• Aucun résultat trouvé

La crise religieuse en France jusqu’à Lépante

L’attitude de François Ier avec l’islam n’a pas été sans incidence sur le développement de la Réforme. Habitués à voir le roi négocier avec des musulmans pour combattre Charles Quint, allié du pape et empereur très-chrétien, les protestants n’auraient-ils pas appris à relativiser la prédominance de la foi catholique imposée jusqu’alors ? On peut le supposer, car, en France, le protestantisme prendra une ampleur qu’il n’aura pas en Espagne ou en Italie, pays hautement catholiques. Même si une répression particulièrement sévère aura lieu dans ces deux pays, elle n’aura jamais la même ampleur qu’en France. Les pays qui deviendront protestants auront cette même politique de répression envers les catholiques. À cette époque, ni les uns ni les autres ne défendent la liberté de conscience. Un monarque luthérien impose ladite foi à son peuple. Un monarque calviniste, de même. Et un monarque catholique également. Le dicton On a la religion de son prince prend alors tout son sens.

Cette crise religieuse en France est à connaître, même si l’ouvrage traite des relations entre la France et l’islam. Ces affrontements montrent comment un pays a géré des oppositions religieuses internes ; comment différents courants d’une même religion ont été source de conflits pendant près d’un demi-siècle, provoquant la mort de près de 4 millions de personnes ; et comment la France a réussi à convertir cette triste période en un symbole de pardon et de réconciliation. Les pays musulmans connaissent aussi cette division interne avec l’opposition des chiites et des sunnites.

Même si l’opposition interne musulmane est officiellement doctrinale, en réalité, elle débouche également sur une vision différente de la société, du

pouvoir politique, comme entre catholiques et protestants. Cependant, la comparaison s’arrête là.

Il convient de comprendre un peu plus cette crise religieuse française et la guerre dite de religion pour mieux appréhender l’inter-pénétration des pouvoirs politique et religieux. L’esprit de la Renaissance, c’est l’étude passionnée de l’Antiquité gréco-romaine, et aussi la volonté de se servir des Anciens pour s’opposer à l’esprit du Moyen Âge. Celui-ci mettait l’homme à sa place dans la Création, ne voulant jamais en faire quelqu’un de plus important que Dieu. Au contraire, l’esprit de la Renaissance veut tellement exalter les vertus et les possibilités humaines qu’il va tendre à négliger Dieu. À cela s’ajoute une crise de l’Église, certains papes et cardinaux songeant davantage à leurs richesses et à leurs familles qu’à leur rôle spirituel ; beaucoup de chrétiens souhaitent une réforme du clergé, mais le moine allemand Luther, voulant retrouver la foi des premiers temps, transforme finalement la pratique religieuse et aussi la religion (même s’il s’en défend), et Calvin fait de même en France. Tout est prêt pour la grande crise religieuse du XVIe siècle.

François Ier, au début de son règne, était entouré de protestants, à commencer par son poète Clément Marot, qui, dès 1542, doit se réfugier à Genève puis à Chambéry. Henri II monte sur le trône en 1547. Mort prématurément (en 1559), il laisse moins de souvenirs que sa femme, Catherine de Médicis. Cependant, dans la droite ligne de son père, ce prince froid et obstiné maintient la politique étrangère d’alliance avec les princes allemands réformés, mais aussi avec les Turcs musulmans. Il veut bouter la guerre hors de France. Il organise ce qu’il appelle le « grabuge », c’est-à-dire l’opposition des principautés allemandes protestantes à Charles Quint1. Il n’hésite pas à brandir le bonnet phrygien, symbole de liberté, entre deux poignards, dans les villes et principautés indépendantes. Toul, Metz et Verdun basculent dans l’escarcelle de la France. L’abdication de Charles Quint, en 1556, et sa retraite dans un monastère mettent fin à cette rivalité qui a occupé les deux royaumes. La liberté retrouvée de la France permet enfin le retour au bercail de Calais, dernière enclave anglaise, en 1558.

Soucieux de son indépendance vis-à-vis de Rome, Henri II n’hésite pas à menacer le pape de rupture, pour un gallicanisme réel, en parallèle avec l’anglicanisme. Les premières églises réformées s’organisent en 1559 avec le premier synode2 national des Églises. Mais face à la montée du protestantisme, et à la suite de la tentative d’assassinat sur sa personne,

imputée au parti protestant, il met en place une répression qui préfigure la position désormais officielle de la France.

