• Aucun résultat trouvé

Constantinople est tombée. La terre s’agrandit avec Christophe Colomb, Vasco de Gama, Magellan… C’est le début de la Renaissance, qui trouve ses origines en Italie dès le XVe siècle (1453 : chute de Constantinople ; 1492 : découverte de l’Amérique). Les Français s’en imprègnent. L’esprit de la Renaissance, c’est d’abord l’étude passionnée de l’Antiquité gréco-romaine : des érudits recherchent d’anciens manuscrits perdus, les font imprimer, les commentent ; on cherche dans l’Antiquité un modèle dans l’art de vivre.

De multiples raisons ont amené ce changement de paradigme. Sans aucun doute, l’arrivée massive des derniers savants grecs fuyant Constantinople a insufflé ce renouveau intellectuel à l’Europe. La découverte de la presse à imprimer (1453 : Gutenberg) permet la diffusion de la pensée : des idées de toutes sortes vont se répandre beaucoup plus rapidement qu’avant. Une nouvelle Europe se développe, celle de la recherche du savoir, de la connaissance, de la science, de la culture, des arts…

Le danger immédiat d’un Islam conquérant à partir de l’Espagne disparaît, après huit siècles de présence et de guerres incessantes. La France n’a plus de frontières communes avec l’Islam. Elle peut désormais enclencher une nouvelle phase : la négociation, les alliances économiques ou militaires. Toutefois, au moment où les relations s’apaisent entre la France et les pays musulmans, le pouvoir turc n’a pas changé de stratégie.

Depuis la chute de Constantinople, les Ottomans souhaitent envahir l’Europe et se confrontent désormais aux cités italiennes, aux Vénitiens, puis aux Hongrois, aux Polonais, aux Russes, aux Serbes, et, enfin, aux Autrichiens. Ils cherchent la route de Vienne qui pourrait les amener jusqu’à Rome.

La France ne se sent pas directement concernée et adopte une politique de pragmatisme. Désormais, les Ottomans ne sont plus des ennemis et, même s’ils professent une autre religion, il n’y a plus lieu de se battre contre eux. Le royaume va même jusqu’à laisser seuls les autres pays européens confrontés à l’Islam, voire même à se réjouir des difficultés qu’ils rencontrent et qui les empêchent ainsi de devenir trop puissants face à la France qui se développe, se projette au-delà des mers. Tandis que Louis XI, roi de France (1461-1483) stabilise et agrandit le royaume, le sultan Bajazet II (1481-1512) règne sur l’Empire ottoman. Celui-ci, en conflit avec les Habsbourg, développe des relations diplomatiques avec la France.

Avoir un ennemi commun rapproche toujours. La France s’inquiète du pouvoir grandissant de l’Autriche, qui vient d’annexer la Bourgogne de Charles le Téméraire. Les Ottomans, par leurs tentatives de conquête de l’Europe, se heurtent aux Autrichiens.

C’est ainsi qu’un accord improbable se noue entre la France et l’Empire ottoman. Une ambassade turque arrive en France en 1483 pour obtenir que le frère du sultan, emprisonné sur le territoire par Pierre d’Aubusson, grand maître de l’ordre de Saint-Jean-deJérusalem1, soit maintenu prisonnier ! Le sultan redoute son frère qui lui dispute le trône. Il demande donc à la France de le garder.

Bajazet offre des reliques chrétiennes, dont il n’a que faire à la suite des destructions d’églises, ainsi qu’une certaine somme d’argent2. En 1489, l’hôte de la France, le frère gênant du sultan, est transféré à Rome. Louis XI aurait cependant refusé de rencontrer les ambassadeurs ottomans, ne voulant pas donner trop de lustre à cet accord « opportuniste ».

Louis XII (1498-1515) va engager des négociations avec les Turcs. Or, ce n’est pas dans l’air du temps de négocier avec les « infidèles » ou les

« mécréants ». Ces deux termes sont utilisés durant le Moyen Âge et la Renaissance pour évoquer les musulmans, de même que ceux-ci les utilisent également à l’encontre des chrétiens. Au sens étymologique, « mécréant » signifie celui qui croit mal, qui appartient à une autre religion que la religion chrétienne, et « infidèle » signifie qui est hors de la foi, de la vraie foi3. Ils sont toujours, dans l’esprit des Européens, l’ennemi par excellence.

