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La Saint-Barthélemy, l’édit de Nantes et les morisques

Et l’histoire interne de la France après Lépante ? La situation en France n’est toujours pas apaisée, et les Ottomans ne sont pas si éloignés de la politique intérieure, contrairement à ce qui est communément admis. Le jeune roi de France Charles IX a bien d’autres problèmes à régler. Sentant la haine grandissante entre ces deux communautés religieuses que tout sépare, Charles IX, pour rapprocher les deux branches familiales qui s’opposent par religion interposée, accorde la main de sa sœur Marguerite, la future reine Margot, à son cousin Henri, futur Henri IV, – premier mariage mixte, nous dit le diplomate et historien Jacques Bainville – et sans autorisation ou dispense du pape, dont il n’a que faire d’avoir l’assentiment.

Mais il est bien difficile de tenter de plaire à un parti, sans créer les foudres de l’autre, qui se sent délaissé ou incompris. Pris entre deux camps, le roi risque de perdre sur les deux tableaux. Si les protestants prennent plus de pouvoir, les catholiques le lui reprocheront et ne le soutiendront pas. Si le duc de Guise triomphe – indirectement ou par coup d’État à son profit – les catholiques se considéreront comme ceux qui ont défendu le roi et voudront s’imposer face à lui. Des deux côtés, le roi perd. Il faut qu’il reprenne le contrôle du pays.

C’est Catherine de Médicis qui prend la décision, semble-t-il. Laisser les Guise attaquer et ensuite se retourner contre eux une fois qu’ils ont décapité le pouvoir calviniste. La Saint-Barthélemy, de sinistre mémoire, survient, et la fureur parisienne se concentre sur tous les protestants de la

ville. Il est dit que le roi a eu toute la peine du monde à protéger le futur Henri IV, qui est visé. Au moment des faits, la cruauté de cette journée du 24 août 1572 n’a pas été ressentie comme elle le sera des décennies plus tard.

Est retenu le massacre de la Saint-Barthélemy, mais oubliés ceux concernant les catholiques. À cette occasion, Henri de Bourbon, roi de Navarre, se convertit une première fois au catholicisme, mais revient vite au protestantisme.

Affaires intérieures ou non, avant de mourir d’une pleurésie à 23 ans, Charles IX, envoie un nouvel ambassadeur auprès de Selim II, le fils de Soliman qui lui a succédé. Il s’agit de François de Noailles, évêque de Dax, qui est chargé d’amener les Turcs à ouvrir un nouveau front militaire contre l’Espagne, éternelle stratégie initiée par François Ier. Au-delà de la simple alliance militaire entre les forces françaises et ottomanes, désormais, en raison des différentes oppositions internes aux pays, l’alliance va s’immiscer dans les conflits intérieurs.

C’est ainsi que Selim II propose, dans un premier temps, de mettre au service de la France les morisques, c’est-à-dire les ex-musulmans d’Espagne, qui, refusant l’expulsion, se sont convertis au christianisme.

Mais s’ils semblent soumis à la croix, beaucoup d’entre eux se disent « ni vraiment Maures ni vraiment chrétiens » et pratiquent secrètement la foi musulmane.

L’Espagne veut unifier la foi dans l’ensemble de son empire, et vise donc, de la même manière, les protestants calvinistes des Pays-Bas et les morisques de l’ancienne Andalousie. C’est ainsi que, en 1567, la législation se durcit en proclamant, notamment, l’interdiction, jamais respectée auparavant, du port du voile pour les femmes en quelque lieu que ce soit, ou du turban pour les hommes1. Mais, alors que les morisques étaient initialement proposés pour aider le roi de France, ils vont être proposés pour soutenir les huguenots, comme si un ennemi commun les réunissait désormais : le catholique.

Après Charles IX, c’est au troisième frère de régner : Henri III. Roi en 1574, il est connu pour ses mignons, et peu enclin à laisser une descendance, bien qu’il accumule les maîtresses. S’il a obtenu précédemment la couronne de Pologne, c’est en partie grâce à l’alliance de la France avec la Turquie. Les Polonais craignent le pouvoir grandissant des Habsbourg, et élire un roi français peut permettre une relation apaisée avec

les Turcs, qui menacent le sud du pays. De quelque côté que l’on regarde l’Europe, les Turcs sont indéniablement présents.

