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La dénomination des magistrats civils et religieux.

Chapitre IV : L’onomastique des élites allobroges

C. La dénomination des magistrats civils et religieux.

L’analyse onomastique de l’ensemble des magistrats viennois dégage des caractéristiques proches de celles concernant la totalité de l’élite allobroge : environ 2/3 ont un gentilice latin et environ 1/3 d’origine celte – 2/3 ont un surnom latin et 25% un surnom grec.

1. Les magistrats civils

Les magistratures civiques167 révèlent des personnages aux patronymes

majoritairement latins, autant le gentilice que le surnom. Qu’ils soient édiles, questeurs, décurions ou encore quattuorvirs, ces personnalités de la société allobroge ont connu une large et précoce romanisation, dont l’onomastique ne se fait que l’écho.

Si l’on s’intéresse plus précisément aux duumvirs dont on connaît l’identité, les gentilices latins, qu’ils soient d’assonance, de traduction ou d’adoption, représentent 80% et les surnoms latins environ 90%.

Pour les triumvirs, le phénomène apparaît encore plus éloquent, puisque gentilices et surnoms d’origine italique ou impériale couvrent la quasi totalité des dénominations. Ceci peut s’expliquer simplement par le fait que la plupart de ces citoyens ont parcouru un cursus complet et qu’ils ont atteint la plus haute charge municipale de la cité. Le degré de latinisation est, semble-t-il, parfois proportionnel à leur degré d’intégration.

2. Les magistratures religieuses

La complexité des charges implique, comme nous l’avons déjà vu, une grande diversité de statuts. Il est donc intéressant, ici, de différencier l’étude onomastique selon les magistratures sacerdotales exercées.168

Ainsi, le flaminat impérial est occupé par des personnages portant pour 2/3 des gentilices latins et 1/3 des gentilices celtes. Leurs surnoms sont très souvent latins et exceptionnellement celtes.169

Les flamines de la Jeunesse170 ont des dénominations légèrement différentes avec des

gentilices et des surnoms quasi exclusivement latins ou d’origine impériale. Il en va de même pour les flamines de Mars171, cette charge étant une spécificité viennoise, mais également

pour les flaminiques.172

Ces notables et nobles allobroges, dont le degré d’intégration ne fait aucun doute, présentent des patronymes à l’image des fonctions qu’ils assurrent. Leur promotion sociale s’est accompagnée apparemment d’une latinisation de leurs dénominations.

167B. Rémy, La dénomination des Viennois à l’époque impériale, in Dondin-Payre M., Raepsaet-Charlier M-Th. (éd), Noms, identités

culturelles et romanisation sous le Haut-Empire, Bruxelles, 2001, p. 55 à 174 ; B. Rémy, La dénomination des Viennois, in Le catalogue de l’exposition du Musée de Grenoble, Gollion, 2002, p. 118 et 119.

168B. Rémy, La dénomination des Viennois, in Le catalogue de l’exposition du Musée dauphinois de Grenoble, Gollion, 2002, p. 118 et

119.

169Tableau, p. 206. 170Tableau, p. 207. 171Tableau, p. 208. 172Tableau, p. 209.

50 Semi-magistrature, le sévirat173 propose des personnages aux gentilices et surnoms

beaucoup plus variés. En s’appuyant sur les personnalités identifiées, il apparaît qu’ils ne portent qu’à environ 50% des gentilices latins, et que les gentilices d’origine celte sont portés par quasiment 40% d’entre eux. D’autres sont également d’origine étrusque, osque ou encore samnite.

Les surnoms des sévirs sont le plus souvent grecs (à plus de 60%), ce qui peut s’expliquer par leurs origines sociales. En effet, même si cela reste, pour une partie hypothétique, un certain nombre d’entre eux sont d’anciens affranchis, ayant parfois appartenus à de grandes familles, ayant accédé à cette semi-magistratures. Ceci peut expliquer des caractéristiques onomastiques plus variées et souvent plus complexes.174

Cette étude onomastique, comme le reste de cette première partie, donne la possibilité d’appréhender la lente, régulière, précoce et certaine romanisation de la cité viennoise. La latinisation des élites allobroges, au cours du Haut-Empire, s’exprime notamment dans l’origine et l’évolution des dénominations des notables, des magistrats municipaux et sacerdotaux, des riches évergètes, des grands propriétaires terriens, des femmes nobles et des puissantes familles.

