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Le double objectif théorique et empirique

Nous visons non seulement à résoudre un problème empirique de science politique (pourquoi le protoparti étudié se transforme-t-il ?), mais aussi à produire un cadrage épistémologique et théorique solide pour étendre ce type d’analyse à tout autre cas. Plus exactement, la première et la seconde parties, qui prennent en charge les éléments épistémologiques et théoriques de l’analyse de la transformation des protopartis, n’ont pas pour seule fonction d’exposer de manière critique les hypothèses2 constitutives de notre modèle qui sera appliqué par la suite sur le cas d’étude. Elles sont en elles-mêmes l’un des buts de notre recherche, consistant d’une part à proposer une réflexion sur les fondements épistémologiques d’une explication multicausale en sciences sociales, et d’autre part à travailler et critiquer les concepts et les hypothèses explicatives déjà formulés pour d’autres phénomènes politiques, notamment du point de vue de leur logique interne, et pas seulement

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Tout au long de notre recherche, le terme « hypothèse », dès lors qu’il renvoie à notre travail, ne doit pas être compris dans le sens habituel inhérent à la logique hypothético-déductive. L’hypothèse, ici, n’est pas une explication supposée dont on cherche à tester la validité afin de la confirmer ou de l’infirmer ; elle n’est qu’une explication possible parmi d’autres, que le modèle prend en charge. Ce point est développé par la suite.

Rodolphe Gouin – La transformation des protopartis – Thèse IEP de Bordeaux – 2008

dans leur pertinence vis-à-vis de tel ou tel objet. Par exemple, le concept de structure des opportunités politiques ne sera pas discuté simplement en lien avec la question de la transformation de mouvements sociaux en partis politiques, ni seulement dans sa pertinence générale vis-à-vis des objets de la science politique (renvoyant par exemple au débat sur la nécessité de parler d’« opportunités spécifiques »3 à tel ou tel problème public), mais aussi et surtout dans sa structure inférentielle propre et dans la signification à accorder à la notion d’opportunité en comparaison avec celles de possibilité ou d’incitation.

L’articulation entre les deux objectifs obéit alors à la stratégie générale suivante. Il s’agit en premier lieu de construire un modèle d’explication causale de la transformation des protopartis qui tende à intégrer un maximum de processus susceptibles d’intervenir dans l’histoire causale du phénomène et qui auront été retenus a priori. Bien qu’obéissant à un engagement rigoureux en faveur d’une analyse largement multicausale, le modèle ne peut atteindre parfaitement son objectif d’exhaustivité, quelques rares hypothèses causales sont explicitement laissées de côté, pour des questions de temps, non pour des raisons logiques ou théoriques. Préciser qu’il s’agit de construire un modèle4 implique que les hypothèses qui le constituent ne sont pas des explications prises une à une et juxtaposées de manière à tester la pertinence de chacune – ou leur pertinence différentielle – afin de conclure sur le choix de la meilleure explication. On cherche au contraire à les lier les unes aux autres et à les articuler de manière cohérente selon les considérations logiques explicitées. En second lieu, le modèle est appliqué sur le cas du Sillon (1899-1910) de Marc Sangnier.

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Koopmans R., Statham P., « Migrations and Ethnic Relations as a Field of Political Contention : An Opportunity Structure Approach », in Koopmans R., Statham P. (eds.), Challenging Immigration and Ethnic Relations Politics, Oxford, Oxford University Press, 2000 ; Berclaz M., Füglister K., Giugni M., « États-providence, opportunités politiques et mobilisation des chômeurs : une approche néo-institutionnaliste », Swiss Journal of Sociology, 30(3), 2004, p.421-440.

