I.L.H.S. 79 ; F. Bertrandy, M. Chevrier, J. Serralongue, C.A.G. 74, Paris, 1999, commune n°208, p.

286 ; F. Bertrandy, Le culte de Mars dans la cité de Vienne, R.A.N., t.33, 2000, p. 239, n° 15 – Annexe, p. 389.

392R 155 – ILN 548 – CIL XII 2350 – I.L.H.S. 80 ; F. Bertrandy, M. Chevrier, J. Serralongue, C.A.G. 74, Paris, 1999, commune n°208, p.

287 ; F. Bertrandy, Le culte de Mars dans la cité de Vienne, R.A.N., t.33, 2000, p. 239, n°16 – Annexe, p. 389.

393R 156 – ILN 549 – I.L.H.S. 81 ; F. Bertrandy, Le culte de Mars dans la cité de Vienne, R.A.N., t. 33, 2000, p. 239, n°14 ; L. Blondel,

Bulletin de la Société d’Histoire et d’Archéologie de Genève, 5, 1932, p. 248 – Annexe, p. 390.

394R 178 – ILN 800 – CIL XII 2574 – I.L.H.S. 39 – Annexe, p. 387.

395R 179 – ILN 805 – CIL XII 2578 – B. Rémy, I.L.H.S. 112, Annecy, 1995 – F. Bertrandy, R.A.N., t.33, 2000, p. 239, n°19 – Annexe, p.

88 c’est un homme nommé Lucius Valerius Amibilis396 qui a offert un monument pour la

divinité. Prêtre de Mars, appartenant à la célébrissime gens Valeria (d’où est issu le sénateur Valerius Asiaticus), son sacerdoce n’entre pas dans le cadre du flaminat, son rôle religieux devant être plus local.

A Douvaine, un ex-voto associe Jupiter et Mars dans un hommage de D. Iulius Capito397, de la gens Iulia de Genava. Capito est un très haut magistrat de la cité ayant

parcouru tout le cursus civique et les plus hautes charges religieuses comme le flaminat de Mars. A Thiez, dans le Faucigny, un dernier dédicant, dont on ne peut restituer la dénomination a honoré le dieu.398

c. A Genava.

Quatre dernières épigraphes ont été mises au jour sur les rives du lac Léman, au cœur du troisième grand centre de la cité.

Un premier personnage, anonyme399, a rendu hommage à Mars. Un important évergète

de la gens Sennia, C. Sennius Sabinus400, a fait aussi graver un texte au dieu. Sabinus est

connu par différents documents écrits : à Saint-Pierre-de-Curtille où il s’adresse à une divinité indéterminée (ILN 634) – à Marigny-Saint-Marcel où il fait donation d’adduction d’eau et d’installations thermales (ILN 721. 722. 723). Ces derniers textes nous renseignent sur le fait que Sabinus occupait la préfecture des ouvriers. Un autel de calcaire a peut-être été érigé à Mars au Ier ou au IIème siècle par un citoyen romain du nom de Caius Atilius Atticus.401

Enfin, également au premier ou au second siècle, un monument a été édifié par deux membres de la gens Cassia, M. Cassius Mercator et Lucius Cassius Asper402, qui associent Mars à Jupiter et Mercure. Ce type d’association est rarissime, si ce n’est en compagnie d’autres divinités comme à Remagen (ILS 4634) sur un autel consacré à eux trois, ainsi qu’à Hercule et au Génie du lieu.

d. Les mentions du flaminat de Mars.

L’épigraphie nous enseigne corrélativement que la cité des Allobroges s’est dotée d’un flaminat officiel à Mars. Ces desservants sont tous de hauts magistrats, qui ont, pour la plupart, tenus différentes charges civiles, voire religieuses au cours de leur carrière. Le culte de Mars est donc soutenu officiellement par des membres éminents de l’élite viennoise, soulignant l’importance de la divinité dans le panthéon allobroge.

Huit flamines sont référencés par des textes, en majorité des épitaphes. Ainsi, un document, datant de la fin du Ier siècle ou du début du IIème siècle, nous fait connaître dans la

capitale Sammonis403 qui a été flamen Marti. A Cularo, Aulus Caprilius Antullus404 a également été responsable du culte municipal du dieu.

396R 180 – ILN 806 – I.L.H.S. 113 – Annexe, p. 386.

