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Junon et Minerve, les déesses de la triade capitoline.

Chapitre III : Les notables et les cultes des déesses gréco romaines

A. Junon et Minerve, les déesses de la triade capitoline.

Composant avec Jupiter la triade capitoline, Junon et Minerve sont les divinités féminines les plus importantes de la cité latine, faisant l’objet d’un culte largement répandu. Junon, sœur et épouse de Jupiter, fille de Saturne et de Rhéa, est la déesse de la lumière, du cycle lunaire, divinité des femmes et de la féminité. Minerve est, elle, la protectrice de Rome, patronne des artisans et du travail manuel, représentée casquée et cuirassée, symbolisant la connaissance et la sagesse.576

Ensemble ou séparément, le chercheur peut penser que, sur le territoire allobroge assez profondément romanisé, dont l’histoire se confond avec celle de Rome depuis plusieurs siècles, dont le peuple est depuis longtemps pacifié, les deux divinités occupent un rang privilégié.

573B. Rémy, Des dieux gaulois aux dieux de la Gaule romaine, in Le catalogue de l’exposition du Musée dauphinois de Grenoble, Gollion,

2002, p. 146 à 151.

574Cartes, p. 497 à 500.

575B. Rémy, N. Mathieu, Les femmes en Gaule romaine (Ier siècle av. J.-C. – Vème siècle ap. J.-C.), Paris, 2009, p. 152. Comme nous l’avons

déjà vu, les auteurs, dans ce récent ouvrage, commencent à envisager « des personnalités et des fonctions très proches de celles des dieux romains ».

120 1. Le sanctuaire capitolin de la colline Saint-Blandine

Au vu des liens unissant les deux déesses, on peut s’attendre à les retrouver honorées le plus souvent ensemble ; ce qui, après étude, ne paraît nullement se vérifier, comme en atteste les uniques témoignages de Sainte-Blandine.

Dans de nombreux chefs lieux un capitole, c’est-à-dire un temple en l’honneur de la triade tutélaire de Rome, a été mis à jour. Selon R. Chevallier577, dans la capitale allobroge, il

semble que c’est la colline Sainte-Blandine qui joue ce rôle, notamment à cause de sa position stratégique et de la grande quantité de mobilier votif retrouvée en ce lieu, soulignant qu’un important sanctuaire était établi en son sommet.

Dans la cité, la colline a un caractère historique et sacré. Si le plan rectangulaire du sanctuaire n’a rien de classique, n’ayant vraisemblablement ni podium, ni colonnade, ni péristyle ouvert à l’ouest, il pourrait être d’origine gauloise, confirmant le caractère indigène conservé même à l’époque romaine au cœur de la capitale.578

Dans cette aire sacrée, plusieurs statues ont été retrouvées comme la tête d’une divinité ceinte d’un diadème, offrant une ressemblance avec celle de la Tutela de Vienna, mais représentant plus certainement la déesse Junon.579 Deux autres documents ont été découverts,

accréditant l’hypothèse du capitole viennois : une statue de Jupiter au centre, surélevée, avec à sa droite Minerve (alors qu’à sa gauche se tient Junon). Sainte-Blandine a sans doute cette fonction dès le début du Haut-Empire, sous le règne d’Auguste.580

2. Junon, la déesse de la féminité

Si la Carte Archéologique de la Gaule581 affirme qu’en Isère, après Mercure, Mars,

Jupiter, Hercule et Bacchus, Junon est la divinité la plus honorée et la première déesse (en exceptant les déesses Mères), c’est omettre, comme nous le verrons par la suite, un peu rapidement le rôle joué par Maïa, ou encore une divinité comme Cybèle. Deux dédicaces seulement, mentionnant Junon, ont été mises au jour dans cette partie du territoire.

Près de Cularo à Seyssuel582, un autel, aujourd’hui conservé au Musée lapidaire de Vienne, a été consacré (sacrum) à Iunoni Reg(inae) Aug(ustae) au IIème siècle. Junon reine est

très peu honorée en Gaule583 (cinq occurrences, dont deux, ailleurs, en Narbonnaise : C.I.L.

XII 1285. 3068 à Vaison-la-Romaine584 et à Nîmes), la concurrence des déesses Mères, notamment, pouvant expliquer cette désaffection. Cet autel a été érigé par Titus Cassius Eros, un affranchi de la puissante gens Cassia. Ce personnage était suffisamment riche puisqu’il honore aussi les déesses Mères sur un autre document à Cularo (ILN 359). Il est curieux de noter que son troisième fils s’appelle Secondus.

A Augustum (Aoste), une autre dédicace a sans doute été gravée en l’honneur de Junon par un certain …ius Severianus585, portant certainement les duo nomina seconde manière.

577R. Chevallier, Provincia, Paris, 1982, p. 96 et 97.

578A. Pelletier, A. Blanc, P. Broise, Histoire et archéologie de la France ancienne, Rhône-Alpes, Le Coteau, 1988, p. 181 et 182 – Annexes,

p. 435, 477 et 478.

