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Pépin et les dernières batailles en France

Trop souvent, l’histoire connue s’arrête à la bataille de Poitiers, sans soupçonner que les affrontements avec les musulmans ont duré encore de longues décennies. Pouvait-il en être autrement quand on sait que Narbonne est toujours sous domination musulmane depuis 719 ? Elle est même la capitale d’une région islamique appelée la Gaule gothique, une des cinq régions de l’Espagne musulmane, presque un califat, même si elle n’avait pas une totale autonomie par rapport au pouvoir central.

À la mort de Charles Martel en 741, la tradition franque joue pleinement : le royaume est divisé entre les fils. L’aîné, Carloman, devient maire du palais de l’Austrasie, et Pépin, dit Pépin le Bref en raison de sa petite taille, maire du palais de la Neustrie avec, dans son escarcelle, la Bourgogne et la Provence. Dans la mémoire collective, Pépin le Bref reste surtout le père de Charlemagne, qui naquit de son union avec Berthe de Laon plus connue sous le nom de Berthe au grand pied.

Carloman, retiré dans un monastère du mont Cassin en 747, laisse reprendre l’Austrasie à Pépin, qui réunit donc les deux territoires, comme son père l’avait fait avant lui. Le trône royal mérovingien est vacant depuis la mort de Thierry IV en 737 et le restera pendant sept ans, pour bien montrer le peu de poids de la fonction. Comme les actes officiels étaient datés de l’année du règne, durant toute cette période, les documents seront datés de 737, et ce, durant sept années. En 743, Childéric devient le dernier roi mérovingien, roi des Francs, d’Austrasie, de Neustrie et de Bourgogne.

Il reste encore un roi de paille, laissant tout le pouvoir aux maires du palais.

Mais ce qui devait arriver arriva : quelques années avant sa mort, il est

obligé de céder son trône à Pépin et termine sa vie, lui aussi, dans un monastère.

La dynastie des Carolingiens accède désormais au trône des Francs en 751 avec le couronnement de Pépin le Bref. Il est oint de l’huile sacrée, le saint chrême de Clovis. Il endosse le rôle de défenseur de l’Église, en scellant un accord avec le pape, qui vient le couronner une seconde fois en 754. Ce dernier lui confirme la grâce divine (et surtout la possibilité de créer une nouvelle dynastie), et Pépin soutient les états pontificaux. Premier roi très-chrétien, fils aîné de l’Église (c’est la France qui sera qualifiée au

XIXe siècle de fille aînée de l’Église1), il va devoir affronter les Lombards, afin d’assurer la sécurité et l’indépendance de Rome, pour le compte du pape Étienne II.

S’il se soucie d’étendre son influence sur le monde chrétien, il doit également se préoccuper des zones où l’islam est encore présent. Il doit protéger son royaume des incursions des Sarrasins. Leur base étant Narbonne, il faut reconquérir jusqu’aux Pyrénées, et faire de la chaîne montagneuse la frontière naturelle avec l’Andalousie musulmane.

Heureusement, Pépin va être servi par les circonstances : le califat est soumis à de nombreux troubles intérieurs, en particulier une opposition entre Berbères ou Maures et Arabes, tant en Andalousie qu’en Afrique du Nord. Le calife Hicham doit affronter une révolte dramatique qui fait des centaines de milliers de morts.

À sa mort en 743, Wallid II lui succède dans guerre interne de succession violente et meurtrière. Il est tué en 744 par celui qui devient alors calife pour six mois, Yazid III. C’est au tour de Marwan II de prendre le pouvoir en 744. Une révolte menée par les Abbassides2 aboutit à la chute du pouvoir des Omeyyades de Damas. Le calife se réfugie en Égypte et y meurt. Le petit-fils d’Hicham, Abd al-Rahman Ier, dit le Juste ou l’Exilé, ayant survécu au massacre de sa famille à Damas, arrive à s’imposer dans une bataille à Cordoue comme le nouveau calife de l’Andalousie, et fonde en 753 un royaume omeyyade désormais indépendant de Damas. Toutes ces guerres intestines affaiblissent grandement l’Andalousie. À ce moment, Pépin le Bref décide de porter le coup décisif sur les conquêtes qu’ils détiennent encore de l’autre côté des Pyrénées.

D’ores et déjà, des seigneurs locaux prennent leur indépendance vis-à-vis du pouvoir musulman. Ainsi, Ansemond, sans doute d’origine gothe, contrôle déjà les villes autrefois démantelées par Charles Martel,

c’est-à-dire Nîmes, Maguelonne, Agde et Béziers. En reprenant sa liberté, il sait qu’il va retomber sous la souveraineté, soit du duc d’Aquitaine, soit du roi des Francs. La solidité du pouvoir franc et son prestige l’amènent à accepter une alliance avec Pépin, qui étend, de fait, son influence sur cette région.

