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Chapitre IV : Les religions à Mystères chez les élites allobroges

B. Isis, la divinité lunaire égyptienne.

La déesse du cycle astral venue d’Egypte est l’autre grande divinité féminine des cultes à Mystères attestée dans la cité de Vienne. Si Cybèle semble régner dans la capitale, nous savons qu’elle est très peu présente ailleurs sur le territoire. De la même manière, Isis est essentiellement présente dans une seule agglomération : Cularo ; ce qui s’explique en partie par le fait que cette agglomération est située sur une grande voie de communication.

Vénérée chez les Egyptiens, Isis a certainement suivi le même chemin que Cybèle pour parvenir dans la cité. L’historien peut, par conséquent, lors de ses dépouillements, s’attendre à retrouver des témoignages la concernant dès le début du Haut-Empire.

1. Les mentions écrites a. A Vienna.

La première inscription relevant de son culte a été découverte à Vienna. En effet, une épitaphe met en scène un certain Lepidius Rufus755, personnage ayant été anubofore.

L’anuboforus est le porteur d’Anubis dans les processions isiaques. Il y porte le masque du

747I. Tournié, C. Jourdain-Annequin, Les divinités féminines, in Atlas culturel des Alpes occidentales, Paris, 2004, p. 206 et 207.

748S. Morabito, Inscriptions Latines des Alpes Maritimes, Nice, 2010, p. 174 à 176. L’auteur mentionne un autel (ILAM 69) dédié à la Mère

Idéenne par un prêtre de Cybèle et deux particuliers célébrant le taurobole à leurs frais. Deux autres inscriptions (ILAM 137, 146) découvertes aussi dans la cité de Vintium, à Coursegoules et à Saint-Jeannet, pourraient être des dédicaces à la déesse, mais leur état fragmentaire appelle à la prudence.

749H. Savay-Guerraz, Les dieux de Lugdunum, in H. Savay-Guerraz, A. Destat ( sous la dir.), Rencontres en Gaule romaine, 2005-Expo.

Lyon, 2005, p. 55 à 60. A Lugdunum, ce ne sont pas moins de six monuments commémorant des sacrifices.

750F. Bertrandy, F. Kayser, B. Rémy, A. Buisson, Les Inscriptions de l’Ain (ILAin), Bresson, 2005, p. 27 : ILAin 55, 56. Cybèle est

honorée dans ces deux documents en compagnie de son parèdre Attis.

751C. Jourdain-Annequin, Les divinités orientales dans les Alpes, DHA 31/Supplément 1, 2005, p. 207 et 208. 752B. Rémy, N. Mathieu, Les femmes en Gaule romaine (Ier siècle av. J.-C. – Vème siècle ap. J.-C.), Paris, 2009, p. 154.

753Hélène Durand, Le culte impérial, in Atlas culturel des Alpes occidentales, Paris, 2004, p. 212 et 213.

754B. Rémy, N. Mathieu, Les femmes en Gaule romaine (Ier siècle av. J.-C. – Vème siècle ap. J.-C.), Paris, 2009, p. 154.

147 dieu chacal. C’est une charge occasionnelle confiée soit à des anubiaci, soit à un adepte méritant.

C’est l’unique mention de ce type de sacerdoce dans la cité ; et c’est un texte exceptionnel même à l’échelle des provinces. Le dédicant appartient, de plus, à la prestigieuse

gens Rufia. Le fait qu’il porte les duo nomina, seconde manière, permet de dater ce document

de la fin du IIème siècle, voir du début du IIIème siècle.

b. A Cularo.

Deux autres documents de Cularo ont un lien direct avec Isis. Le premier concerne un autel dédié à Esculape, que nous avons précédemment analysé. Ce texte a été gravé par un certain Caecus756, gardien du temple d’Isis. Le nom unique latin du dédicant ne permet pas de

restituer de façon formelle son statut. Cet homme, peut-être aveugle, est un desservant attaché au culte de la divinité d’origine égyptienne.