579Annexe, p. 440.

580A. Le Bot-Helly, Vienne, porte des Alpes, in Atlas culturel des Alpes occidentales, Paris, 2004, p. 122 à 125. 581A. Pelletier, F. Dory, W. Meyer, Carte Archéologique de la Gaule, L’Isère, C.A.G. 38/1, Paris, 1994, p. 41. 582R 88 – ILN 293 – CIL XII 1816 ; C.A.G. 38/1, commnune n°303, p. 144 et 145 – Annexe, p. 406.

583F. Bertrandy, F. Kayser, B. Rémy, A. Buisson, Les Inscriptions de l’Ain (ILAin), Bresson, 2005, p. 25 : ILAin 20. Les auteurs ont

recensé une dédicace à Jupiter très bon, très grand et à Junon reine, à Saint-Sorlin-en-Bugey.

584C. Bezin, Vaison-la-Romaine, Une longue histoire…, Aix-en-Provence, 1999, p. 37. 585R 73 – ILN 593 – CIL XII 2387 – Annexe, p. 410.

121 Les témoignages iconographiques sont à peine plus nombreux dans la cité puisque seulement trois représentations de la déesse seule peuvent être recensées.

Tout d’abord, une tête de Junon reine a été retrouvée à Vilette-de-Vienne586, à la chevelure abondante nouée en forme de chignon, couronnée d’un diadème portant une inscription. Conservée au Musée de la civilisation gallo-romaine de Lyon. Elle est du style des chefs d’œuvres grecs de la fin du IVème siècle av. J.-C. L’inscription du diadème (C.I.L.

XII 1891) est dédiée par un questeur viennois : L(ucius) Litugius S(exti) f(ilius) Laena

q(uaestor) col(oniae).

A Vienne, selon R. Lauxerois587, une autre tête de marbre de la divinité, conservée au

Musée Saint-Pierre, a été mise au jour lors des fouilles de 1976.

Enfin, sur la plaque de bronze des Roches-de-Condrieu588 où est mis en scène le

groupe Bacchus-Silène, avec au-dessus d’eux, à gauche, Diane, représente également, en haut à droite, une tête féminine voilée pouvant être Junon.

Comme pour l’épigraphie, les témoignages iconographiques se concentrent uniquement dans la partie occidentale du territoire. La présence de la déesse seule, ou accompagnée de Minerve, n’est pas aussi probante que le chercheur aurait pu le penser. Junon ne semble pas avoir connu un grand succès dans la cité, et elle n’est, semble-t-il, guère populaire dans les provinces occidentales.589

3. Minerve, symbole de la connaissance et de la sagesse

César, dans son « interpretatio », affirme que du groupe des dieux gallo-romains honorés par les Gaulois, après Mercure, vient notamment Minerve qui recouvre une divinité gauloise des techniques. Dans la cité, deux autels sont consacrés à la déesse de la sagesse.590

Une certaine Successa a fait élever un petit monument en Isère, à Saint-Nazaire-en- Royans591. Comme le montre le formulaire où le nom de la dédicante précède le nom de la

divinité, ce document date de l’époque julio-claudienne. Successa, qui porte un nom unique latin, a un statut délicat à définir, l’absence de filiation pouvant laisser penser à une origine servile.

En Savoie, à La Chapelle-du-Mont-du-Chat592, a été retrouvée une inscription lapidaire aujourd’hui perdue. Peu de personnes ont vu ce bloc appartenant à un autel. L’un des témoins, Ch. Pingon593, en donne plusieurs versions associant Mercure et Mars, ce qui paraît

peu probable. Si le temple est avec certitude dédié à Mercure, on peut penser que c’est la déesse Minerve qui lui est associée. Le dédicant est un personnage portant les duo nomina, nommé Albanus Valerius.

Il faut noter que ces deux monuments tendent à prouver qu’il existait des sanctuaires dédiés à la déesse de la sagesse, et ceci dès le Ier siècle.

Plusieurs documents iconographiques ont également été découverts dans la cité. Dans la capitale, lors des fouilles de la rue des colonnes menées par R. Lauxerois, une tête de Minerve en marbre a été retrouvée. Elle fut présentée lors de l’exposition itinérante sur les Allobroges qui s’est tenue successivement à Grenoble, Chambéry, Annecy et Genève.

586C.A.G. 38/1, p.145, fig. 94.

587R. Lauxerois, Vienne, un site en majesté, Veurey, 2003, p. 34. 588C.A.G. 38/1, p. 152, fig. 104 et 105 – Annexe, p. 443.

589B. Rémy, J.-P. Jospin, Recherches sur la société d’une agglomération de la cité de Vienne – Aoste(Isère), R.A.N., t. 31, 1998, p. 83 à 89. 590César, Guerre des Gaules, VI, 17 ; A. Pelletier, La femme dans la société gallo-romaine, Paris, 1984, p. 108.

