• Aucun résultat trouvé

Chapitre III : Les notables et les cultes des déesses gréco romaines

C. Maïa, la parèdre de Mercure.

Comme nous l’avons vu, Mercure est le dieu primordial du panthéon allobroge. Il est attesté partout sur le territoire, avec de nombreux hommages épigraphiques, iconographiques et monumentaux. De tous les dieux, il est celui dont il existe le plus grand nombre de lieux de culte et de sanctuaires.

A cet égard, sa parèdre, Maïa doit également jouer un rôle prépondérant dans la religion viennoise sous le Haut-Empire. La déesse gréco-italique de la terre et de la nature a peut-être été assimilée, au tout début du Principat, à une divinité indigène apportant la prospérité. Cependant, dès le Ier siècle, tenant une place essentielle parmi les divinités

féminines, son caractère, comme nous allons pouvoir le constater, à l’image du dieu tutélaire de Vienne, de Mars ou encore de Jupiter, a très sensiblement évolué, devenant de plus en plus proche de sa personnalité première.655

1. Les dédicaces épigraphiques

Maïa est mentionnée une dizaine de fois sur des inscriptions dans la cité, dont à quatre reprises associée à Mercure. Parmi ce corpus, au moins sept documents permettent d’éclairer le rôle joué par la déesse dans la religiosité des élites.

652H. Savay-Guerraz, Les dieux de Lugdunum, in H. Savay-Guerraz, A. Destat ( sous la dir.), Rencontres en Gaule romaine, 2005-Expo.

Lyon, 2005, p. 55 à 60.

653P.-M. Duval, Les dieux de la Gaule, Paris, 2002, p. 103.

654H. Aliquot, La Provence antique, architecture et civilisation, Veurey, 2002, p. 27.

129 a. Les inscriptions associant Maïa à Mercure.

Plusieurs graffiti sont recensés dans la Combe de Savoie, plus précisément dans le fameux sanctuaire de Châteauneuf656. La principale divinité honorée, dès le Ier siècle, dans

cette aire sacrée est, comme nous l’avons vu, Mercure. Il est ici vénéré en association avec sa parèdre Maïa. Sur le premier document657, nous ignorons le nom du dédicant qui est resté

anonyme. Ce devait être un assez riche donateur au regard des offrandes : statuette ( ?) et deniers. Il faut remarquer l’emploi du futur, ce qui est très rare dans ce type de texte votif. Le formulaire permet d’énoncer l’accomplissement de conditions avant l’acquittement du vœu. Ce graffite est un beau témoignage des pratiques romaines. Le second document658, comme le premier, gravé sur un enduit mural peint en rouge, est l’œuvre d’un dédicant anonyme. Il mentionne aussi un don en numéraire, d’un montant inconnu, à Mercure et Maïa.

Le binôme divin du panthéon allobroge est présent également dans le pagus d’Apollon, vers les environ de Boutae. Un autel de calcaire a été mis au jour à Villaz. La dédicace, qui y est inscrite, est l’œuvre d’un certain Titus Coelius659 …, portant sans doute les tria nomina, et appartenant à l’importante gens Coelia. A Groisy, c’est une inscription en ex- voto qui mentionne Mercure avec Maïa. Cet hommage est le fait d’un riche évergète nommé

G. Verrius Aurelius660. Dans le même lieu, ce personnage de la gens Verria honore sur une

autre dédicace Apollon.

b. Les inscriptions dédiées à Maïa seule.

Maïa est vénérée, seule, à Grenoble sur une plaque de bronze. Le dédicant, C. Attius Atticus661, de la gens Attia, porte le gentilice et le surnom de deux notables de

l’agglomération, Sextus Attius Atticus, père et fils, ainsi que de deux seviri augustales. Plutôt rare le formulaire votif se retrouve plusieurs fois dans la cité à Aix-les-bains (C.I.L. XII 2443) ou à Pommiers-la-Placette (C.I.L. XII 2206). Cette plaque date de la période des Julio- Claudiens.

Un document en ex-voto est consacré (sacrum) à la déesse de la terre à Chatte. Maïa, qui porte ici l’épithète auguste, est honorée par un certain Titus Eppius Iullinus662. Si la déesse n’est pas mentionnée avec le dieu primordial du panthéon viennois, le dédicant, qui est un riche évergète, vénère à deux reprises Mercure dans le même lieu, dans une formulation parfaitement identique aux trois témoignages datant du Ier ou IIème siècle.

La parèdre primordiale est enfin présente sur une inscription en ex-voto à Genava. L’auteur de cette donation se nomme Q. Servilius Severus663, issu de la famille des Servilii.

La forme du monument, un dé en calcaire, incite à penser qu’il s’agit de la base d’une statue. Selon F. Wiblé664, les quelques murs découverts non loin, délimitant une terrasse surplombant le port romain au bord du lac Léman, avaient fait penser aux archéologues à la présence d’un

656B. Rémy, Un exemple de latinisation et de « romanisation » précoces dans la cité de Vienne : les graffites du sanctuaire de Châteauneuf

(Savoie), La Pierre et l’Ecrit, 16, Revue d’histoire et du patrimoine en Dauphiné, Grenoble, 2005, p. 9 à 17 ; H. Barthélémy, Un site gallo- romain alpin : Gilly (Savoie), R.A.N., t. 19, 1986, p. 211 à 244. H. Barthélémy signalait déjà dans cet article le sanctuaire tout proche de Châteauneuf consacré notamment à Mercure et Maïa.

