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Donations et divinités invoquées dans les épitaphes.

CHAPITRE III : La diversité des témoignages archéologiques viennois

C. Donations et divinités invoquées dans les épitaphes.

Le sujet, ici, n’est pas de faire une analyse exhaustive et pointue de l’ensemble des donations (étudiées ultérieurement), puis de dresser un tableau des divinités invoquées dans les textes testamentaires, mais d’exprimer d’une part, une fois encore, la complexité et la diversité des documents épigraphiques retrouvés en territoire allobroge, et d’autre part d’expliquer la place occupée par les dieux Mânes dans les épitaphes.

1. Les donations dans la cité

Les inscriptions viennoises donnent la possibilité pour les élites de la cité d’affirmer leur piété, tout en manifestant leur puissance et leur richesse. En conséquence, les actes d’évergétisme peuvent être l’occasion de mentionner des donations faites pour que celles-ci s’inscrivent dans le temps aux yeux de tous les citoyens.

De nombreuses érections ou restaurations d’autels, de monuments dédicatoires, religieux, testamentaires, ou encore d’aires sacrées ont été mises au jour. Ainsi, à Vienne, un sévir augustal a fait réparer à ses frais une horloge130. A Aoste, c’est un riche évergète qui a fait l’offrande d’un toit de portique avec colonnes et revêtements stuqués pour le salut de l’Empereur131. Un magistrat a fait construire, à Brison-Saint-Innocent, un temple avec ses

ornements132. Les inscriptions nous apprennent aussi, dans différents témoignages, la donation d’un bois sacré avec un autel par le patron du bourg et le don d’un atelier de potier par les propriétaires terriens dans le vicus d’Aquae133. Non loin, à Saint-Pierre-d’Albigny, une

épigraphe mentionne l’offrande d’une basilique par un puissant évergète. Il s’agissait, sans

130Recueil n° 14 – ILN 87. 131R 71 – ILN 600. 132R 123 – ILN 696.

43 doute, de l’annexe d’un temple134. Dans le pagus de Diane, un préfet de district, également sacerdos, a fait la donation d’un sanctuaire à Hauteville ; alors qu’à Seyssel, un autre préfet a

financé la commémoration de l’érection d’un temple135. L’élévation d’une autre basilique avec ses portiques par un riche évergète est attestée à Annecy le Vieux.136

Corrélativement à ces différentes offrandes, notre corpus épigraphique permet de recenser plusieurs documents gravés grâce au produit d’une quête (ex stipe), notamment à Aoste, Annecy ou encore à Duingt137 ; mais également un nombre significatif de donations de

statues.

Nous connaissons ainsi, par exemple, à Vienna, une flaminique qui a offert, en plus de tuiles de bronze dorées, de soubassements et d’ornements, quatre statues pour un monument religieux138. Toujours dans la capitale allobroge, un président du collège d’hastifères est à

l’origine de la donation d’une statue139. De riches donateurs ont fait élever une statue à Aoste140, alors qu’à Tournon c’est un sacerdos141. Enfin, à Genève, une offrande d’une statue,

plus temple et portiques, est inscrite sur une inscription.142

Il est surtout intéressant de s’arrêter sur les rares et précieux documents précisant les sommes allouées pour ces donations. A Vienna, une inscription mentionne l’offrande d’une statue conjuguée à la gratification de deux deniers143. Dans le haut sanctuaire de la Combe de

Savoie, à Châteauneuf, un évergète a offert aux dieux du lieu douze et demi deniers pour l’un, et cinq deniers pour l’autre144. Deux dernières inscriptions se distinguent par le montant attribué par le donateur à l’érection d’un ou plusieurs documents figurés. Tout d’abord, à

Cularo, un sous-préfet d’une aile de cavalerie a laissé, par testament, cinquante mille

sesterces pour l’élévation de deux statues de bronze, montant considérable pour un citoyen ayant fait uniquement une carrière militaire145. Enfin, deux questeurs viennois ont offert une

statue en argent d’une valeur de deux cents mille sesterces, suite à leur nomination au décurionat par le sénat de la cité. C’est tout simplement la somme allouée à sa réalisation la plus importante du monde romain.146

Ces différents exemples de donations, attestées par l’épigraphie, montrent la puissance et la richesse que pouvaient posséder certains magistrats ou citoyens allobroges. Ils sont aussi révélateurs de la réussite économique de la cité, et de la promotion sociale d’une large partie de l’élite viennoise. Il faut également remarquer, à la suite de B. Rémy, que si les dons sont de natures diverses, les évergésies religieuses sont les plus nombreuses et sont souvent le fait de notables équestres, municipaux ou locaux.147

134R 139 – ILN 521. 135R 147 et 148 – ILN 778, 784. 136R 159 – ILN 747. 137R 69, 164 et 161 – ILN 598, 752, 736. 138R 15 – ILN 88. 139R 24 – ILN 6. 140R 70 – ILN 599. 141R 115 – ILN 532. 142R 201 – ILN 826. 143R 36 – ILN 83. 144R 113 – ILN 471. 145R 62 – ILN 370. 146R 9 – ILN 72.