Malheureusement, un tournoi tourne mal, et une lance, celle du comte de Montgomery, lui entre dans l’œil, et, en dépit de toute la dextérité du célèbre chirurgien Ambroise Paré, Henri II succombe. Sa mort déclenche la guerre entre catholiques et protestants, qui profitent de la régence de Catherine de Médicis. En effet, François II, son fils aîné, n’a que 15 ans quand il devient roi le 10 juillet 1559. François de Lorraine, duc de Guise (1519-1563), aussi surnommé le Balafré, obtient le pouvoir en raison du jeune âge du roi. Il est aussi un des principaux chefs du parti catholique et est donc haï par les protestants, qui tentent un coup d’État : c’est la conspiration d’Amboise, en 1560. Enlever le jeune roi ainsi que le duc de Guise et proclamer leur cousin protestant, un Bourbon : tel est l’objectif du complot des 500 protestants armés. Échec de la conjuration, mais les protestants armés tentent de prendre le pouvoir dans différentes régions du royaume. L’arrestation et la condamnation de Condé, chef protestant, semblent calmer le jeu. Au moins pour un temps.

La mort de François II, en 1560, après un an de règne, amène à son tour le deuxième frère, Charles IX, qui n’a que 10 ans. Cette fois, sa mère, Catherine de Médicis, veut contrôler le pouvoir et devient la régente. Les protestants, un dixième de la population en 15613, n’abandonnent pas leur dessein d’arriver à un État dans l’État, mus par l’« esprit républicain primitif des églises réformées », selon l’expression de Sainte-Beuve. En France, la situation bascule vers la guerre civile. La régente Catherine de Médicis et son chancelier Michel de L’Hospital essaient de tempérer et de calmer les ardeurs des deux camps opposés. En vain.

La guerre éclate en 1562, et durera jusqu’en 1598, parsemée de trêves.

Au-delà de savoir si la France sera catholique ou protestante, d’autres aspects vont compliquer la situation : certains protestants, par exemple, voudraient supprimer la monarchie pour en faire une république, tandis que d’autres veulent un roi réformé ; certains catholiques, comme les Guise, chercheront à se substituer à la dynastie légitime des Valois ; tous les partis feront appel à l’étranger : les Guise à l’Espagne, les protestants à l’Angleterre ; et les principautés allemandes fourniront à tout le monde leurs mercenaires, les reîtres. Ce fut une guerre affreusement cruelle. Outre la montée du protestantisme, des problèmes économiques éclatent dans toute l’Europe. Révolte des paysans en Souabe, inflation du coût de la vie,

afflux de l’or et de l’argent d’Amérique, tout cela aboutit à l’appauvrissement des classes moyennes. Le peuple n’est pas sensible aux sirènes du protestantisme, qui séduit plus les classes supérieures. La rivalité se met en place pour près de cinquante ans. Crise dans la magistrature parisienne. Crise dans le pouvoir politique, aboutissant à une crise de l’autorité.

L’an 1562 voit l’édit de janvier, qui autorise la liberté de conscience, la liberté de culte en dehors des villes closes et la restitution de tous les lieux de culte catholiques pris par les protestants. Mais cette tolérance religieuse ne satisfait personne. Les lieux de cultes catholiques sont vandalisés. C’est aussi l’année des massacres. À Vassy, ville ne respectant pas l’édit, une altercation dérape en massacre, et une cinquantaine de protestants sont tués.

C’est le signal attendu pour tous ceux qui veulent se battre. L’an 1562, c’est encore les bandes protestantes qui pillent et massacrent, à l’instar du baron des Adrets à Grenoble puis à Lyon, puis à Montbrison où, le 14 juillet, il fait sauter toute la garnison catholique par-dessus les remparts et au-dessus des piques installées. Son bras droit, Antoine Rambaud de Furmeyer, brûle la Grande-Chartreuse. Le palais des Papes à Sorgues est pillé…

La haute noblesse se choisit des camps, et les alliances familiales, les luttes d’influence n’y sont pas pour rien. Les Lorraine (ducs de Guise) et les Montmorency s’opposent aux Coligny, aux Condés et Bourbons protestants.

Les catholiques prennent peur de l’influence des protestants qui, sous couvert de liberté religieuse, n’hésitent plus à solliciter les pays protestants, ravis de pouvoir s’immiscer dans les affaires intérieures de leur grand voisin, ce qui ajoute une dimension internationale à un conflit intérieur.