657R 113 – ILN 471 – C.A.G. 73, commune n°079, graffito n°1, p. 144 et 145 – Annexe, p. 140. 658R 114 – ILN 472 – C.A.G. 73, commune n°079, graffito N°14, p. 145 – Annexe, p. 381.

659R 170 – ILN 781 – CIL XII 2557 – B. Rémy, I.L.H.S. 111, Annecy, 1995, p. 135 – Annexe, p. 383. 660R 172 – ILN 798 – CIL XII 2570 – I.L.H.S. 64 – Annexe, p. 408.

661R 57 – ILN 355 – C.A.G. 38/1, p. 84 – I.L.G.N. 338 ; B. Rémy, B. Dangréaux, IL de Grenoble n°5, Grenoble, 2002, p. 96 à 98 – Annexe,

p. 140.

662R 92 – ILN 327 – C.A.G. 38/1, p. 128 et 129 – Annexe, p. 409. 663R 201 – ILN 826 – I.L.G.N. 358 – Annexe, p. 409.

130 temple. Ce don doit sans doute remonter au Ier ou IIème siècle. Il ne fait guère de doute que le

dévot s’adresse ici à la divinité romaine, mère du dieu Mercure.665

Comme le montre le tableau récapitulatif666, la déesse de la terre est présente un peu

partout sur le territoire, et ceci dès le début du Principat. D’autres dédicaces la mentionnent encore, à Cularo (C.I.L. XII 5870), mais aussi à Pact (C.I.L. XII 5867), et d’une manière beaucoup plus hypothétique à Brison-Saint-Innocent (C.A.G. 73, commune n°59, p. 131). Il faut noter que Maïa n’est absente qu’à Vienna, où elle devait être concurrencée par les deux déesses capitolines, Junon et Minerve, ainsi que par les déesses Mères. Si les citoyens résidant dans la capitale semblent l’ignorer, ailleurs dans les zones rurales et les autres agglomérations, là où la notion capitoline n’a point la même réalité ni le même relief, les Viennois offrent un autre écho à Maïa au cœur de leur piété. Les Allobroges privilégient en premier lieu les divinités symbolisant la protection, la prospérité, la fertilité et la fécondité. Ceci explique sans aucun doute le succès de Mercure et la place particulière de Maïa. Parallèlement, malgré l’urbanisation progressive, le territoire demeure encore agricole et il n’est donc pas étonnant que de grands propriétaires fonciers et terriens, appartenant parfois à de grandes familles, aient manifesté leur attachement à Maïa, notamment en dehors de la capitale.

Par le nombre et la qualité des témoignages épigraphiques, Maïa s’impose comme une divinité d’une très grande importance dans le panthéon allobroge, et ceci, même au-delà du fait qu’elle soit la parèdre de Mercure. Tous les documents l’honorant sont, sans exception, des dédicaces. Aucun ne relève d’une simple inscription ou encore d’une épitaphe. Ils ont été gravés à la suite d’actes de dévotion, exprimant d’une manière exhaustive des sentiments religieux forts. La déesse est vénérée d’une manière omnipotente durant tout le Ier siècle et son culte perdure au IIème siècle, mais rien ne nous permet, à ce jour, d’affirmer ou d’infirmer

que celui-ci était encore vivace durant la dynastie des Sévères à la fin du Haut-Empire.

Sur les sept dédicaces érigées le plus souvent à la suite d’un vœu, en sachant que les deux dédicants de Châteauneuf demeurent anonymes, 80% des personnages connus sont issus de grandes familles viennoises. L’onomastique montre, de plus, que chacun des dédicants porte les tria nomina, et que leurs gentilices sont majoritairement latins. Si on ajoute à cela que Titus Eppius Iullinus est un riche évergète, tout comme G. Verrius Aurelius, que les graffiti du sanctuaire de la Combe de Savoie font références à des donations en numéraire, il paraît évident que Maïa tenait une place privilégiée dans la religiosité des Allobroges, et notamment au cœur de l’aristocratie locale.

Néanmoins, à la différence de Mercure, ou encore de Mars, elle n’est pas honorée par des magistrats de la cité. Il est également essentiel de souligner l’absence de dédicantes alors que la femme a un rôle central dans la vie sociale et religieuse chez les Allobroges667. Au

regard du nombre de personnages dont nous ignorons la dénomination et des aléas des découvertes archéologiques, il reste cependant très délicat d’en tirer de quelconques conclusions.

