• Aucun résultat trouvé

Chapitre II : Les citoyens de la cité et la dévotion aux dieux gréco-romains

E. Hercule, dieu symbolique du figuré.

Selon I. Tournié505, les peuples des montagnes des Alpes occidentales accordent leur

confiance à Jupiter, dieu des sommets à l’image de Zeus, et à son fils Hercule (Heraclès). Ce dernier est donc l’une des divinités des passages, des cols et des monts506, ce qui pourrait

laisser présager que son culte devait être relativement important chez les Allobroges, dont le territoire couvrait une partie des deux Savoie et l’ensemble de l’Isère.

Seulement, paradoxalement, Hercule est quasi absent de l’épigraphie viennoise. En dehors de la donation d’une flaminique à Vienne (ILN 88), aucune dédicace, aucun autel, aucune épithète ne le mentionne. A contrario, Hercule, comme nous allons pouvoir le constater, est omniprésent dans la statuaire et l’iconographie allobroges507. La cité semble

suivre en cela « la vogue extraordinaire du demi-dieu en Gaule pendant toute la période romaine ».508

1. La statuaire

Une quinzaine de statues et statuettes a été mise au jour sur le sol viennois, non pas prioritairement dans des lieux montagneux, mais davantage dans des vici secondaires.

a. En Isère et en Savoie.

Dans la région iséroise, une statuette d’Hercule a été retrouvée à Sonnay509, et une autre, en bronze, à Bougé-Chambalud510, dont nous ne savons pas s’il s’agit de Jupiter ou

d’Hercule.

A Aquae, les chercheurs ont découvert les restes d’une statue, peut-être d’Hercule, en marbre blanc, ainsi qu’un fragment en peau de lion dans les piscines des thermes511. Ils ont

également trouvé, parmi les statues animant l’espace intérieur du Temple de Diane, un autre Hercule512. Une statuette haute de 11cm représentant un personnage, pouvant être un Hercule

combattant selon J. Prieur, nu, debout, bras et jambes légèrement écartés, tenant un objet mal

505

C. Jourdain-Annequin, I. Tournié, Les divinités romaines et syncrétiques, in Atlas culturel des Alpes occidentales, , Paris, 2004, p. 200 et 201 – Carte, p. 508.

506 C. Jourdain-Annequin, Quand Grecs et Romains découvraient les Alpes, Les Alpes voisines du ciel, Paris, 2011, p 276 à 283. 507Carte, p. 492.

508J.-J. Hatt, La tombe gallo-romaine, Paris, 1986, p. 412. 509C.A.G. 38/1, p. 118.

510Ibidem, p. 113. 511C.A.G. 73, p. 106.

103 identifié dans la main droite, son bras gauche entouré d’un manchon, a été retrouvée à Saint- Girod.513

b. En Haute-Savoie.

C’est en réalité en pays haut-savoyard qu’a été découvert le plus grand nombre de témoignages, et en premier lieu autour de Boutae.

A Annecy514 même, quatre statuettes de bronze ont été recensées. La première, haute

de 8,5cm, est un Hercule jeune, nu, imberbe, portant la peau de lion sur le bras gauche et tenant le bras droit en avant. Un second nu, haut celui-là de 7cm, se tient debout, brandissant la massue dans la main droite, la peau de lion reposant sur le bras gauche. Un autre Hercule nu et debout, haut de 8cm, brandit dans sa main droite une massue (manquante) et serrant dans celle de gauche un arc et ses flèches, plus une peau de lion posée. La dernière est haute de 9cm. C’est un nu, debout, bras droit levé et bras gauche tendu en avant. Pas très loin d’Annecy, à Veyrier-du-Lac515, les archéologues ont mis au jour une statuette de bronze de

12cm.

Dans la vallée du Faucigny, appartenant au pagus de Genava, quatre statuettes sont référencées. Celle d’Arenthon516 mesure 8cm et celle de Boège517 est aujourd’hui conservée

au Musée d’Art et d’Histoire de Genève. Les deux dernières, dont l’une est haute de 11cm, ont été mises au jour à Bonneville518. Enfin, à Tunno (Thonon-les-Bains)519, un témoignage mentionne une statuette en bronze de 10,8cm.

Nous pouvons constater qu’Hercule est absent de la statuaire dans les trois grands centres de la cité. Les témoignages se concentrent essentiellement dans trois zones géographiques : à Aquae, dans la région d’Annecy et dans le Faucigny. Aucun d’eux n’atteste la présence d’un lieu de culte ou d’un monument quelconque dédié à Hercule. Il s’agissait, sans doute, d’objets modestes relevant de culte privé, comme le suggèrent les statuettes de bronze. Tous ces témoignages figurés, par leur métal, laissent supposer qu’elles émanent de dévotion de personnages ayant une certaine situation dans la société allobroge, mais rien ne permet de connaître leur statut exact. Hercule apparaît, à travers la statuaire, comme une divinité au culte relativement populaire520, même si l’interprétation iconographique demeure

délicate.

Cependant, ce qui est singulier sur le territoire viennois, c’est que les différentes statues et statuettes n’ont en rien été retrouvées au sommet de montagnes ou au passage de cols. D’une manière assez originale, chez les Allobroges, Hercule semble donc perdre ce caractère affirmé dans le reste des Alpes occidentales, et recouvrir essentiellement une personnalité romaine.

2. Les autres documents iconographiques

L’image du fils de Jupiter apparaît sur d’autres supports iconographiques dans la cité. Absent de la statuaire dans la capitale, Hercule est présent dans la décoration des domus. Dans 513C.A.G. 73, p. 191. 514C.A.G. 74, p. 146. 515Ibidem, p. 357. 516Ibidem, p. 191. 517Ibidem, p. 197. 518Ibidem, p. 199. 519C.A.G. 74, commune n°281, p. 338.

