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Iconographie, monuments et sanctuaires du culte impérial.

Chapitre I : L’aristocratie locale et le culte impérial

C. Iconographie, monuments et sanctuaires du culte impérial.

A travers les documents figurés, mais également l’érection de monuments ou la fondation de sanctuaires, les notables allobroges ont certainement exprimé avec force leur attachement à l’idéologie impériale, corrélativement à leur ascension sociale.263

1. La déesse Rome, une entité au service du culte impérial

Le culte de Roma est d’origine hellénistique. Elle fait l’objet d’un culte dans le monde grec à partir des années 200 av. J.-C. Car à Rome même, l’identité romaine est exprimée par la notion de Res Publica ou de Populus Romanus ou encore Civitas Romana. Ainsi, lorsque l’on reconstruit le temple de Jupiter Capitolin en 69 av. J.-C., après sa destruction pendant la guerre civile, Dion Cassius264 écrit que la statue du dieu tient dans la main une image de

Rome, mais Suétone appelle cette même image signum rei publicae. Ce sont les cités grecques d’Asie et de Bithynie qui ont les premières demandé la permission d’établir des cultes à leur nouveau maître, qui ont été organisés avec comme responsables des grands prêtres (archi hiéreis). Les premiers cultes provinciaux dans la partie occidentale de l’Empire reflètent les pratiques du culte dans la partie orientale.

A partir du Haut-Empire, pour reprendre les termes d’E. Thevenot265, si Rome use de

tolérance religieuse, la religion s’organise avant tout dans les Gaules, à l’exemple de Tarragone avec son culte provincial et son autel municipal266, autour du culte de la déesse

Rome, celle-ci étant associée à l’Empereur, et ce culte étant conçu comme une forme de loyalisme des peuples soumis. Placée au cœur de l’idéologie, Rome doit donc faire l’objet sur le sol viennois, à l’image du Temple d’Auguste et Livie, comme dans le reste de la Narbonnaise, de témoignages divers et variés.267

262B. Rémy, Loyalisme politique et culte impérial dans la cité de Vienne au Haut-Empire d’après les inscriptions, R.A.N., t. 36, 2003, p.

362.

263Cartes, p. 496 et 504.

264Dion Cassius, Histoire romaine.

265E. Thevenot, Les Gallo-romains, Paris, 1948, p. 83 à 98. 266Tacite, Annales, I, 78, 1.

267B. Rémy, Loyalisme politique et culte impérial dans la cité de Vienne au Haut-Empire d’après les inscriptions, R.A.N., t. 36, 2003, p.

70 a. Les objets iconographiques représentant la divinité.

Il y a très peu de documents figurés qui ont été découverts sur le territoire, mais ceux- ci sont d’une très haute qualité.

Le premier d’entre eux est le grand Camée de Vienne, qui illustre parfaitement le rapport Rome (ville-déesse = entité) et Auguste. Il symbolise au début du Principat l’unité entre passé-éternité et le présent nouveau régime, entre l’état et l’imperator, révélateur du culte personnel de l’Empereur vivant et victorieux.268

Le second document est le clipeus en bronze de Boutae. Ce remarquable objet est composé du buste en haut relief de la déesse Rome scellé sur un hémisphère de plomb, qui a été retrouvé dans la plaine des Fins à Annecy. Selon P. Broise, ce clipeus devait décorer un des monuments publics du vicus, comme le théâtre, la basilique, ou encore l’horloge publique.269

Ce clipeus de Boutae est intéressant, car il prouve la présence de la divinité en dehors des trois principales agglomérations de la civitas, et en dehors des grands sanctuaires. Il atteste enfin la présence de Roma sur le département haut-savoyard.

b. Les hauts-lieux de culte de la déesse sur le sol allobroge.

La déesse Rome est l’objet d’une dévotion dans deux sanctuaires, dont l’un se trouve dans le très riche contexte de la Combe de Savoie.