Ainsi, ils livrent la ville du Havre aux Anglais.

La politique étrangère prend de plus en plus d’importance en raison de l’influence des divers États dans les affaires de la France. Ainsi, de l’autre côté de la Méditerranée, on s’intéresse au conflit. En 1566, l’ambassadeur de France cherche toujours à utiliser l’habileté militaire des Turcs face aux Espagnols, qui soutiennent le camp des catholiques avec l’idée d’avancer leurs pions en France. Les Turcs vont même jusqu’à proposer leur aide aux protestants hollandais4. Soliman tente même un soutien purement religieux auprès des protestants : « […] ils n’adorent pas les idoles, croient en un seul Dieu et combattent le pape et l’Empereur5 ». On retrouve encore ici la même incompréhension entre l’islam et le christianisme. Les musulmans restent toujours convaincus que le Dieu unique des chrétiens reste teinté de

polythéisme, accusant même certains d’adorer la Vierge Marie comme une déesse, alors qu’elle est, pour les chrétiens, la mère de Dieu. Certes, elle est un intercesseur auprès de son fils le Christ, mais, en aucun cas, elle n’est considérée comme une divinité. Le refus, par les protestants, des statues et des saints donne l’illusion aux musulmans d’un retour vers un Dieu unique, qui aurait été abandonné par les chrétiens. La tentative de Soliman le Magnifique n’aboutira pas, mais on le voit chercher à tirer parti des divisions internes de l’Europe, et il arrivera même à attirer des chrétiens à Istanbul, des protestants huguenots venant aussi s’y réfugier6.

Il convient de constater que, dès qu’il s’agit de croyances, de conversions, les réactions sont toujours passionnelles, épidermiques. Une anecdote de ce temps illustre cela. En pleine guerre des Religions, un événement va troubler pendant vingt-sept ans les relations entre la France et l’Empire ottoman, au-delà du simple incident diplomatique.

Le 24 mai 1557, deux galions turcs sont pris en mer par François de Lorraine, dont l’un avait à son bord deux jeunes sœurs musul-manes Ayche et Fatma, de retour du pèlerinage de La Mecque. Emmenées à la cour de la reine Catherine de Médicis, qui aime bien l’exotisme, elles sont baptisées.

Ayche devient Catherine et Fatma, Marguerite. Mais leur présence à la cour étant connue, le scandale touche leur famille restée dans l’Empire ottoman.

Leur mère, Huma, n’entend pas rester sans agir et engage une action judiciaire auprès des juridictions de la Sublime Porte. L’ambassadeur de France, alerté, prévient Henri II et écrit : « Votre majesté doit réécrire audit Grand Seigneur […] que sans point de faute, il y a quelques esclaves turcs et maures en votre royaume et en votre cour, même quelques femmes qui se sont faites chrétiennes de propre volonté et sans contrainte, et que votre foi et religion ne permet point de les bailler comme aussi il ne serait pas raisonnable que vous voulussiez prier sa Haultesse de rendre les Français esclaves qui se seraient faits Turcs. »

La question porte donc sur la conversion volontaire ou non de ces jeunes femmes. Si elles sont volontaires, elles ne seront pas renvoyées, mais, si elles sont converties de force, la question ne se pose plus. L’une des deux s’est même mariée. Or, c’est juste au moment du revirement d’alliance d’Henri II, obligé de signer un accord avec Philippe II d’Espagne le forçant à rompre son alliance avec les Turcs, que cet incident se produit. La famille des jeunes femmes n’accepte pas l’idée qu’elles aient pu se convertir au christianisme, car, dans l’islam, rien n’est pire que d’abandonner la foi, et la

honte rejaillit sur la famille entière. L’ambassadeur de France propose alors de payer un voyage en France à leur père (« lui donnerai argent pour les frais et dépenses de son voyage ») pour qu’il entende de leurs propres bouches la volonté de ses filles de rester en France.

L’affaire ressurgit en 1565, lorsque le sultan envoie un émissaire qui rencontre Charles IX le 18 juin dans un monastère à l’extérieur de Bayonne.

La mère ne cesse de harceler le pouvoir turc pour obtenir Ayche et Fatma.