397R 181 – ILN 809 – I.L.H.S. 57 ; F. Bertrandy, Le culte de Mars dans la cité de Vienne, R.A.N., t.33, 2000, p. 239, n°21 – Annexe, p. 396. 398R 182 – ILN 814 – I.L.H.S. 108 – C.A.G. 74, commune n°278, p. 348 – Annexe, p. 387.

399R 203 – F. Wiblé, I.L.N., V3, Vienne, Paris, 2005 : ILN 828 ; F. Bertrandy, Le culte de Mars dans la cité de Vienne, R.A.N., t. 33, 2000, p.

240, n°24 – Annexe, p. 388.

400R 202 – ILN 827 – CIL XII 2592 ; F. Bertrandy, Le culte de Mars dans la cité de Vienne, R.A.N., t33, 2000, p. 240, n°23 – Annexe, p.

388.

401R 210 – ILN 840 – Annexe, p. 398

402R 100 – CIL XII 2589 ; F. Wiblé, I.L.N., V3, Vienne, Paris, 2005 : ILN 823 ; F. Bertrandy, Le culte de Mars dans la cité de Vienne,

R.A.N., t. 33, 2000, p. 239, n°22.

403R 33 – CIL XII 1899 – ILN 107 ; F. Bertrandy, Le culte de Mars dans la cité de Vienne, R.A.N., t. 33, 2000, p. 238, n°3 ; J. Gascou,

Inscriptions Latines de Narbonnaise, V1, Vienne, Paris, 2004, p. 43 à 50 – Annexe, p. 390.

404R 63 – ILN 374 – CIL XII 2236 ; A. Pelletier, F. Dory, W. Meyer, J.-C. Michel, Carte Archéologique de la Gaule, L’Isère, C.A.G. 38/1,

89 Deux autres magistrats sont recensés en Savoie. Un anonyme405, flamine, a fait ériger

un temple à la fin du Ier siècle ou au début du second siècle dans le sanctuaire de Brison-Saint-

Innocent. Ce monument est-il dédié à Mars ? La question mérite d’être posée d’autant plus, qu’en se référant à W. Van Andringa, en Gaule, le mot templum dans les inscriptions atteste « en particulier les édifices consacrés aux divinités officielles de la cité ».406

Une épitaphe à Saint-Alban-de-Leysse nous renseigne sur Sextus Decidius407, membre

de la plus importante famille de la Combe de Savoie, la gens Decidia. Magistrat civique en tant que quattuorvir, il a tenu le flaminat de Mars, et fut décoré par Tibère entre 14 et 37, ce qui montre la dignitas de ce notable allobroge.

Parallèlement, nous avons déjà rencontré deux flamines en Haute-Savoie qui ont fait des actes d’évergétisme à l’égard de Mars. Dans le sanctuaire de Passy, le texte de Marcus Arrius Gemellus408 nous apprend qu’après avoir été questeur, puis duumvir, il a occupé cette

charge sacerdotale. Le texte de Cran-Gevrier nous permet de savoir que le riche évergète et notable Sex. Iulius Optatus409 a aussi été flamen Marti au Ier siècle.

A Genève, une autre épitaphe nous fait connaître le quattuorvir Aemilius Tutor410, qui

fut flamine de Mars avant le changement de constitution. Toujours sur les rives du Léman, un témoignage nous fait savoir que le très haut magistrat, D. Iulius Capito411, connu par des textes de Vienna et Douvaine, qui a parcouru tous les honneurs, a été flamine de Mars sous le règne de Trajan.

Les tableaux récapitulatifs412 sur le culte de Mars permettent de tirer de nombreux

enseignements.

Géographiquement413, les documents ne sont pas vraiment répartis d’une manière

homogène sur le territoire. Si 40% de ceux-ci ont été découverts dans les agglomérations importantes, il faut remarquer leur concentration étonnante dans la partie orientale de la cité. Ainsi, ce sont 70% des témoignages qui ont été mis au jour dans les seuls pagi d’Apollon et d’Auguste, autour de Boutae et Geneva. Dans la partie occidentale, dans l’actuelle Isère, il n’y a aucune trace épigraphique en dehors de Vienna et Cularo. Enfin, très peu de dédicaces ont été trouvées en Savoie. Au premier abord, l’analyse du seul flaminat de Mars semble offrir une vision géographique beaucoup plus équilibrée : 25% en Isère, 25% en Savoie, 25% en Haute-Savoie et 25% dans le Genevois ; alors que 50% de ces épigraphies mentionnant ce sacerdoce ont été localisées dans les trois grands centres urbains. Cependant, si, comme c’est très certainement le cas, le magistrat A. Caprilius Antullus est bien issu de la gens Caprilia de