Quelle que soit la réalité exacte des croyances autochtones qui nous sont parvenues à travers l’assimilation à Mercure, l’exceptionnel site de Châteauneuf, découvert en 1979, s’ordonne autour d’un sanctuaire, où est attesté un culte mixte associant culte indigène et culte impérial. La proximité d’un théâtre devant servir à des spectacles à caractères religieux, des thermes et un quartier d’habitations indiquent un noyau concentré d’édifices publics. Selon C. Mermet et B. Rémy270, le site devait jouer un rôle de petit centre régional destiné à une population rurale dispersée. Le fanum est un temple double érigé au confluent de l’Arc et de l’Isère. Tout le site est structuré autour du sanctuaire, avec des inscriptions émanant des autorités locales, reflets d’un loyalisme religieux et, de l’autre, il y a des éléments plus populaires dont témoigne la série de graffites sur tuile. Les documents épigraphiques révèlent, de plus, un culte associant Mercure à sa parèdre Maïa, un culte dédié au dieu indigène

Limetus, et enfin un culte de Rome et d’Auguste271. Son rôle régional, ses édifices et ses

textes gravés font que ce sanctuaire n’a sans doute pu exister qu’avec le soutien financier, moral et social des élites locales.

L’autre haut sanctuaire, aux environs d’Aquae, se situe à Brison-Saint-Innocent, possédant quelques similitudes avec celui de Châteauneuf. On peut même penser que c’était un lieu de culte impérial au moins aussi important, car nous savons, par l’épigraphie, que l’association Rome et Auguste devait y être vénérée comme semble le confirmer la présence d’un flamine (C.I.L. XII 2458).

268J. Champeaux, Figures du pouvoir dans l’Eneide, in Signes et destins d’élection dans l’Antiquité, Besançon, 2006, p. 83 à 101. 269P. Broise, Le vicus gallo-romain de Boutae et ses territoires, Annecy, 1984, p. 67 – Annexe, p. 429.

270C. Mermet, B. Rémy, Des dieux gaulois aux dieux de la Gaule romaine, et Châteauneuf-les-Boissons : un sanctuaire d’agglomération

secondaire, in Le catalogue de l’exposition du Musée dauphinois de Grenoble, Gollion, 2002, p. 146 à 151 ; p. 158 et 159 – Annexes, p. 469, 480 à 482.

271B. Rémy, Loyalisme politique et culte impérial dans la cité de Vienne au Haut-Empire d’après les inscriptions, R.A.N., t. 36, 2003, p.

376. B. Rémy souligne que les graffites révèlent un aspect encore inconnu lorsque Rome est honorée seule, au lieu d’être associée au Prince. Les fidèles des classes populaires à Châteauneuf devaient la considérer comme la garante de leur prospérité.

71 2. Les membres de la Maison Divine mis en scène

Au-delà de l’association Rome – Auguste au début du Principat, et en dehors des textes épigraphiques, d’autres documents, relativement peu nombreux, soulignent l’attachement du peuple allobroge au prince et à sa famille.

a. Représentations iconographiques des empereurs.

Nous connaissons déjà l’exceptionnel autel octogonal d’Agnin sur lequel est représenté Septime Sévère entouré des dieux de la semaine. En Isère, à Cularo, rue du vieux temple, trois marbres votifs ont, eux, été gravés en l’honneur de César, Auguste et Trajan.272

En Savoie, à Aquae, dans les fameux thermes, des statues colossales et divers fragments en marbre gris et blanc, représentant des personnages masculins et féminins, ont été mis au jour. Il pourrait s’agir de notables ou des membres de la Maison Divine.273

Deux autres documents figurés ont été découverts dans la région de Boutae, en Haute- Savoie, mettant en scène un Empereur. Le premier est une patère en argent274 consacrée à

Apollon Aelius, protecteur d’Octave à la bataille d’Actium275. D’un diamètre de 14,7 cm, elle est ornée d’un médaillon central évoquant la tête d’Auguste avec pour légende « Octavius

Caesar ». Autour sont dessinées des scènes empruntées au mythe d’Apollon, Neptune et

Mercure. Toujours à Annecy, au sud de la place des Romains, a été retrouvé un trésor avec notamment une tête de 43 cm. Ce buste en bronze276 est à l’effigie d’Antonin le Pieux.

b. Représentations iconographiques de princesses.