591R 95 – ILN 330 – CIL XII 2206 – C.A.G. 38/1, p. 107 – Annexe, p. 406. 592R 143 – ILN 627 – CIL XII 2436 – C.A.G. 73, p. 140.

122 En Isère, à Gaulas, on a découvert un fragment de frise en plomb594 représentant un

cavalier nu-tête, muni d’un bouclier, terrassant un ennemi à l’aide d’une lance. A côté de la frise, sur une hampe en bronze figure Minerve casquée, revêtue d’une cuirasse, couverte de la peau et de la tête de la chèvre Amalthée. Ces objets se trouvaient à proximité de tombes contenant des glaives.

Dans le pagus d’Apollon, à Boutae, parmi d’autres objets découverts dans la plaine des Fins, est mentionnée une statuette de Minerve en cuivre doré, haute de 8,4cm595. Au sud de l’agglomération, une bague à châton en cornaline est gravée d’une représentation d’Athéna, appuyée sur un bouclier. Cette partie centrale de bague fait donc référence à la Minerve hellène.596

A l’inverse de Junon, Minerve semble bénéficier d’hommages beaucoup plus hétéroclites, et géographiquement beaucoup moins localisés autour de Vienna.

Les deux déesses capitolines sont fort peu représentées ensemble dans la cité, et en dehors de Vienna, dans la Provincia597, seuls trois autres agglomérations semblent avoir fait

l’objet de découvertes permettant d’émettre l’hypothèse de la présence d’un temple capitolin. Un temple est attesté avec certitude à Avignon, ayant été érigé probablement entre 14 et 23 de notre ère. Les chercheurs s’interrogent aussi sur le monument dominant le forum de Narbonne. Enfin, à Nîmes, une tête d’un Jupiter capitolin peut témoigner de la présence de la triade.

Comme chez les Allobroges, les dédicaces honorant Junon sont rares en Narbonnaise. La divinité est attestée à Aix-en-Provence598 (C.I.L. XII 496) et sur trois inscriptions à Nîmes

sous différentes dénominations : Iuno Regina – Iunones – Iunon (les Iunones semblent être les protectrices de la santé des femmes599).

Minerve n’est elle qu’exceptionnellement citée chez les Voconces600 et les Allobroges,

loin de l’image laissée par César. Les témoignages dans la Provincia Narbonensis sont toutefois plus nombreux que ceux liés à Junon. Elle est l’une des seules divinités notamment sur le pourtour méditerranéen à paraître vêtue, armée et cuirassée, dans les représentations figurées. Elle est le plus souvent, dans l’ensemble de la Gaule, assimilée à l’importante, mais énigmatique, déesse institutrice des Arts et Métiers des Celtes. C’est en réalité moins la patronne de la triade que la patronne des petites gens qui est honorée601. Néanmoins, ce

syncrétisme paraît plus délicat à confirmer dans la cité au regard du peu de témoignages épigraphiques, de l’image gréco-romaine de la déesse sur les documents figurés, et du fait que Jupiter possède, sur le sol viennois, un caractère tout capitolin.

En Narbonnaise, ce n’est pas moins d’une douzaine de dédicaces et une trentaine de documents iconographiques qui lui sont consacrées. Deux inscriptions ont été retrouvées à Aix en Provence (dont C.I.L. XII 1087), d’autres à Nîmes (C.I.L. XII 3077 – voir 3082), à Garens (I.L.N.G. n°512), à Gollias (C.I.L. XII 2974), à Fréjus (I.L.N., Fréjus, p. 118) et à Apt (C.I.L. XII 1088. 1089). Une prêtresse de Minerve et de Diane est aussi mentionnée à Antibes.

594C.A.G. 38/1, p. 112. 595C.A.G. 74, p. 138. 596Ibidem, p. 145. 597Carte, p. 497.

598J. Gascou, Inscriptions Latines de Narbonnaise, Aix en Provence, Paris, 1995, p. 238 et 239. 599P.-M. Duval, Les dieux de la Gaule, Paris, 2002, p. 55.

600C. Bezin, Vaison-la-Romaine, Une longue histoire…, Aix-en-Provence, 1999, p. 37. Minerve est honorée à Vasio. 601P.-M. Duval, Les dieux de la Gaule, Paris, 2002, p. 65, 80 et 81.

123 De nombreux documents figurés la représentent en Ardèche, dans l’Aude (camée, intaille, torse, statue et statuette à Narbonne602), dans le Gard (statue acéphale, statue en

bronze, tête casquée, intaille… à Nîmes603).

Minerve apparaît encore à travers la représentation du bélier (dans l’Aude), celui-ci symbolisant la déesse, selon les références astrologiques. En effet, Domitien, qui lui voue un culte particulier, crée la Première légion Minervae, ayant pour insigne cet animal604. Enfin,

dans le Var, sur la commune de Fox Amphoux, un temple est attesté, et on y a retrouvé une tête féminine en marbre, portant un casque en bronze.605