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Face à la grande diversité des définitions de ce qu’est ou doit être un « modèle » en science (voir Gérard-Varet L.-A., Passeron J.-C. (dir.), Le modèle et l’enquête : les usages du principe de rationalité dans les sciences sociales, Paris, Éditions de l’EHESS, 1995 ; Grignon C., Grenier J.-Y., Menger P.M. (dir.), Le modèle et le récit, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2001 ; Nouvel P. (dir.), Enquête sur le concept de modèle, Paris, PUF, 2002), il est inutile de chercher à justifier notre conception par une référence à telle ou telle autre. Il en va du modèle comme de nombreux autres concepts analytiques (paradigme, théorie, hypothèse, structure, configuration, niveau, domaine, etc.),

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Cette stratégie générale a la spécificité de proposer un modèle explicatif qui ne sélectionne pas les hypothèses à tester en fonction de considérations théoriques, choisies selon un paradigme ou une école. Elles obéissent à une cohérence fondée sur des critères épistémologiques et logiques, non sur des visions de la réalité ou des propositions d’explication empirique générales. De ce fait, la fabrication du modèle explicatif se doit d’être précédée de considérations sur notre posture causaliste et instrumentaliste5. Cette démarche d’ensemble peut être éclairée à l’aide du schéma suivant, qui classe selon deux axes ce que nous nommons des tempéraments de recherche. La prise en compte de ces deux axes (qui ne constituent pas deux critères de scientificité mais indiquent des manières de faire) permet alors de proposer quatre idéal-types de tempéraments de recherche, et ainsi de caractériser notre démarche par rapport à ces types. Ce schéma n’a donc pour seul objectif que de clarifier le rôle dévolu dans notre travail au modèle et aux hypothèses, au souci de perfectionnement de la grille d’analyse et des logiques explicatives, et à leur rôle par rapport au cas empirique étudié. Il ne vise pas à hiérarchiser des types de stratégies de recherche.

Un premier axe vertical distingue les travaux qui s’appuient sur un haut degré d’élaboration des outils d’analyse, questionnant en intension et en extension le maximum de concepts utilisés, s’attachant à expliciter les logiques inférentielles auxquelles ils ont recours et les postulats épistémologiques sur lesquels ils se fondent, et à l’autre extrémité les recherches qui s’appuient sur un appareillage mince, à peine justifié, usant de concepts peu ou mal définis et de logiques explicatives floues. Le second axe part, à une extrémité, d’une position nommée déductivisme explicatif, qui consiste à proposer une explication du phénomène avant même de l’avoir étudié ; dans ce cas, la recherche menée par la suite ne vise le plus souvent qu’à confirmer les a priori tirés de conceptions scientifiques ou philosophiques préétablies. À l’autre extrémité, l’inductivisme explicatif n’attend de réponse quant à la question de l’explication du phénomène que de l’étude scrupuleuse et sans a priori

il importe avant tout d’en donner la définition précise telle qu’elle apparaît nécessaire à la recherche. Il ne s’agit que d’outils au sujet desquels l’enjeu définitionnel nous paraît très limité.

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du cas étudié ; l’explication apparaît sur le terrain, elle est produite par lui devant le chercheur. Nous ne discutons pas ici la pertinence et la cohérence de chacune de ces positions.

Le découpage entre deux axes permet selon nous d’identifier quatre tempéraments scientifiques de nature idéale-typique: le théoricien, le méthodologue, l’observateur6 et l’essayiste.

Figure 1 – Tempéraments de recherche scientifique

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Ces trois premiers types peuvent être apparentés, sous certaines conditions, aux trois types d’explication proposés par Jon Elster : l’explication par des lois générales, celle par des mécanismes, celle par le récit. Voir Elster J., Nuts and Bolts for the Social Sciences, Cambridge, Cambridge University Press, 1989.