Boutae, alors ce ne sont pas moins de 60% des flamines qui seraient originaires des pagi

d’Apollon et d’Auguste. Le culte du dieu a donc connu un succès certain entre les lacs d’Annecy et du Léman, et ceci notamment auprès des élites locales. Pour reprendre les termes I. Tournié et C. Annequin414, Mars paraît avoir pénétré davantage les terres que Mercure. Son

405R 123 – ILN 696 – CIL XII 2458 – C.A.G. 73, commune n°59, p. 132 ; F. Bertrandy, Le culte de Mars dans la cité de Vienne, R.A.N., t.

33, 2000, p. 238, n°11 – Annexe, p. 391.

406W. Van Andringa, La religion en Gaule romaine. Piété et politique (Ier-IIIème siècle ap. J.-C.), Paris, 2002, p. 105.

407R 145 – ILN 638 ; H. Barthélémy, C. Mermet, B. Rémy, La Savoie gallo-romaine, Chambéry, 1997, p. 184 et 185 – Annexe, p. 391. 408R 156 – ILN 549 – I.L.H.S. 81 – Annexe, p. 390.

409R 169 – I.L.H.S. 50. 410R 188 – ILN 849. 411R 211 – ILN 845. 412Tableaux, p. 115 et 208. 413Carte, p. 489.

414I. Tournié, C. Jourdain-Annequin, Le culte de Mercure et de Mars, in Atlas cultuel des Alpes occidentales, Paris, 2004, p. 202 et 203. I.

Tournié a soutenu sa thèse à l’Université Pierre Mendès France de Grenoble : « Religion et acculturation des peuples alpins dans l’Antiquité » sous la direction de C. Jourdain-Annequin, Grenoble, Décembre 2000.

90 culte demeure néanmoins lié à l’urbanisation progressive de la cité et à l’usage essentiel des sanctuaires ruraux.

Concernant la datation, au moins 50% des documents datent du Ier siècle, et trois d’entre eux témoignent de la précocité du culte. En effet, deux flamines ont été quattuorvirs. Or, cette charge municipale est attestée dans la cité uniquement avant le changement de constitution, c’est-à-dire avant 37-41 ap. J.-C. Le pérégrin Firmus a même gravé une dédicace à la divinité, sur une plaque de grès à Admatia, datant de 5 ap. J.-C. Un autre tiers des écrits date soit de la fin du Ier siècle, soit du début du IIème siècle. Pour le reste des témoignages,

nous ne possédons pas de datation précise. Par comparaison, le culte de Mercure semble jouir d’une pérennité bien plus insigne.

Plus singulier est le fait qu’on ne peut recenser, sur l’ensemble de la documentation se référant à Mars, que trois ex-voto, et aucun texte n’a été gravé ex-stipe. De plus, les dédicants n’ont procédé qu’à l’érection de trois autels, un monument, et un temple. Enfin, une donation a été faite pour une statue. Sur les huit épigraphes révélant la présence d’un flamine, 50% sont des épitaphes, et une seule et unique fois les dieux Mânes y sont invoqués. En grés, marbre, calcaire jaune ou blanc, 70% des témoignages ont été gravés sur des plaques ou de simples blocs ; ce qui peut paraître paradoxal au regard de la qualité et du statut des dédicants vénérant Mars.

En effet, à l’inverse du très populaire dieu Mercure dont le culte touche les élites aussi bien que le peuple (voir les graffiti de Châteauneuf), Mars n’est honoré que par des membres de l’aristocratie viennoise, si on excepte les textes d’Annemasse (R 178), Genève (R 203), Thiez (R 182), dont les dédicants nous demeurent anonymes.

Les magistrats civils, militaires et religieux représentent 70% des intervenants, et 30% du corpus relèvent du seul flaminat de Mars (nous reviendrons ultérieurement et plus particulièrement sur ce flaminat dans le chapitre « Promotion et charges sacerdotales »415).

Edile, préfet de cavalerie, sévir augustal, duumvir financier ou juridictionnel, questeur, flamine impérial, préfet des ouvriers, tribun des soldats, augure, ou encore triumvir, le statut des dédicants montre l’implication des élites allobroges dans le culte du dieu. Parallèlement, il faut noter que 50% des personnages sont issus des grandes familles viennoises : gentes Contessia, Cassia, Caprilia, Iulia, Valeria, Sennia et Decidia. Certains membres de ces fratries (Cassia, Iulia, et Sennia) honorent également Mercure. Mais ce qui est encore plus significatif, c’est de constater que, comme pour Mars, les grandes lignées ont surtout été vénérées le dieu primordial dans les pagi d’Apollon et d’Auguste.