520J.-J. Hatt, La tombe gallo-romaine, Paris, 1986, p. 412. La masse du peuple gallo-romain considère la figure d’Herculecomme le type

104 la Maison de l’Atrium, une mosaïque521, aujourd’hui conservée au Musée de la civilisation

gallo-romaine de Lyon, représente l’ivresse d’Hercule. A Saint-Romain-en-Gal, une autre mosaïque522 décorait la salle de réception d’une grande maison viennoise vers la fin du IIème siècle. Intitulée « Les Athlètes vainqueurs », elle représente notamment Hercule combattant le Lion de Némée. Hercule y apparaît comme le symbole central, référence pour tous les athlètes. Comme la peinture des thermes des Lutteurs, cette mosaïque atteste du goût des Viennois pour les concours athlétiques.

Deux autres documents figurés ont été mis au jour dans le reste de l’Isère. Dans une luxueuse villa de la basse vallée du fleuve, à la frontière dromoise, près du massif du Vercors, à Saint-Paul-lès-Romans523, dans les pièces nobles ouvrant sur le portique sud, le sol de celles-ci était orné de splendides mosaïques datable de la fin du IIème siècle, aujourd’hui

conservées au Musée de Valence : « Les saisons », « Orphée charmant les animaux » et « Les travaux d’Hercule ». Cette dernière est l’une des huit seules mosaïques retouvées dans le monde romain représentant les travaux. Classée monument historique, elle est unique en Gaule524. A Saint-Jean-de-Bournay, en 1835, on a découvert un masque colossal en pierre du

même dieu.525

Un dernier document, moins spectaculaire, a été retrouvé à Tunno. Hercule en compagnie de Vénus décore les poinçons principaux d’une frise d’un moule de vase de l’atelier du vicus526. Ce moule de fabrication de bois en terre sigillée à décor en relief daterait

du IIème siècle ou au début du IIIème siècle.527

Hercule ne jouit que d’un seul témoignage épigraphique chez les Allobroges, et aucun document monumental ne l’honore dans la cité. Si dans les Alpes Graies, entre Tarentaise et Ceutrons, il est vénéré dans le Val d’Aoste (Salassi), au col du Petit-Saint-Bernard528, à

travers un sanctuaire qui lui est dédié avec son père, ou sur des plaques en association avec

Graius ; si au moins six autels le mentionnent à Glanum en tant que gardien de la source et

ouvreur de passage dans les défilés rocheux529, et si une dédicace l’atteste à l’Abbaye de

Saint-Pons530 dans la cité de Cemenelum au cœur des Alpes maritimes, il n’a pas du tout la même portée, ni le même rôle dans le panthéon viennois.531

Hercule semble avoir une figure et un caractère très romains, et son mythe, notamment à travers les mosaïques, fait surtout l’objet de décoration. Cependant, il est beaucoup plus délicat d’interpréter les nombreuses statuettes de bronze à son effigie. Hercule devait sans doute jouir d’un certain prestige privé, dans quelques familles, dans des lieux très localisés.

521 A. Le Bot-Helly, Vienne du village gaulois à la capitale de la cité, in Le catalaogue de l’exposition du Musée dauphinois de Grenoble,

Gollion, 2002, p. 108, photo. A. Le Bot-Helly – Annexe, p. 436.

522H. Savay-Guerraz, P. Veysseyre, Saint-Romain-en-Gal, Des objets qui racontent l’Histoire, Lyon, 2004, p. 16 à 26.

523J.-P. Jospin, La villa de Saint-Paul-lès-Romans, in Le catalogue de l’exposition du Musée dauphinois de Grenoble, Gollion, 2002, p. 136

et 137 ; J.-P. Jospin, La villa de Saint-Paul-lès-Romans, in Atlas culturel des Apes Occidentales, Paris, 2004, p. 154 – Annexe, p. 436.

524M.-N. Roy, Les marbres de la villa des Mingauds à Saint-Paul-lès-Romans (Drôme), La Pierre et l’Ecrit, 20, Revue d’histoire et du

patrimoine en Dauphiné, Grenoble, 2009, p. 8 à 13. Selon l’auteur, la mosaïque date de 150-180 ap. J.-C. ; et le propriétaire de la villa avait le goût et les moyens pour faire venir des marbres de destinations lointaines : Italie, Espagne, Grèce ou Asie Mineure.

525C.A.G. 38/1, p. 126.

526L. Berman, Dépôts de fouille, in Thonon Magazine, 57, Déc 2009-Janv 2010, p. 32. Le moule de frise fait notamment partie du dépôt. 527Le journal de l’exposition du Musée Savoisien de Chambéry, Les Allobroges : Gaulois et Romains du Rhône aux Alpes, Chambéry-

Grenoble, 2002, photo. D. Paunier.

528 C. Jourdain-Annequin, Quand Grecs et Romains découvraient les Alpes, Les Alpes voisines du ciel, Paris, 2011, p 202. 529A. Roth Congés, Glanum, De l’oppidum salyen à la cité latine, Paris, 2000, p. 41 et 42.

530S. Morabito, Inscriptions Latines des Alpes Maritimes, Nice, 2010, p. 263. Honoré dans ce document (ILAM 156) par des tailleurs de

pierre (lapidarii), Hercule symbolise ici la résistance physique. Il est un exemple pour les ouvriers de travaux pénibles. Pour S. Morabito, cette dédicace relève du processus d’interpretatio.

105