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Le renversement des alliances par François I er

Quinze cent quinze, bataille de Marignan. Première victoire en Italie d’un jeune roi de 19 ans, François Ier. Quinze cent quinze, c’est aussi l’année du sacre de François Ier. Ce prince de la Renaissance, remarquablement cultivé, protège artistes, hommes de science et poètes ; il a l’habitude de dire : « Je peux faire un noble, je ne peux faire un grand artiste. » D’ailleurs, il n’hésite pas à les inviter, ils sont nombreux à venir d’Italie, notamment, à commencer par le plus grand d’entre eux : Léonard de Vinci, qui arrive d’Italie à dos de mulet, avec la Joconde, aujourd’hui orgueil du patrimoine français et mondial. François Ier fait reconstruire le Louvre, agrandit Amboise, Blois, et crée Chambord. Ce roi marque l’esprit des Lyonnais lorsqu’il fait de leur ville une capitale (finalement éphémère) du royaume.

Derrière ce roi prétendument adoubé par le chevalier sans peur et sans reproche, le chevalier Bayard, – cela fait partie du roman national, et il ne faut pas y porter le moindre crédit historique – se cache un personnage très moderne, comprenant l’évolution du monde, et un fin stratège.

Les tableaux ou descriptions nous renseignent assez précisément sur ce personnage : allure majestueuse, nuque fort épaisse, barbe et cheveux châtains bien peignés, sourire malicieux, yeux noisette en amande, fesses et cuisses musclées, mais jambes maigres et arquées1. Plus encore, c’est un géant : 1 m 98, alors que la taille moyenne du Français de l’époque est d’environ 1 m 65. Grand amateur de femmes – il disait « Une cour sans

femmes, c’est comme un jardin sans fleurs » –, et, bien évidemment, bon vivant, amateur de mets délicats, de vins de qualité, de chasse.

Mais, en public, François Ier se révèle être un redoutable homme politique. Son grand rival est Charles de Habsbourg dit Charles Quint, un roi dont la puissance menace la France, encerclant ses possessions. S’il n’y prend pas garde, cet empereur pourrait avaler le petit pays qu’est la France à cette époque.

Qui est Charles Quint ? En toute simplicité, il est qualifié en 1534 de la façon suivante : « empereur des Romains, toujours Auguste, roi de Germanie, de Castille, de Léon, de Grenade, d’Aragon, de Navarre, de Naples, de Sicile, de Majorque, de Sardaigne, des îles Indes et terres fermes de la mer Océane, archiduc d’Autriche, duc de Bourgogne, de Brabant, de Limbourg, de Luxembourg et de Gueldre, comte de Flandres, d’Artois, de Bourgogne Palatin, de Hainaut, de Hollande, de Zélande, de Ferrette, de Haguenau, de Namur et de Zutphen, prince de Zulbanc, marquis de Saint-Empire, seigneur de Frise, de Salins, de Malines, le dominateur en Asie et en Afrique, roi de la Nouvelle Espagne, du Pérou, de la Nouvelle-Grenade et du Rio de la Plata et suzerain des vice-rois de ces mêmes pays2. »

Que pèse François Ier, face à cet ogre qui rêve de posséder toute l’Europe et de recréer l’Empire romain ? Il va lui falloir de l’imagination pour contrer ce redoutable voisin. Il lui faut d’abord contrôler l’Italie. C’est tout l’enjeu de cette sixième guerre d’Italie, ou Guerre de quatre ans, que François Ier lance dès 1521. Notamment, il veut faire reconnaître ses droits sur le duché de Milan, dont il se dit héritier par son arrière-grand-mère, Valentina Visconti.

Malheureusement, après quelques succès, l’aventure se termine mal.

Son cheval abattu sous lui, blessé au visage et à la jambe, il ne peut échapper à l’ennemi. François Ier est fait prisonnier à la bataille de Pavie, le 24 février 1525, dont l’un des vainqueurs n’est autre que le connétable Charles de Bourbon, son cousin, un des vainqueurs de Marignan, qui œuvre désormais pour l’ennemi.

« Tout vient à point à qui sait attendre » disait le poète Clément Marot, blessé, lui aussi, à Pavie et également fait prisonnier avec son souverain.