Un second autel, à Seyssinet757, aux environs de Grenoble, est dédié par Sex. Claudius

Valerianus à Isis Mère. La déesse porte ici l’épithète de « Mère » unique dans la Province, où l’on trouve « Regina » à Die (C.I.L. XII 1562). Le don de l’autel, plus les décorations, font penser que cet évergète était un citoyen suffisamment fortuné.

B. Rémy758 souligne, par ailleurs, le succès rencontré par Isis en Gaule, comme en témoigne une vingtaine d’inscriptions ; et ceci notablement auprès des femmes759. A l’image

de Cybèle, son culte a des desservants officiels et autres dédicants qui peuvent appartenir à l’élite viennoise au cœur de la cité.

2. Les mentions figurées et les sanctuaires a. Les documents iconographiques.

Comme l’épigraphie l’atteste, le culte d’Isis est très localisé, dans les deux grands pôles urbains du territoire. Cependant, aucune statue, statuette, ou autre élément iconographique n’a été découvert.

Etrangement, les seules correspondances figurées ont été mises au jour en Haute- Savoie, à Boutae : l’amulette des Fins760 représentant le dieu serpent Xnoubis, dieu égyptien protégeant de la douleur ; ou encore le shaouabti de terre émaillée, datant du Ier siècle761. Ce dernier fait partie des petites figurines qui étaient placées auprès des morts dans l’Egypte ancienne. Ce type de document connaissant une grande diffusion durant le Haut-Empire permet, notamment ici, de cerner la clientèle isiaque locale, prouvant qu’Isis pouvait avoir un rôle important aux abords des cols alpins.762

756R 55 – B. Rémy, B. Dangréaux, Inscriptions Latines de Narbonnaise, V2, Vienne, Paris, 2004 : ILN 351 ; B. Rémy, Inscriptions Latines

de Grenoble et de son agglomération, Grenoble, 2002, p. 92 : IL de Grenoble n°1.

757R 66 – ILN 353 ; A. Pelletier, F. Dory, W. Meyer, J.-C. Michel, Carte Archéologiques de la Gaule, L’Isère, C.A.G. 38/1, Paris, 1994, p.

388.

758B. Rémy, Inscriptions Latines de Grenoble et de son agglomération, Grenoble, 2002, p. 94 : IL de Grenoble n°3. 759B. Rémy, N. Mathieu, Les femmes en Gaule romaine (Ier siècle av. J.-C. – Vème siècle ap. J.-C.), Paris, 2009, p. 154.

760F. Bertrandy, M. Chevrier, J. Serralongue, Carte Archéologique de la Gaule, La Haute-Savoie, C.A.G. 74, Paris, 1999, p. 139. 761Ibidem, p. 149 – Annexe, p. 457.

762 C. Jourdain-Annequin, Quand Grecs et Romains découvraient les Alpes, Les Alpes voisines du ciel, Paris, 2011, p 262 ; C. Jourdain-

148 b. Les sanctuaires.

En l’état actuel des découvertes archéologiques763, on peut effectivement penser qu’il

existait un sanctuaire à Seyssinet, sans que cela soit, néanmoins, formellement prouvé, d’autant plus que ce texte est, à ce jour, perdu.

Toutefois, au regard du nombre de documents épigraphiques retrouvés pour l’ensemble de la Gaule, Cularo, comme le confirme C. Jourdain-Annequin764 dans son article

consacré aux « divinités orientales dans les Alpes », apparaît bien comme l’un des lieux privilégiés du succès rencontré par Isis.

Venant d’Italie en compagnie de ces Isiaca765, Isis, la mère et l’épouse par excellence en terre du Nil, la magicienne qui fait renaître le corps déchiré d’Osiris, a connu un certain succès en basse vallée du Rhône et dans le nord de la Provincia Narbonensis ; et son culte semble avoir été romanisé comme en témoignent les épithètes Augusta et Regina766. Si nous

ne savons rien des cérémonies qui ont pu se dérouler dans les Alpes, les mystères d’Isis

demeurent néanmoins les mieux connus grâce aux « Métamorphoses » d’Apulée767, ouvrage

dans lequel le héros, Lucius, décrit l’initiation. La vénération déférente à la déesse semble avoir touché toutes les couches sociales : esclaves, affranchis, citoyens et citoyennes, ainsi que les élites municipales.768

Il faut préciser, selon P.-M. Duval769, que les cultes égyptiens ont, en vérité, laissé peu

de traces en dehors de la vallée rhodanienne770. A cet égard, la cité des Allobroges est, géographiquement, idéalement située. Cependant, Isis est aussi vénérée dans le proche vicus d’Aime dans les Alpes transalpines et, également, dans d’autres cités de la Narbonnaise.

