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La situation de la France avant la confrontation

À la mort de Clovis, presque toute la Gaule a retrouvé son unité. Mais la paix est fugace ! L’anarchie va régner en maître, comme il sied à toute succession mal réglée, mal préparée : ce sera d’une férocité insoupçonnée.

Au même moment, loin, très loin, une nouvelle religion, l’islam, apparaît au début du VIIe siècle, dans la péninsule arabique, à 6 509 kilomètres de Paris, qui va se propager dans l’ancien Empire romain, le monde méditerranéen.

Cette distance peut paraître importante pour l’époque, mais, contrairement aux idées reçues, l’homme médiéval, quand il se déplace, voyage beaucoup, ne serait-ce qu’à l’occasion des pèlerinages. En outre, cette distance ne se couvre qu’en 150 jours environ de voyage à cheval, soit un peu moins de cinq mois1.

Dans la tradition des rois francs, il est d’usage de partager son royaume entre ses enfants. Au lieu de désigner un seul héritier, Clovis partage son royaume entre ses quatre fils. Des fils et leurs descendances qui ne feront que s’entre-tuer : Clodomir, par exemple, décédant en 524, Childebert et Clotaire égorgent leurs neveux. À la génération suivante, c’est la guerre civile entre Chilpéric, qui règne sur la Neustrie, au nord-ouest, et Sigebert, roi d’Austrasie, à l’est. Les deux frères ont épousé les deux sœurs Galswinthe et Brunehaut. Pour épouser Frédégonde, Chilpéric fait étrangler Galswinthe, et Frédégonde, devenue reine, fait assassiner Sigebert. Quand Brunehaut sera enfin capturée par le fils de Frédégonde, Clotaire II, il la fera attacher à la queue d’un cheval.

Quoi qu’il en soit, ce même Clotaire II (584-629), roi de Neustrie puis roi des Francs, reconstitue son royaume, qui est, à nouveau, divisé entre ses deux fils, dont le fameux Dagobert.

Il hérite de la même situation, et, par des guerres fratricides, reconstitue le royaume. Il devient roi des Francs en 629, juste un an avant que Mahomet prenne la ville de La Mecque. S’il est resté dans la mémoire collective comme le « bon roi Dagobert2 », ce n’est pas sans raison. Il est le dernier des grands rois mérovingiens à gouverner. Sa capitale est Paris. Ce grand lettré et grand bâtisseur sait s’entourer de conseillers de grande qualité, tels saint Éloi, ou saint Ouen. Il contrôle sa monnaie, élément essentiel de toute souveraineté, et, pour lutter contre les manipulations monétaires, en centralise la frappe. Fin diplomate, il conclut un traité de paix perpétuel avec l’empereur d’Orient, en 631, démontrant ainsi que les relations dans l’ancien Empire restent vivaces.

Il a conscience de l’importance de la religion chrétienne pour gouverner.

Il s’appuie ainsi sur le clergé, couvre de dons l’ancienne abbaye royale de Saint-Denis devenue basilique. Il meurt en 639, soit sept ans après la mort de Mahomet. Il se fait enterrer à Denis, et non dans l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés comme l’ont fait ses prédécesseurs. Après lui, tous les souverains français s’y feront inhumer (pour rappeler l’importance du roi Dagobert, le roi Louis IX, plus connu sous le nom de Saint Louis, fera reconstruire son tombeau).

Et après ? Une effroyable décadence, déclenchée par les sempiternels partages et des luttes intestines. Les successeurs sont qualifiés de rois fainéants (ou plutôt « fait néant », selon les termes du biographe de Charlemagne3). Des Mérovingiens essaient de rétablir un semblant d’autorité, sans résultat. N’est pas Clovis qui veut…

Inévitablement, l’autorité du roi s’affaiblit au profit de hauts fonctionnaires. Lorsque le politique abandonne ses prérogatives, la fonction publique pallie – lorsqu’elle est suffisamment bien organisée pour le faire – les incompétences ou les abandons du pouvoir. Une fonction va prendre le dessus : celle de maire du Palais, le major domus, sorte de vice-roi. C’est un responsable chargé des relations avec l’aristocratie franque et, de fait, il administre le pays.