R. Lauxerois277 fait référence à une statue monumentale découverte à Vienna se

dressant au théâtre, sans doute dans une niche du mur de scène. Elle faisait alors face aux spectateurs, accompagnée des autres images des souverains et des dieux278. C’est la seule et unique statue de cette taille avec la Caryatide à avoir été conservée. Elle représente Antonia Minor, princesse impériale, nièce d’Auguste et mère de Claude. Seulement, ce personnage de l’aristocratie romaine ne semble pas avoir fait l’objet d’une divinisation.

Toujours dans la capitale allobroge, I. Cogitore279 fait aussi référence à des monnaies

d’argent frappées au visage de Messaline, femme de Claude. La monnaie devient un support de propagande où dieux, princes et princesses se côtoient.

Dans le département isérois, deux autres témoignages figurés ont été découverts. A Sainte-Marie-d’Alloir280, deux têtes ont été trouvées, l’une en pierre étant une jeune notable

aux cheveux ondulés, et l’autre étant un buste en marbre d’une impératrice romaine. Enfin, à

272A. Pelletier, F. Dory, W. Meyer, J.-C. Michel, Carte Archéologique de la Gaule, l’Isère, C.A.G. 38/1, Paris, 1994, p. 74 – Annexe, p.

468.

273B. Rémy, F. Ballet, E. Ferber, Carte Archéologique de la Gaule, La Savoie, C.A.G. 73, Paris, 1997, p. 106 – Annexe, p. 428. 274F. Bertrandy, M. Chevrier, J. Serralongue, Carte Archéologique de la Gaule, La Haute-Savoie, C.A.G. 74, Paris, 1999, p. 136, fig. 84. 275A propos de la dévotion d’Auguste à Apollon : N. Boëls-Janssen, Les « faiseuses de rois », Tanaquil, Fortuna et les autres, in Signes et

destins d’élection dans l’Antiquité, Besançon, 2006, p. 67 ; J. Champeaux, Figures du pouvoir dans l’Enéide, in Signes et destins d’élection dans l’Antiquité, Besançon, 2006, p. 84 ; J. Gagé, Apollon romain, Paris, 1955 ; A. Loupiac, Virgile, Auguste et Apollon, Paris, 1999.

276F. Bertrandy, M. Chevrier, J. Serralongue, C.A.G. 74, Paris, 1999, p. 144, fig. 90 – Annexe, p. 426. 277R. Lauxerois, Vienne, un site en majesté, Veurey, 2003, p. 16 et 17 ; p. 34 et 35 – Annexe, p. 427.

278C. Bezin, Vaison-la-Romaine, Une longue histoire…, Aix-en-Provence, 1999, p. 38. Le mur de scène des théâtres sert de grand décor, et

est généralement orné de statues. C’est ainsi le cas, par exemple, à Vasio où a été découvert quatre marbres monumentaux représentant Claude, Domitien, Hadrien et Sabine.

279I. Cogitore, Valerius Asiaticus, le plus romain des Allobroges, in Le catalogue de l’exposition du Musée dauphinois de Grenoble,

Gollion, 2002, p.68 à 71.

72 Tullins, parmi des tombes, c’est un camée à l’effigie de Faustine qui a été découvert. Ce bijou porte comme légende : « Diva Faustina Aug(usta) ».281

c. Le Temple d’Aoste.

Aoste constitue, à l’époque, une des portes des Alpes282. C’est de plus un des vici

fondés par Auguste. Nous savons ainsi que Rome y est attestée à plusieurs reprises et on peut, dès lors, se demander si l’arc de triomphe d’Auguste n’a pas eu la même symbolique que le Temple de Vienne. Il semble, cependant, et dans tous les cas, démontrer l’attachement et la reconnaissance des habitants d’Augustum au Père du Principat.283

Comme nous pouvons le vérifier dans ce premier chapitre, les cultores (les dévots) peuvent avoir des statuts juridiques très variés et ont fait preuve d’actes d’évergétisme éclectiques : autels votifs, bases de statuts, plaques, temples, arches, édifices, statues ou autres documents figurés. Souvent encore, ils se sont acquittés d’un vœu après avoir été exaucé d’une demande contractuelle (dont nous ne savons généralement pas grand chose). Pratiques et dévotion religieuses, intégration, voire promotion paraissent dicter les choix des élites allobroges.