Si les cultes à Mystères ne sont guères attestés dans le Var, plusieurs documents épigraphiques mentionnant Isis ont été retrouvés comme à Die771 ou à Aigremont dans le Gard772. Quelques témoignages figurés épars sont aussi recensés : la divinité est présente sur

le site de la Bâtie-Montsaléon dans les Hautes-Alpes, sur un gypse en Ardèche, sur une lampe et dans un groupe de têtes avec Séléné à Narbonne.773

Toutefois, c’est certainement à Nîmes que les archéologues ont référencé les documents les plus importants, des textes qui font de ce vicus l’un des hauts lieux du culte d’Isis en Narbonnaise, avec Grenoble et Vienne. Ainsi, la déesse est attestée par une inscription et par un prêtre (ou une prêtresse), pouvant laisser envisager l’existence d’un

763B. Rémy, IL de Grenoble, Grenoble, 2002, p. 80 ; A. Pelletier, F. Dory, W. Meyer, J.-C. Michel, C.A.G.38/1, Paris, 1994, p. 173. 764C. Jourdain-Annequin, Les divinités orientales dans les Alpes, DHA 31/Supplément 1, 2005, p. 205. Pour l’auteur, inscriptions et

sanctuaires ne laissent aucun doute sur la présence de véritables cultes isiaques dans les Alpes, notamment à Grenoble et à Seyssinet Pariset.

765C. Jourdain-Annequin, Les divinités orientales dans les Alpes, DHA 31/Supplément 1, 2005, p. 193 et 194. Les Isiaca sont les objets de

l’orfèvrerie ou de la glyptique représentant les divinités appartenant au cycle mythique de la déesse.

766C. Jourdain-Annequin, I. Tournié, Les divinités féminines, in Atlas culturel des Alpes occidentales, Paris, 2004, p. 206 et 207 – Carte, p.

501.

767Apulée, Métamorphoses (ou L’Âne d’or), XI, 23-24.

768C. Jourdain-Annequin, Les divinités orientales dans les Alpes, DHA 31/Supplément 1, 2005, p. 204 et 205. 769P.-M. Duval, Les dieux de la Gaule, Paris, 2002, p. 104.

770H. Savay-Guerraz, Les dieux de Lugdunum, in H. Savay-Guerraz, A. Destat ( sous la dir.), Rencontres en Gaule romaine, 2005-Expo.

Lyon, 2005, p. 55 à 60. Une colonne portant une inscription à Isis et plusieurs shaouabti ont été retrouvés à Lugdunum.

771C. Jourdain-Annequin, Quand Grecs et Romains découvraient les Alpes, Les Alpes voisines du ciel, Paris, 2011, p 262 ;C. Jourdain-

Annequin, Les divinités orientales dans les Alpes, DHA 31/Supplément 1, 2005, p. 204 et 205. En dehors de Grenoble et Seyssinet, l’auteur précise la présence de véritables cultes dans les Alpes à Die, à la Bâtie- Montsaléon et à Vaison-la-Romaine.

772M. Provost, C.A.G. 30/2, Paris, 1999, p. 86.

773I. Ganet, Carte Archéologique de la Gaule, Les Hautes Alpes, C.A.G. 05, Paris, 1995, p. 50 ; J. Dupraz, C. Fraisse, C.A.G. 07, Paris,

149 temple. Une sculpture et une représentation de la divinité allaitant Horus ont aussi été découvertes dans l’agglomération774.

Dans une étude récente, B. Rémy et N. Mathieu775 corroborent l’existence d’un important sanctuaire à Nîmes, comme le prouve le document mentionnant Tettia Cresces,

Isidis sacerdos dans la seconde moitié du Ier siècle.