Les Carolingiens mettent près de cent ans à arriver au pouvoir final. Du côté de l’Austrasie, avec les ducs d’Héristal : ils sont riches, puissants et, sans conteste, intelligents. Sans entrer dans les détails, ils se nomment

Pépin de Landen et Pépin de Herstal, son neveu, qui réunifie une nouvelle fois les royaumes4. Il est l’ancêtre illustre de la famille des Pippinides, qui devient celle des Carolingiens, l’ancêtre de Charlemagne.

Pépin de Herstal, d’abord maire du palais d’Austrasie, devient le vrai chef du pouvoir politique et militaire du royaume. Il prend le titre de princeps et use du pouvoir à titre personnel jusqu’à sa mort en 714. C’est lui qui, notamment, nomme les évêques, les ducs et les comtes. Son fils illégitime, Charles (Karl) n’est pas destiné, au départ, à succéder à son père.

À l’occasion de violents conflits qui ébranlent, une fois de plus, les héritiers de Pépin, Charles s’évade de prison et arrive à s’imposer. Il prend le contrôle de la mairie d’Austrasie même si le « roi officiel » est toujours Clotaire IV, puis Chilpéric II et Thierry IV, rois fantoches mis sur le trône.

Charles, que l’histoire a retenu en sa qualité de Charles Martel5 dès le

IXe siècle, fait, en l’an 717, son entrée triomphale à Paris et réunit l’ensemble du territoire qui constitue en grande partie l’actuelle France, avec la Belgique, une partie des Pays-Bas et de l’Allemagne jusqu’à la Bavière. Il restaure le pouvoir des Francs, s’appuie, lui aussi, sur l’Église, mais décide de s’accaparer une partie de sa puissance financière en laïcisant des biens lui appartenant. Plus qu’une simple spoliation, c’est, en réalité, une reprise de terres qui avaient été concédées par l’empire romain chrétien et les rois mérovingiens aux religieux, afin de mettre en œuvre certaines missions de service public, notamment sociales6. L’histoire le retient aussi comme celui qui organise le système de la féodalité française (ou le lien des seigneurs entre eux ; le système seigneurial étant le rapport du seigneur et des paysans et entre seigneurs, vassaux). Ainsi, ses fidèles, en contrepartie de terres données, se dotent d’un bon armement (au prix de 18 à 20 vaches) et doivent défendre militairement le suzerain.

Dès le VIIe siècle, les bandes armées utilisent le cheval. Il semble que Charles Martel développe la cavalerie, ce qui en fait, sans aucun doute, aux côtés de l’infanterie, une des forces militaires du pouvoir politique des Francs. Elle procure une indiscutable mobilité à l’armée. En organisateur hors pair, il étend, dans les territoires conquis, les relais, qui avaient disparu depuis l’époque romaine, construit des forteresses sur la frontière Est, zone du territoire qu’il pense la plus vulnérable. Cependant, le danger ne viendra pas de l’est mais du sud. À cette période, ce territoire va être confronté à une menace nouvelle, l’invasion d’une armée mue par une religion totalement inconnue pour le monde franc, l’islam.

1. Un cavalier et sa monture peuvent effectuer entre 35 et 70 kilomètres par jour, selon les relais dont il dispose.

2. La fameuse chanson du « bon roi Dagobert qui a mis sa culotte à l’envers » est, en réalité, une chanson prérévolutionnaire destinée à moquer la monarchie française.

3. Vita Karoli Magni, La Vie de Charlemagne, Éginhard, édition et traduction par Louis Halphen, Paris, Les Belles Lettres, 1994.

4. L’Austrasie et la Neustrie, la partie Est et la partie Ouest du royaume divisé en deux.

5. Martellus, le marteau, à moins que ce ne soit le village de Martel, où une partie de l’armée sarrasine aurait été défaite.

6. Stéphane Lebecq, Nouvelle histoire de la France médiévale, Tome 1, Les Origines franques, Ve-IXe siècle, collection Seuil, 1990.

Chapitre 4

La situation du monde musulman avant la