Henri III arrive donc lors de la cinquième guerre de Religion (1574-1576), ainsi qu’on l’appelle. Cette guerre voit une alliance militaire entre protestants et morisques. Henri de Navarre, chef des protestants et futur Henri IV, fait coalition de ses troupes huguenotes avec les morisques pour attaquer l’Aragon espagnol, mais sans réel succès2. De même, il imagine une attaque conjointe, les Huguenots dans le nord, les Ottomans dans le sud et les morisques se soulevant alors. Sans effet non plus, les Ottomans n’arrivant pas. Mais, sans doute en prévision d’une nouvelle alliance, il fondera en 1587 une chaire d’arabe au collège de France3.

Henri III négocie une paix par l’édit de Beaulieu le 6 mai 1576. Les protestants – qui penchent de plus en plus vers les idées républicaines – ont à nouveau la liberté de culte, sans restriction, des places de sûreté, des sièges dans les parlements, une journée de « repentance » et une indemnisation financière des victimes de la Saint-Barthélemy.

Face à cet État dans l’État qui prend de plus en plus d’importance, le parti catholique se sent encore plus menacé : une ligue se constitue et son chef, Henri de Guise, devient plus puissant que le roi. Envie de le remplacer ? Sûrement. La position du roi est intenable, entre un parti catholique puissant et un parti protestant attendant sa disparition pour y mettre leur coreligionnaire, Henri de Navarre, héritier du trône, ou, à défaut, remettre directement en cause le principe monarchique capétien. Le roi ne semble plus être le maître en son pays au vu, de plus, de l’implication de toutes les puissances étrangères dans la politique intérieure du royaume, les Anglais, les Espagnols, et même les Ottomans !

La seule solution pour Henri III ? Faire assassiner le chef du clan catholique, le duc de Guise. C’est chose faite le 23 décembre 1588 à Blois.

Henri III s’exclame : « À présent, je suis roy » et organise sa propre succession avec l’héritier refusé par les catholiques. Henri III et le futur Henri IV prennent la ville de Paris, en soulèvement. Mais un moine fanatisé, envoyé par la Ligue, Jacques Clément, tue d’un coup de couteau Henri III, qui meurt en désignant comme successeur son cousin, Henri de Navarre. Il lui conseille aussi de se convertir. Le futur Henri IV, conscient que le roi est mort assassiné pour avoir tenté de l’imposer sur ce trône catholique envié par les Guise, va appliquer le vieux principe déjà évoqué plus haut, On a la religion de son prince.

Lui, qui n’avait pas hésité à faire appel aux musulmans, décide donc d’adopter la religion catholique, car, pense-t-il sûrement, il est grand temps que le pays retrouve une paix intérieure, et il convient d’en finir avec cette guerre civile qui a tant coûté au pays (près de 4 millions de morts). Mais, pour s’imposer, il ne faut pas qu’il donne l’impression de subir ce choix.

L’Angleterre et l’Espagne n’abandonnent pas leur soutien. L’Europe se prépare à dépecer la France. Le roi d’Espagne, soutenu par le pape, revendique le trône pour sa fille. Le duc de Savoie espère obtenir le Dauphiné et la Provence. Le duc de Lorraine se met aussi sur les rangs, ainsi que le duc de Mayenne, frère cadet du duc de Guise assassiné. Ainsi, beaucoup d’ambitions se dévoilent pour cette couronne détenue par les Capétiens depuis déjà six siècles.

Mais les temps ont changé en France, et un sentiment national apparaît.

La Cour suprême déclare que, désormais, la couronne ne peut pas être portée par un étranger. Le 25 juillet 1593, Henri IV abjure et devient catholique. La monarchie sort renforcée. Mais la foi de la France se renforce aussi dans le catholicisme. Une foi, un pays, une nation, une seule famille régnante, en paraphrasant la devise espagnole. Les souverains étrangers sont dans l’obligation de cesser leurs aides financières et militaires aux différents camps, et leurs soldats doivent quitter le territoire national, qui est reconquis face aux Espagnols qui avaient cru pouvoir profiter de ces troubles. La chance de la France est qu’Henri IV a les qualités nécessaires pour reconquérir le cœur des Français : il est d’une grande intelligence, très vif, très gai, pas rancunier. Son rude apprentissage l’a fait grand capitaine et grand politique. Il va s’appuyer sur un seul fait : il est le roi légitime.