Théoricien

Haut degré d’élaboration des outils d’analyse

Déductivisme explicatif Observateur Essayiste Méthodologue

Faible degré d’élaboration des outils d’analyse

Inductivisme explicatif

B

C

D

X

A

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Le tempérament d’essayiste7 est le seul que l’on puisse placer sur une échelle de scientificité, car il est sans conteste le plus éloigné des exigences d’un travail rigoureux tel que nous le concevons. Plus il se rapproche du point D, plus il s’éloigne des critères possibles d’un bon travail de recherche, puisqu’il ne propose ni plus ni moins que des réponses a priori et sans travail d’enquête, ne serait-ce qu’à titre de validation, réponses qui de plus sont vagues ou imprécises. La figure littéraire de l’essayiste n’est pas ici visée ou rejetée comme indigne des critères de la probité intellectuelle. Il ne s’agit que d’un idéal-type combinant deux caractéristiques. Ce qui est visé, en revanche, est la propension de certains chercheurs à suivre cette voie, mais recouverts des apparences de la scientificité que leur signature ou le jargon utilisé produisent.

Le tempérament d’observateur consisterait quant à lui à rejeter les hypothèses explicatives a priori pour réserver au terrain, aux acteurs étudiés, aux groupes observés, une absolue primauté (du moins dans le cas extrême symbolisé par la position C sur le schéma). Un tel tempérament permet certes d’être entièrement disponible intellectuellement pour appréhender les données, se laisser toute la latitude pour identifier les hypothèses qui semblent s’imposer d’elles-mêmes à l’issue de l’observation, mais la priorité accordée aux données empiriques s’accompagne dans cet idéal-type d’un faible niveau d’élaboration des outils d’analyse, qui pourrait se justifier (à tort selon nous) de la même manière : éviter les préjugés dans les catégories mises en place pour développer l’analyse. Nous avons maintes fois eu l’occasion de croiser telle ou telle étude se rapprochant plus ou moins nettement de cet idéal-type. C’est parfois le cas, semble-t-il, des travaux s’appuyant sur des terrains qui semblent exotiques aux yeux de l’enquêteur (ce qui ne signifie pas des terrains lointains historiquement ou géographiquement). Par souci d’une appréhension et d’une compréhension non faussées, l’étude se limite parfois à un récit ethnographique, souvent riche et précis dans

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Au sujet de la sociologie du sport, B. Lahire en donne des illustrations détaillées et une analyse acerbe mais juste, montrant comment « ces thèses établissent souvent des analogies superficielles entre le sport et tel phénomène ou entre le sport et « la société » dans son ensemble. Les essayistes les plus relâchés se servent ainsi du sport pour développer leurs thèses les plus farfelues. (…) l’essayisme relâché n’est pas une maladie de jeunesse de notre discipline [la sociologie], mais bien une pathologie récurrente » (in Lahire B., L’esprit sociologique, Paris, La Découverte, p.311-313).

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les descriptions mais qui se contente de reprendre les catégories des acteurs et limitent les hypothèses explicatives aux seules raisons que ces derniers fournissent.

Un tempérament de théoricien (qui renvoie en partie à ce que les anglo-saxons nomment grand theory) consiste à privilégier un haut degré d’élaboration des outils d’analyse et surtout un positionnement théorique général producteur d’hypothèses explicatives, avant toute confrontation avec les faits. Dans la version la plus extrême (au point A), le théoricien ne se préoccupe même que de la cohérence et de la perfection de ses concepts, de ses hypothèses et de leurs fondements théoriques ou épistémologiques. Comme s’il était le tenant d’un paradigme pouvant a priori expliquer les phénomènes parce qu’il aurait déjà donné les lois du monde social ou décrit les régularités dont il aurait identifié les processus les plus fondamentaux, le théoricien sait à l’avance quelles hypothèses tester, et lesquelles devraient se voir confirmer. De manière moins radicale, certaines théories tirées des paradigmes marxiste ou du choix rationnel se rapprochent de cet idéal-type en ceci que toute explication se réfère en dernière instance, dans un cas à la domination de classe, dans l’autre à la maximisation de l’utilité. Il ne s’agit pas ici de dire que les recherches guidées par de telles approches n’ont alors aucune plus-value scientifique, mais simplement de souligner le fait que le facteur explicatif est connu d’avance, et que dès lors les recherches empiriques, même extrêmement fouillées, ne visent que la confirmation de la pertinence présupposée de ce facteur. Ce tempérament offre ainsi l’avantage de pouvoir dévoiler des effets de domination ou de stratégie de maximisation de l’utilité là où le sens commun ne les imagine pas, mais le danger existe parallèlement de n’appréhender un phénomène qu’avec un regard limité et d’en réduire ainsi l’intelligibilité.