147B. Rémy, La répartition des inscriptions latines dans la cité de Vienne – un moyen d’appréhender la latinisation et la romanisation des

44 2. L’invocation aux dieux Mânes

Dans le monde romain, dès l’époque d’Auguste, les inscriptions funéraires sont conçues comme des dédicaces aux dieux Mânes, divinités collectives symbolisant les esprits des morts, célébrées lors des Parentalia, du 13 au 21 février. Cet usage se généralise à partir du règne de Claude, avec la formulation Manibus ou Dis Manibus en toutes lettres, ou abrégé en D M. A partir du IIème siècle, l’invocation se fait plus volontiers sous la forme Dis Manibus

sacrum, étant abrégée en D M S.148

A Vienne, F. Kayser149 estime à plus de quatre cents le nombre d’épitaphes plus ou

moins attestées, soit plus de 40% des témoignages épigraphiques recensés, à ce jour, sur le territoire. Il souligne que la plupart proviennent d’un contexte urbain, puisque les deux tiers d’entre elles ont été découvertes dans l’un des trois grands centres urbains. Dans notre corpus, ce type de document représente environ 18% de l’ensemble des inscriptions, et l’invocation aux dieux Mânes y est présente sur plus de 43% d’entre eux.

Dans la cité, au début du Principat, ou plus exactement dans les premières décennies de la dynastie julio-claudienne, le nom du défunt figure le plus souvent au nominatif ou au datif, sans référence aucune à ces divinités ; ce qui complique l’analyse, le témoignage pouvant tout aussi bien être une inscription honorifique.

Dans le courant du IIème siècle, on rencontre de plus en plus de sarcophages, et, à partir

du milieu de ce siècle et ceci jusqu’au début du IIIème siècle, il n’est pas rare de trouver aux côtés des dieux Mânes des formules telles que l’ascia ou et memoriae aeternae.

L’invocation de ces divinités dans les inscriptions funéraires, phénomène omniprésent dans toutes les provinces de l’Empire, n’a pas d’implication réelle et à part entière dans les concomitances entre pratiques religieuses et intégration des élites, si ce n’est par le fait que les Allobroges ont suivi la même influence qu’ailleurs dans le formulaire de leurs épitaphes.

Il était indispensable de préciser ceci, en préalable, pour expliquer les rares évocations de ces divinités dans le reste de notre étude.

L’hétérogénéité et la qualité des documents tant épigraphiques qu’iconographiques se manifestent aussi bien dans la multiplicité des supports que des formes utilisées, mais également dans la pluralité des matériaux. Les élites allobroges, au cours du Haut-Empire, expriment, à travers ces documents tant écrits, figurés que construits ayant laissé des témoignages archéologiques de premier plan, leur propre promotion sociale, leur propre enrichissement personnel, tout en révélant plus encore la réussite économique, voire politique, de Vienne durant cette période.

Dans ces textes inscrits sur des supports défiant le temps, la complexité et la diversité des formulaires permettent de mieux comprendre les interactions entre piété et intégration des grandes personnalités et des principales familles viennoises. On commence à saisir ce qu’ont d’instructif les inscriptions dédiées à une divinité, pouvant mentionner offrandes ou sacrifices en leur honneur, attestant des prêtres qui les servent, ou bien encore faisant référence à des noms théophores. A la suite de C. Jourdain-Annequin150, on comprend aussi qu’elles restent

148P. Corbier, L’épigraphie latine, Paris, 1998, p. 25.

149F. Kayser, Inscriptions Latines de Narbonnaise, V1, Vienne, Paris, 2004, p. 53 à 62.

45 ambigues, et parfois délicates d’interprétation. Elles témoignent certes d’une attitude religieuse, mais tout autant, selon les cas, de l’acculturation des populations.

Les souhaits d’un vœu, les dédicaces religieuses, les inscriptions funéraires et testamentaires, les expressions municipales, les cursus des magistrats civils et sacerdotaux, les donations, les épitaphes, mais aussi les mosaïques, les objets décoratifs, ou encore certains édifices et sanctuaires sont autant de sources fondamentales pour expliquer la vie sociale et religieuse.

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