Il est intéressant de remarquer la pérennité de la diversité de ces dénominations, de leur flexibilité, du phénomène d’assimilation des noms latins. En effet, dans une perspective d’acculturation, on peut envisager qu’un nom d’apparence latine puisse recouvrir un nom indigène assonant ou traduire une racine celtique. B. Rémy pense qu’il est possible de parler d’une dénomination gallo-romaine utilisant « un double patrimoine onomastique, local et latin »175. Quoiqu’il en soit, à travers leurs patronymes, les élites tentent, à certains égards, de

s’ancrer dans leur temps, d’affirmer leur appartenance à une cité faisant partie d’un Empire. Enfin, elle permet de commencer à mettre en lumière le parallèle entre intégration- promotion et cultes-pratiques religieuses des élites viennoises, statuts civiques ou statuts sacerdotaux, les deux états mis en comparaison, faisant apparaître un certain nombre d’analogies.

173Tableau, p. 210 et 211.

174B. Rémy, Loyalisme politique et culte impérial dans la cité de Vienne au Haut-Empire d’après les inscriptions, R.A.N., t. 36, 2003, p.

361 à 376. L’auteur note la prépondérance quelque peu surprenante des surnoms grecs que portent les sévirs de la cité. « On considère que les noms grecs indiquent beaucoup plus fréquemment une extraction servile qu’une origine hellénophone parce que les maîtres auraient donné, par snobisme culturel, un nom grec à leurs esclaves ». Il convient néanmoins de demeurer particulièrement prudent, car certains sévirs augustaux de la cité ont une position sociale, comme nous le verrons ultérieurement, difficilement cohérente avec le fait qu’ils aient pu être affranchis.

51 Les Allobroges firent face à Rome durant des siècles. Il fallut attendre la fin de la République, l’inflexion augustéenne et la mise en place de la Pax Romana pour voir la cité de Vienne entrer pleinement dans l’orbite impériale ; ce qui lui vaut, dès les Julio-Claudiens, une succession de promotions juridiques. Le Haut-Empire voit alors Vienna devenir l’un des principaux centres de la Provincia Narbonensis, parvenant à rivaliser avec sa proche et puissante voisine du Rhône, Lugdunum. Cette prospérité explique, sans aucun doute, la richesse du patrimoine archéologique de la cité.

Du règne d’Auguste à Sévère Alexandre, à travers l’essor municipal et la dimension spirituelle de certains lieux, monuments, inscriptions ou objets figurés, on peut saisir les liens tissés entre les pratiques cultuelles, la dévotion religieuse et l’intégration des élites sur ce vaste territoire. Le corpus épigraphique révèle deux périodes plus fertiles que les autres : l’époque julio-claudienne et la dynastie des Antonins. La datation des documents iconographiques, comme l’érection des édifices et des sanctuaires attestent également une romanisation avancée, dès la première moitié du Ier siècle. Il est néanmoins nécessaire de

souligner que les témoignages archéologiques chez les Allobroges sont omniprésents tout au long du Haut-Empire.

Pendant toute cette période, Vienne impose des limites territoriales avec une large influence sur l’ensemble des Alpes du Nord, pouvant dépasser ses propres frontières, entre Rhône, Isère, Léman et, à l’Est, les monts alpins. Tourné vers les domaines agricole et artisanal, le territoire connaît, cependant, une urbanisation significative s’étalant sur plus d’un siècle à partir de l’époque d’Auguste, et ceci principalement autour de trois agglomérations principales (Vienna, Cularo et Genava) et de cités secondaires (Augustum, Aquae, Boutae). La répartition spatiale des témoignages archéologiques épouse l’hétérogénéité géographique de la cité, autour des espaces citadins, mais également dans certains espaces ruraux, dans la Combe de Savoie, le pagus de Diane, ou encore le sanctuaire de Passy.

Vienne se distingue parallèlement par la diversité, la pluralité et la qualité des témoignages découverts sur son territoire, documents essentiels pour comprendre et appréhender la complexité et l’évolution de la société allobroge au cœur de l’Empire romain.

Les inscriptions permettent une étude de l’onomastique des élites viennoises soulignant la flexibilité des dénominations, révélatrice de la latinisation précoce des magistrats, des notables, des riches évergètes et des grandes familles de la cité.

Pour terminer et pour reprendre quelques mots de J. Scheid176 pouvant s’appliquer à l’ensemble de la documentation référencée, et qui résume parfaitement notre démarche analytique : « L’étude des monuments religieux quels qu’ils soient constitue un moyen privilégié pour approcher les transformations institutionnelles et sociales induites par l’intervention de l’impérialisme romain. »

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