Le dernier cas est celui du méthodologue. C’est de ce type-ci que notre propre tempérament se rapproche le plus (point X). La double caractéristique du méthodologue est de chercher à allier un haut degré d’élaboration des outils d’analyse, autrement dit des concepts, des hypothèses, des justifications et des fondements, et dans le même temps une primauté accordée au terrain quant à la mise en lumière des explications du phénomène étudié. Cette position en apparence ambiguë est celle que nous défendons à travers la construction d’un modèle explicatif multicausal et pluraliste. À l’inverse du théoricien, le méthodologue ne sélectionne pas d’après des considérations théoriques ou paradigmatiques les hypothèses

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explicatives à appliquer sur le cas. La stratégie consiste plutôt à venir sur le terrain armé d’une batterie d’hypothèses la plus riche possible, toutes dûment construites et justifiées d’un double point de vue logique et épistémologique, et à passer ensuite les données empiriques au crible de ce modèle. L’inconvénient de ce tempérament est qu’il est très consommateur de temps et d’énergie pour un retour sur investissement scientifique jamais assuré. Il est possible en effet que de nombreuses hypothèses longuement développées, critiquées, travaillées, se révèlent finalement non pertinentes ou inapplicables en raison d’un manque de données. Le risque du temps perdu dans la fabrication du modèle est conséquent. Afin de proposer des hypothèses explicatives, ce tempérament met donc l’accent avant tout sur la méthode, c'est-à-dire la stratégie de recherche et les techniques de recueil et de traitement des données qui permettent de faire émerger les explications pertinentes.

Il convient de préciser quels rapports entretient cette approche avec la Grounded Theory (GT) proposée par Glaser et Strauss8, qui pourrait à plusieurs égards être confondue avec les exigences du tempérament de méthodologue. Ces deux approches partagent un même rejet de la Grand Theory et de sa logique hypothético-déductive. Mais une lecture trop rapide de la GT pourrait laisser croire qu’elle illustre parfaitement le tempérament d’observateur. En effet, comme le précise F. Guillemette, « dans une recherche réalisée avec l’approche GT, le chercheur suspend temporairement le recours à des cadres théoriques existants au profit d’une ouverture à ce qui émerge des données de terrain. Il s’agit d’un refus systématique d’imposer d’emblée aux données un cadre explicatif. »9 Plus encore que les cadres explicatifs, ce sont les catégories d’analyse et même la problématisation de l’objet de recherche qui doivent émerger des données empiriques. Mais cette suspension du recours aux cadres théoriques existants n’est que provisoire. Une fois appréhendées les premières données, retranscrites dans le

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Glaser B., Strauss A., The Discovery of Grounded Theory: Strategies for Qualitative Research, Chicago, Aldine, 1967 ; Glaser B. (ed.), Grounded Theory: 1984-1994, Mill Valley, Sociology Press, 1995 ; Strauss A., Corbin J., Basics of Qualitative Research, Thousand Oaks, Sage, 1998. Nous n’entrerons pas ici dans le détail des différences entre l’approche originelle continuée par Glaser, et celle plus récente de Strauss et Corbin.

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Guillemette F. « L’approche de la Grounded Theory ; pour innover ? », Recherches qualitatives, 26(1), 2006, p.34.

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« code in vivo »10, autrement dit dans le discours et les catégories des acteurs eux-mêmes, une « conversation »11 doit être menée entre les données et l’analyste, menant à une théorisation progressive, mais toujours contrôlée par le retour au terrain.