Il reste donc à mettre à bas la dernière implantation du pouvoir sarrasin de la région, Narbonne. En 752 ou 753, Pépin fait le siège de cette capitale régionale musulmane. Cette place stratégique, fortifiée par les Sarrasins, est, géographiquement, le point de contrôle de l’entrée vers la Gaule franque. Il convient de se souvenir que cette conquête n’est pas seulement militaire. Les Sarrasins se sont installés avec femme et enfants, en vue d’y rester définitivement3. Voyant qu’il ne réussit pas à abattre les murailles, Pépin lève le siège, tout en laissant une troupe sur place pour dissuader les Maures de Narbonne de tenter une reconquête des villes déjà perdues. Il souhaite également maintenir une pression constante, harcelant la garnison, affamant la ville. Narbonne attend une aide militaire d’Andalousie qui ne peut pas avoir lieu en raison des troubles internes au royaume musulman.

Au bout de sept ans de blocus ou de siège, la situation est au point mort.

Pépin décide d’agir autrement. Une bonne partie de la population est restée chrétienne, malgré le pouvoir politique musulman, et reste soumise au régime spécifique imposé à tout non-musulman, la dhimmitude.

Un accord est passé entre les Francs et la population, qui se soulève contre la garnison mahométane. Ayant égorgé toute la garnison, racontent les chroniques du Languedoc, la ville s’ouvre aux Francs en 759, soit quarante ans après sa prise par les musulmans. Avec la reconquête de Narbonne, l’ancienne Septimanie est rattachée au roi des Francs et écarte définitivement toute domination musulmane, alors qu’elle a été une des cinq provinces de l’Espagne musulmane et comprenait les départements actuels du Gard, l’Hérault, l’Aude et les Pyrénées orientales.

Les relations entre Pépin et le monde arabe ne s’arrêtent pas là. Après avoir défait les musulmans et leur avoir repris le contrôle de cette dernière partie de la future France, Pépin n’hésite pas à rencontrer un ambassadeur du calife d’Orient. La raison est apparemment simple : en Espagne, tout est en train de changer, en particulier à Cordoue.

Abd al-Rahman, le nouveau calife de Cordoue s’est constitué un pays indépendant du califat d’Orient. Il ne se soumet plus au versement d’un tribut régulier et peut consacrer toutes ses ressources au développement du pays. Ce sera une nouvelle étape économique pour l’Andalousie, qui n’aura

quasiment plus à se battre ni avec les Francs ni avec l’Afrique. C’est le début de ce qui sera appelé l’âge d’or de l’Espagne musulmane. Le tribut demandé aux chrétiens deviendra fixe et non plus variable, comme auparavant. Le pouvoir établit le montant annuel à 10 000 onces d’or, 10 000 livres d’argent, 10 000 chevaux, 10 000 mulets, 1 000 cuirasses, 1 000 lances et 1 000 épées4. Cependant, son pouvoir est remis en cause par le califat d’Orient. Pour éviter tout risque d’invasion par Gibraltar, il fait construire dans chaque grand port d’Andalousie des bateaux destinés à empêcher toute arrivée depuis l’Afrique.

C’est dans ce contexte que des négociations ont lieu entre le califat d’Orient et Pépin. Peu d’éléments sont parvenus à propos de cette diplomatie nouvelle pour l’Occident. Soit Pépin veut s’assurer de la neutralité du califat d’Orient, soit celui-ci veut que le roi fasse obstacle aux ambitions du nouveau maître de Cordoue, qui laisse subsister la dynastie des Omeyyades décimée à Damas. Ces ambassadeurs sont arrivés par Marseille5 et les négociations ont duré trois ans : c’est le début d’une relation diplomatique entre le monde musulman et le monde chrétien des Francs, mais ce n’est pas la fin des confrontations. Elles vont durer encore de longues décennies. Et c’est désormais à Charlemagne que cela incombe, puisque son père décède en l’an 768.

1. Il semblerait que la première utilisation de ce terme vienne du père Lacordaire en 1841.

2. Une branche des chiites kaysanites.

3. Selon l’historien contemporain Paul Diacre.

4. Louis Viardot, op. cit.

5. Ce qui exclut a priori que ce soit des ambassadeurs de Cordoue, comme certains l’ont affirmé, car ils seraient passés facilement par les terres.

Chapitre 8

Charlemagne et les tentatives de reconquête