D’une manière plus générale, selon Hélène Durand284, temples et autels jouent un rôle

primordial dans la diffusion du culte. Ils sont l’oeuvre du pouvoir romain lui-même comme le sanctuaire fédéral de Lyon consacré par Drusus le 01/08/12 av. J.-C., ou d’un don de citoyens plus ou moins fortunés. On a aussi retrouvé à Suse le trophée des Alpes285 élevé à la gloire d’Auguste en 7. 6 av J.-C. Plus rares sont les bustes ou statues des Alpes occidentales parvenus jusqu'à nous ; et c’est essentiellement l’épigraphie qui nous renseigne sur le culte impérial, révélant de nombreuses prêtrises.

Le corpus mettant en relief les élites viennoises et le culte impérial peut apparaître moins conséquent que nous aurions pu le supposer. Néanmoins, les témoignages, dans la Province de Narbonnaise, qui sont relativement nombreux chez les Voconces, le sont également chez les Allobroges. A titre de comparaison, de l’autre côté du Rhône, les inscriptions de l’Ain286 ne révèlent que quelques traces écrites et n’attestent la présence que

d’un unique sévir augustal. Dans la cité de Vienne, le culte a la même vitalité que celle autour de Turin, alors qu’elle est plus modeste au cœur des massifs.

Toutefois, il ne faut pas s’arrêter à cette vision pouvant paraître quelque peu restrictive. Pour reprendre les termes de J.-J. Hatt287, le culte impérial a diffusé dans les

masses à la faveur du loyalisme un certain nombre de conceptions. Dans la cité des Allobroges, les empereurs sont aussi honorés comme de véritables dieux vivants par la

281Ibidem, p. 140.

282B. Rémy, J.-P. Jospin, Recherches sur la société d’une agglomération de la cité de Vienne – Aoste(Isère), R.A.N., t. 31, 1998, p. 73 à 89. 283B. Rémy, La conquête romaine, in La Savoie gallo-romaine, Chambéry, 1997, p. 19 – Annexe, p. 467.

284H. Durand, Le culte impérial, in Atlas culturel des Alpes occidentales, Paris, 2004, p. 212 et 213. 285G. Barruol, Le Royaume de Suse, in Atlas culturel des Alpes occidentales, Paris, 2004, p. 138 et 139.

286F. Bertrandy, F. Kayser, B. Rémy, A. Buisson, Les Inscriptions de l’Ain (ILAin), Bresson, 2005, p. 27 et 28. (voir : IL Ain 25, 54, 57, 89,

101-102, 106).

73 plèbe.288 Le culte n’est donc pas l’apanage des notables. De plus, comme cette étude va nous

le faire découvrir au fil des pages, la nouvelle idéologie va s’ancrer également, plus ou moins directement, dans divers actes de dévotion où sont vénérées les divinités gréco-romaines289 ; ou encore, de manière plus marquante, dans l’introduction des religions à Mystères, et notamment, au cœur de la capitale, à travers le culte à Cybèle, dont nous connaissons les liens avec le culte impérial.290

288B. Rémy, N. Mathieu, Les femmes en Gaule romaine (Ier siècle av. J.-C. – Vème siècle ap. J.-C.), Paris, 2009, p. 154. (voir la dédicace

votive à Néron et Limetus à Châteauneuf – ILN 463).

289S. Cibu, Villes alpines et religion civique, in La ville des Alpes occidentales à l’époque romaines, Actes du colloque international,

Grenoble, 6-8 Octobre 2006, Grenoble, 2008, p. 138. A l’image des honneurs rendus à l’empereur, les communautés alpines et de Narbonnaise, ont sans doute adopté des manières romaines pour vénérer collectivement les dieux.

74 Maquette de Vienne antique à la fin du deuxième siècle

Maquette de F. Trouvé, musée et site de Saint-Romain-en-Gal

Maquette du centre monumental de Vienne

75

R. 109 - Graffito sur tuile de Châteauneuf consacré à

Rome

76

Chapitre II : Les citoyens de la cité et la dévotion aux