2. Statuaire, sanctuaires et monuments

A l’inverse de Vénus quasi absente des textes épigraphiques de la cité, mais omniprésente dans les témoignages iconographiques, Maïa peut apparaître comme son

665Ibidem, p. 219. F. Wiblé a soutenu sa thèse à l’Université Pierre Mendès France de Grenoble : « Le valais à l’époque romaine : histoire

et archéologie d’un district alpin et spécialement de sa capitale, Forum Claudii Vallensium » sous la direction de B. Rémy, Grenoble, Décembre 2008.

666Tableau, p. 138 – Carte, p. 499.

131 pendant avec de nombreuses dédicaces et très peu de représentations visuelles et architecturales.

a. La statuaire de bronze de Boutae.

Trouvée dans la plaine des Fins, à l’ouest du théâtre, une statuette de bronze668 haute

de 10 cm fut présentée au Musée Savoisien de Chambéry, lors de l’exposition itinérante consacrée aux Allobroges.

Seul document figuré au classicisme certain, il est intéressant de remarquer que cette Maïa ait été découverte à Boutae, où le temple semble avoir été consacré à Mercure. On peut certainement voir ici l’association des deux divinités, sachant que le binôme est vénéré à deux reprises sur des dédicaces retrouvées non loin d’Annecy, dans le pagus d’Apollon, à Villaz et Groisy.

b. Le sanctuaire de Châteauneuf et le temple de Grenoble.

Il est essentiel de revenir sur le haut-lieu de culte de la Combe de Savoie. En effet, les graffiti offrent un large aperçu de la popularité des déesses dans la cité. Ce fanum, en dehors de Rome, des empereurs, de Limetus, est dédié également, et avant tout, à Mercure et Maïa. Les fouilles de 1981 à 1983 ont renforcé l’idée première que Maïa était vénérée à double titre : d’un côté, elle est la parèdre primordiale ; et de l’autre, elle symbolise la prospérité terrienne, pouvant être assimilée à la Rosmerta gauloise669. Toutefois, véritable lieu de

« pèlerinage » au Ier siècle pour des cultores riches ou beaucoup plus modestes, le sanctuaire révèle une romanisation précoce, montrant que même les couches populaires sont devenues très tôt bilingues, maîtrisant le latin, tout comme l’ensemble des complexes pratiques votives et cultuelles romaines670. Dès le règne de Caligula, les anciens Allobroges, devenus citoyens

romains, font partie intégrante de l’Empire. Le culte de Maïa a, semble-t-il, simplement suivi l’évolution sociale et religieuse de la cité.

A Cularo, selon B. Rémy671, la dédicace en ex-voto, œuvre d’un personnage issu d’une

très prestigieuse famille de la cité, la gens Attia, pourrait confirmer l’existence d’un bâtiment religieux consacré à la déesse, sans doute un temple aujourd’hui disparu.

Maïa est l’une des divinités féminines majeures et prédominantes du panthéon viennois. Parmi les déesses gréco-latines, elle est la première d’entre elles, même si nous ne pouvons négliger le rôle de Vénus dans l’iconographie, ni, à un degré moindre, l’aura de Minerve, notamment dans la capitale672. Le caractère de la divinité joue certainement un rôle déterminant dans la forme et le fonds des dédicaces qui lui sont adressées. Ainsi, une seule occurrence mentionne une épithète (auguste) accolée au nom de la déesse, et celle-ci n’est jamais associée à une autre divinité que Mercure, ce qui paraît avérer une personnalité de moins en moins gallo-romaine.

Le très grand succès rencontré par la déesse de la terre chez les Allobroges est l’une des principales originalités du panthéon de la cité, car la divinité est quasi absente dans le reste de la Provincia Narbonensis, comme en Gaule, où, dans la plupart des dédicaces,

668P. Broise, Le vicus gallo-romain de Boutae et ses territoires, Annecy, 1984, p. 66 ; F. Bertrandy, M. Chevrier, J. Serralongue, C.A.G. 74,

Paris, 1999, p. 145 – Annexe, p. 450.

669H. Barthélémy, C. Mermet, B. Rémy, La Savoie gallo-romaine, Chambéry, 1997, p. 180 à 184.

670B. Rémy, Un exemple de latinisation et de « romanisation » précoces dans la cité de Vienne : les graffites du sanctuaire de Châteauneuf

(Savoie), La Pierre et l’Ecrit, 16, Revue d’histoire et du patrimoine en Dauphiné, Grenoble, 2005, p. 13 à 15.

671B. Rémy, Inscriptions latines de Grenoble et de son agglomération, Grenoble, 2002, p. 96 à 98. 672Tableau, p. 138 – Carte, p. 499.

132 Mercure est associé à Rosmerta. Maïa a donc une place singulière à Vienne, aussi bien dans la population que dans les grandes lignées. A cet égard, elle tient une place n’existant nulle part ailleurs en Gaule, sous le Haut-Empire. Certes, à Lugdunum, si proche du territoire allobroge, la déesse et son binôme divin, aux caractères tout à fait romains, sont attestés ensemble sur différentes inscriptions673. Mais, nous ne savons pas s’ils faisaient l’objet d’un culte public, et

Maïa ne semble pas avoir le même prestige que sur le sol viennois.