François méditera sans doute cet adage durant son année de détention et saura en tirer une leçon politique pour la suite. Troisième roi de France fait prisonnier après Saint Louis, à la bataille de Mansourah en 1250, et Jean le Bon, à Poitiers en 1356, il n’aura de cesse de vouloir venger cette

humiliation. Il doit donc chercher des alliés de poids pour faire face à l’influence grandissante de Charles Quint, c’est-à-dire chez les ennemis de l’empereur, les princes protestants d’Allemagne et les Turcs.

À l’occasion de sa détention, sa mère, Louise de Savoie, tente de prendre contact avec le sultan ottoman qui vient de prendre, en 1521, la ville de Belgrade. Soliman le Magnifique, le Turc, n’hésite pas à répondre par une lettre devenue célèbre : « Toi qui est François, roy du pays de France, vous avez envoyé une lettre à ma Porte […] vous avez fait savoir que l’ennemi s’est emparé de votre pays, et que vous êtes actuellement en prison, et vous avez demandé ici aide et secours pour votre délivrance […].

Prenez donc courage, et ne vous laissez pas abattre […]3. »

François Ier n’attendait-il pas plutôt une aide militaire ? Ou la réponse ne serait-elle qu’une formule diplomatique destinée à endormir un éventuel espion si la lettre tombait dans de mauvaises mains ? Officiellement, il n’y a pas d’alliance à cette date. Hasard ou tactique ? Toujours est-il que les Turcs s’engagent à nouveau en Europe, six mois après cette missive, et battent les Hongrois. Sans compter qu’ils sont déjà maîtres de la Méditerranée centrale. Désormais, les Ottomans sont une menace directe pour Charles Quint, l’obligeant, lui et ses successeurs, à se battre sur un nouveau front pour les deux siècles à venir.

Le roi de France devient alors un adepte de la « realpolitik ». Alors que, jusqu’alors, il n’était pas question de s’allier avec des « mécréants », avec des ennemis de la foi, François Ier va négocier avec le sultan, personnage central du monde musulman.

Soliman II (1495-1566) est surnommé par les Européens le Magnifique, tandis que son peuple le surnomme le Législateur, ou le Grand. Son long règne de quarante-six ans le rend incontournable, tant par sa puissance que par ses qualités militaires et humaines. Régnant sur Constantinople devenue musulmane depuis soixante-quinze ans, il fait appel au grand Mimar Sinan, architecte d’origine grecque ou arménienne – à moins qu’il ne soit finalement que turc4 – pour y faire construire de nouvelles mosquées, dont la célèbre Süleymaniyé5.

Poète à ses heures perdues, il permet au nouvel Empire ottoman d’entrer dans ce qu’il est convenu d’appeler son âge d’or culturel. Il ose écrire sur son grand amour, une esclave de son harem devenue sa favorite qu’il traitera comme sa reine6 :

Trône de mon mihrab7, ma richesse, mon amour, mon clair de lune Ma compagne intime, ma confidente, ma toute chose, mon seul et unique amour

La plus belle parmi les admirables

Mon printemps, source de toutes joies, source de lumière, mon étoile brillante, lumière de ma nuit

Mon doux sucre, mon trésor, ma rose, la seule qui ne me désole pas dans ce monde…

Mon amour aux cheveux noirs et aux beaux sourcils, aux yeux langoureux et perfides

Je chanterai toujours tes louanges…

Il règne sur un territoire immense qui n’a d’équivalent que l’empire de Charles Quint, mais à cette différence que son territoire est uni territorialement, allant de l’est du Maroc jusqu’à Bagdad, en passant par La Mecque et intégrant aussi une partie de la Hongrie, de l’Ukraine. Il n’y a pas plus puissant que lui et plus étendu. Alors, François Ier ne va pas hésiter : il n’y a que lui qui puisse sauver le petit roi de France face au grand Charles Quint.

1. Selon un soldat gallois présent au camp du Drap d’Or en 1520.

2. Renouvellement du traité de confédération et de gardiennée entre Charles V et la ville de Besançon, 4 mai 1534.

3. Lettre du 15 au 24 février 1526, E. Charrière, Négociation de la France dans le Levant, Paris, Imprimerie Nationale, 1858.

4. Des débats passionnés enflamment la Toile sur ce sujet depuis des décennies.

5. Mais aussi celle de Chéhéadé.

6. Roxelane aussi appelée Hürrem Sultan, fille d’un prêtre orthodoxe, d’une très grande beauté.

7. Niche dans une mosquée indiquant la direction de La Mecque.

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