En 1568, le sultan écrit au beylerbey d’Alger : « ses filles […] se trouvent actuellement du côté du pays de France dans la forteresse de France nommée Paris […] tu réclameras les filles […] ». En 1574, le nouveau sultan Murad III sollicite à nouveau, ainsi qu’en 1581, soit plus de vingt-cinq ans après. Mais elles resteront en France. Toutefois, pour que cette affaire ait fait si grand bruit, c’est que cette situation devait être exceptionnelle. Pourtant, le sujet des conversions avait déjà été traité dans le traité des capitulations de 1569 : « si ledit esclave s’est fait Turc, qu’il soit libre, le laissant aller ; et, s’il est encore sous la foi chrétienne, qu’il soit consigné aux Français7 ».

Ainsi, c’était bien la foi de l’individu qui était retenue pour déter-miner de son avenir. Avec une telle importance de la religion à cette époque, il est normal que la France vive mal la propre division de sa religion entre les protestants et les catholiques. Et la situation ne fait que s’aggraver.

En France, en 1567, de nouveaux massacres ont lieu, notamment celui de la Michelade de Nîmes, où un incident dégénère le jour de la foire de la Saint-Michel et aboutit au massacre par des protestants de moines et religieux, jetés au fond du puits de l’évêché8. Des églises entières, des monastères, des couvents sont pillés et détruits. Des troupes allemandes, italiennes, espagnoles ou anglaises prennent part au combat.

Catherine de Médicis est obligée d’accorder des droits aux protestants, afin de calmer leurs ardeurs. Avec l’édit de Saint-Germain, le 8 août 1570, la paix est accordée à Condé et aux autres chefs protestants, une liberté de culte sous certaines conditions. Mais l’optimisme de la régente ne s’attendait pas au fanatisme qui cherche à relancer la lutte entre les deux camps. Les protestants, avec Coligny, tentent un nouveau complot et projettent d’enlever le jeune roi et de proclamer à nouveau un Bourbon.

Nouvel échec. Mais les protestants, qui ont, pour point d’appui, La Rochelle et bénéficient de l’aide des Anglais et des Hollandais, se sentent en position de force. Le jeune roi Charles IX tente de réconcilier les deux camps.

N’a-t-il pas eu une nourrice protestante, et une certaine tolérance vis-à-vis du culte réformé ? Outre la liberté de conscience accordée, il donne la liberté de culte et quatre places de sûreté, La Rochelle, Cognac, La Charité et Montauban.

Quelques années de calme avant la tempête sur les terres de France. Le pays panse ses plaies et ne s’intéresse absolument pas à un événement majeur des relations entre l’Europe et les Ottomans : la bataille de Lépante.

Cette bataille navale marque la fin de la prédominance de la marine turque, qui contrôlait les trois quarts de la Méditerranée. La France est totalement absente de cette politique européenne qui voit s’opposer l’Empire ottoman et le reste des nations, et donc les flottes espagnoles, vénitiennes, génoises, savoyardes, maltaises, encadrées par la Sainte Ligue. Plus de 20 000 Turcs périssent, c’est-à-dire la quasi-totalité de la flotte, pourtant numériquement supérieure. L’an 1572 marque un coup d’arrêt à l’expansionnisme des Turcs. L’absence de la France dans la coalition européenne lui sera reprochée durablement, d’autant que l’événement sera traité à de nombreuses reprises dans l’art, y compris dans la basilique de Fourvière, à Lyon, symbole du christianisme triomphant.

1. Jacques Bainville, op. cit. p. 138.

2. Assemblée réunie pour l’examen des problèmes de la vie ecclésiale à tous les niveaux.

3. Arlette Jouanna, Jacqueline Boucher, Dominique Biloghi, Guy Le Thiec, Histoire et dictionnaire des guerres de Religion 1559-1598, Paris, Laffont, 1998.

4. Mehmet Bulut, Ottoman-Dutch economic relations in the early modern period, 1571-1699, Hilversum Verloren, 2001, p. 112.

5. Kemal H. Karpat The Ottoman State and its Place in World History, Leiden, E.J Brill, 1974, p. 53.

6. Daniel Goffman, The Ottoman Empire and early modern Europe, Cambridge University Press, 2002.

7. Les Musulmans dans l’ histoire de l’Europe, op. cit., p. 50-53.

8. Janine Garisson, Protestants du Midi, 1559-1598, Privat, 1980.

Chapitre 18

La Saint-Barthélemy, l’édit de Nantes et les