Tous ces enseignements peuvent également s’expliquer par le caractère de Mars. Dans l’épigraphie, il n’est ainsi qu’exceptionnellement associé à d’autres divinités (Jupiter et Mercure). Seule l’épithète « auguste » lui est accolée dans 30% des dédicaces. Cette adjonction résulte peut-être d’un souci du contrôle du panthéon celtique par le pouvoir romain416, la divinité recouvrant alors une réalité gallo-romaine. Toutefois, comme nous le

verrons plus loin, dans cette cité pacifiée et prospère, cette épithète apparaît associée également à de nombreuses divinités indigènes, témoignant sans doute davantage d’une romanisation des cultes qui leur sont liés. Loin de revêtir autant de caractères que Mercure qui se singularise par son « universalisme », l’influence de son culte étant géographiquement plus localisée et chronologiquement plus limitée que celle du protecteur des voyageurs, Mars n’a ni l’omnipotence, ni l’omniprésence de la divinité primordiale du panthéon viennois. Il se distingue par l’officialité de son culte et le fait qu’il est vénéré par des personnages de très

415Voir CHAPITRE II, Troisième Partie.

91 haut rang au Ier siècle. Pour M. Christol417, dans la Provincia, que ce soit à Narbonne ou à

Béziers, la divinité locale a rapidement disparu devant le dieu italique, alors qu’à Vienne les dieux indigènes auraient été petit à petit assimilés à Mars. C’est sans doute un peu vite oublier que le flaminat de Mars est attesté avant même le changement de constitution, dès le règne de Tibère, et qu’aucune inscription ne se réfère à un quelconque syncrétisme, le dieu n’étant jamais associé à une divinité indigène dans notre corpus. De la même manière que Mercure, la personnalité de Mars ne paraît pas proposer une image gallo-romaine affirmée.

2. Le corpus iconographique et la statuaire

Considéré comme l’un des dieux les plus importants du panthéon, Mars n’en demeure pas moins que très peu figuré dans l’iconographie, et aucune découverte, à ce jour, n’atteste, comme c’est le cas pour Mercure, d’objets de culte monumentaux.

Autour de Vienna, à Sainte-Colombe, un buste du dieu a été trouvé418. Dans une villa

au sein du quartier de Saint-Romain-de-Jalionas, une intaille représentant la divinité a été découverte. Cet objet est actuellement conservé au Musée dauphinois de Grenoble419.

Toujours dans le département isérois, à Bellegarde-Poussieu, une statuette est mentionnée420, tout comme à Jarcieu, cette dernière en bronze faisant 10cm. Nous savons également que Mars apparaît en buste sur l’autel d’Agnin, et qu’à Cularo le chevalier Decmanius Caper a laissé par testament la somme conséquente de cinquante mille sesterces pour l’érection de deux statues de bronze : Mars et Saturne.

Selon F. Gury421, en Gaule romaine, la variété des types iconographiques du dieu

associée à ses différentes épithètes souligne une réelle spécificité gallo-romaine de sa personnalité. Or, les témoignages iconographiques de Mars dans la cité des Allobroges, au regard de la statuaire concernant d’autres divinités comme Hercule, Jupiter, Vénus ou même Bacchus, sont relativement pauvres et semblent quasi absents des deux Savoie. De plus, comme nous l’avons vu, « auguste » est la seule et unique épithète accolée à son nom. Comparativement, nous sommes donc assez éloignés des critères mentionnés par F. Gury, renforçant l’idée d’une certaine romanité de Mars sur le territoire viennois.

3. Sanctuaires et monuments

Pour B. Rémy422, les sanctuaires assurés à Mars sont peu nombreux : Passy, Vienne, voire Grenoble. Par contre, il est la seule divinité dans la cité à posséder un culte municipal officiel.423

417A. Allély, Comptes rendus, REA, 109, 2, 2007, p. 804 à 807 – à propos : Mars en Occident. Actes du Colloque international « Autour

d’Allonnes (Sarthe), les sanctuaires de Mars en Occident », Le Mans, 4-6 Juin 2003, Rennes, 2006. M. Christol s’est penché lors de ce colloque sur le culte de Mars en Narbonnaise.