Nombreux sont ceux qui appellent à la revanche, ou qui chantent encore la croisade.

Ainsi écrit le poète Bérenger de l’Hôpital vers 1490 en langue d’oc, dans sa plainte contre le Grand Turc :

Il n’y a pas longtemps, dans Jérusalem Je vis pleurer la plus belle du monde…

Ils m’ont pris Constantinople

Ils ont pillé horriblement les temples et les autels Et mis à mort presque tout mon peuple…

Car le Grand Turc en juillet l’an passé…

Il a fait fouler par ses chevaux les femmes enceintes Il a fait étrangler et meurtrir les enfants

Horriblement entre les bras de leurs mères Jeunes et vieux il les a tous fait mourir Et tuer les petits enfants devant le père…

Le Turc cruel arrache tous mes joyaux Et il a juré qu’il détruira mon pape…

Réveille-toi Charles de grand renom Qui a conquis l’Europe à ma loi Lève-toi sus, Godefroi de Bouillon…

Et toi, Louis, arme-toi mon doux fils

Fais au Grand Turc une forte et mortelle guerre Aide-moi comme Saint Louis le Preux…4

Charles Martel est appelé à la rescousse. Saint Louis est prié, afin d’être un exemple pour le roi Louis XII. Il n’est pas possible d’aborder le bouleversement causé par ces nouvelles alliances à l’époque de la Renaissance sans tenir compte de la bien-pensance, qui a peur du Turc. Or, à la suite de la stratégie adoptée par Louis XI (privilégier son royaume à une hypothétique reconquête de la Grèce byzantine), Louis XII ne souhaite pas, lui non plus, une nouvelle croisade. Mais il se doit d’agir pour ne pas froisser la chrétienté bouillonnante.

Il lance alors un processus de négociations diplomatiques dont peu de traces historiques sont conservées. On sait qu’il envoie en 1499 un de ses officiers – appelé le roi d’armes, c’est-à-dire celui qui est chargé d’annoncer la guerre et qui est nommé, de par sa fonction, Montjoie – rencontrer le sultan pour protester contre les incursions en territoires vénitiens. Une alliance était alors prématurée et n’aurait pas été acceptée par la diplomatie européenne. Mais cette première ambassade va avoir des conséquences inattendues. En effet, à l’occasion d’un de ses nombreux voyages vers Calicut, en Inde, (maintenant Kozhikode), Vasco de Gama, le grand

navigateur portugais, croise des bateaux arabes et coule, en 1502, un navire transportant des pèlerins vers La Mecque. On évoque la mort de 500 hommes, femmes et enfants. Scandale dans le monde arabe, et le sultan d’Égypte de demander une juste réparation. C’est alors qu’un dénommé Philippe de Peretz, représentant des Francs et des Catalans en Égypte, propose de faire intervenir le roi de France.

Louis XII ne tirera pas de grand profit de ce premier contact. Mais les Turcs, quant à eux, gardent le souvenir d’un premier traité d’alliance signé en 1500 entre la France et le sultan Bajazet5, même si certains biographes doutent de la signature du traité6. D’autres négociations ont lieu en 1512, sans grand succès. Mais toutes ces rencontres préfigurent la longue alliance à venir entre François Ier et Soliman le Magnifique. Et, surtout, elles mettent définitivement fin aux velléités de combat entre Français et Turcs.

1. Le futur ordre de Malte, encore installé à Rhodes.

2. Philippe de Commynes, Mémoires, éditées par Joseph Calmette, Éditions Honoré Champion, Paris, 1924.

3. Définition du Littré.

4. Marc-Antoine Bayle, Poésies choisies des troubadours du Xe au XVe

siècle, Makaire, 1879.

5. Charles White, Three Years in Constantinople, or Domestic Manners of the Turcs in 1844, Henry Colbum, 1846, p. 139.

6. Georges Bordonove, Louis XII, le père du peuple, Pygmalion, 2000.

Chapitre 15

Le renversement des alliances par François