Le fameux édit de Nantes achève la pacification en 1598 – arrêt scellé à la cire verte pour marquer son caractère perpétuel et irrévo-cable voulu par Henri IV – : liberté de conscience, liberté de culte selon conditions, égalité de droits civils, garanties judiciaires et places fortes sous conditions. Même si les protestants ne sont plus qu’un million environ, après avoir été le double, la situation de la France devient une exception dans le monde européen de l’époque. Un pouvoir politique accepte une minorité religieuse importante. Une solution originale qui durera quatre-vingt-sept ans. Pendant ce temps, Henri IV maintient les relations diplomatiques avec la Sublime Porte. Cette fois-ci, c’est avec le nouveau sultan, Mehmed III, dont une ambassade turque est reçue en France en 1601. Puis un nouveau traité de

paix et de capitulation avec le sultan Ahmet IV est signé en 1604, donnant de nouveaux privilèges à la France dans le commerce avec les Ottomans4.

Ainsi, le réalisme politique a toujours été de mise chez les rois de France alors que, dans tout autre pays, ne sont jamais acceptées plusieurs religions, sauf de manière temporaire. Cependant, ne voir que l’aspect religieux déforme la réalité, car, derrière chaque religion, se profile un projet politique et sociétal. C’est ainsi que, selon l’époque, il ne peut en rester qu’une seule, la notion de laïcité étant encore inconnue. Mais cela va au-delà de la foi, de la conviction intime de chacun, car chaque camp porte une ambition pour le pays ou un prétendant ou régime politique. Henri IV, roi désormais catholique de France, règne jusqu’en 1610, et meurt assassiné par un exalté catholique, Ravaillac.

Est-il raisonnable de comparer les guerres de Religion avec l’opposition entre sunnites et chiites ? Des points communs émergent. Sans entrer dans une explication trop développée, on peut noter une opposition doctrinale.

Les sunnites considèrent que les chiites ne sont pas de bons musulmans, et vice-versa, chacun ayant sa propre lecture du Coran, de la sunna (la tradition). Leurs visions du clergé divergent, ainsi que la relation directe ou non avec Dieu. On retrouve l’opposition classique entre les protestants et les catholiques sur la lecture de la Bible, la nomination et rôle des pasteurs, même si elle ne se résume pas à cela. Mais aussi une opposition politique.

Les chiites considèrent que le pouvoir du califat doit être détenu exclusivement par un descendant du prophète.

Ces quelques points sont évidemment réducteurs (le propos du livre n’étant pas une étude théologique). Ils démontrent, cependant, une similitude lorsque, dans une religion, quelle qu’elle soit, une scission apparaît. Une rupture religieuse justifie aussi une rupture politique, permettant d’affirmer une fois de plus le principe de l’unicité du pouvoir politique et religieux, On a la religion de son prince.

La même remarque peut être faite lors de la scission des orthodoxes et des catholiques. Mais aucune guerre, sauf lors de situations sporadiques, n’aura lieu entre orthodoxes et catholiques. Et la violence entre protestants et catholiques va cesser en France après ce siècle d’antagonisme qui sera son paroxysme.

1. Jean-Pierre Bois, Don Juan d’Autriche, le héros de toutes les nations, Tallandier, 2008.

2. Henry Charles Lea, The Moriscos of Spain, their Conversion and Expulsion, Lea Brothers & Co., Philadelphia, 1901.

3. Général Georges Spillmann, Napoléon et l’islam, Perrin, 1969, p. 40.

4. Fatma Müge Göcek, East Encouters West : France and the Ottoman Empire in the Eighteenth Century, Oxford University Press, 1987, et Randall Lesaffer, Peace treaties and international law in European history, from the late Middle Ages to World War One, Cambridge University Press, 2009.

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