Il semblerait donc que la GT soit la manifestation, avant tout, d’un tempérament d’observateur. Or, loin de l’épochè propre à la méthode phénoménologique à laquelle pourtant les auteurs font allusion12, le chercheur qui suit la GT n’arrive pas sur le terrain avec la tête vide, mais avec l’esprit ouvert. Pour le dire autrement, tout chercheur, avant de se confronter aux données empiriques, a déjà adopté une « sensibilité théorique »13 et des concepts sensibilisateurs [sensitizing concepts] qui doivent être riches et nombreux. Il apparaît alors qu’on s’éloigne du tempérament d’observateur pour se rapprocher de celui du méthodologue, voire du théoricien. Comme le note Guillemette, « il n’est pas facile de saisir la différence entre cette démarche et l’imposition de cadres théoriques aux données »14. Dans le langage-même des auteurs de la GT, les théories dont il faut à tout prix se déprendre deviennent des « perspectives » qui sont nécessaires, et les hypothèses préalables qu’il s’agit d’éliminer deviennent de simples « intuitions », considérées comme indispensables. Il n’est guère que l’esprit de prudence, le souci de la réflexivité et la volonté d’innover en se fondant sur les données empiriques plutôt que sur des considérations théoriques préalables, qui spécifient encore la GT par rapport à toute analyse hypothético-déductive.

Pour comprendre la différence avec le tempérament de méthodologue, il faut alors séparer la question de la catégorisation a priori de celle qui est abordée dans notre schéma : le déductivisme explicatif. Si le chercheur qui suit la GT se refuse à problématiser et à catégoriser l’objet de recherche a priori, c’est-à-dire avant d’accéder aux données empiriques,

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Glaser B., Theoretical Sensitivity, Mill Valley, Sociology Press, 1978.

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Strauss A., Corbin J., op. cit., p.280.

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Giorgi A., « De la méthode phénoménologique utilisée comme mode de recherche qualitative en sciences humaines: théorie, pratique et évaluation », in Poupart J., Deslauriers J.-P., Groulx L.-H., Laperrière A., Mayer R., Pires A.P. (dir.), La recherche qualitative: Enjeux épistémologiques et méthodologiques, Boucherville, Gaëtan Morin, 1997, p.341-364.

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Glaser B., op. cit.

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de la même manière que le méthodologue, c’est dans le recours au modèle explicatif qu’il s’en distingue. Cette batterie cohérente d’hypothèses explicatives, que nous nommons modèle, n’est pas le fruit d’un choix théorique, ce que rejette aussi la GT, mais elle n’émerge pas non plus des données empiriques comme l’exigent Glaser ou Strauss. C’est à ce niveau que la GT s’écarte du tempérament de méthodologue tel que nous le concevons dans notre travail. Celui-ci se situe en réalité à mi-chemin entre le théoricien et le partisan de la GT : il partage avec le premier l’idée que la recherche doit s’appuyer sur la constitution a priori d’un modèle explicatif, mais s’accorde avec la GT pour rejeter toute explication théorique préalable, qu’il s’agirait ensuite de valider. Le modèle explicatif auquel le méthodologue a recours est donc moins qu’une théorie, qui connaît (ou suppose) la réponse avant même de poser la question, et davantage que les intuitions de la GT, qui ne sont pas développées ni articulées selon des considérations logiques et épistémologiques préalables.

Appliqués au cas de la transformation d’un protoparti, les quatre tempéraments idéal-typiques proposés dans le schéma pourraient aboutir aux stratégies de recherche que livre la prosopopée suivante : l’essayiste se contenterait d’expliquer la transformation par des concepts vagues comme « des choix politiques », ou « des contraintes imposées par le système », sans données empiriques pour étayer ces arguments vagues ; l’observateur recenserait toutes les raisons invoquées par les acteurs, décrivant jour après jour les discussions, les débats, les difficultés rencontrées dans la transformation ; le théoricien proposerait une explication fondée sur une conception a priori des processus explicatifs en jeu dans le cas étudié, restreignant alors son analyse au test d’une hypothèse très élaborée, par exemple « d’inspiration goffmannienne, mais réorientée dans une visée plus stratégiste, en termes d’amplification de cadres », ou peut-être une explication « rationaliste, conforme à la théorie de la mobilisation des ressources, mettant l’accent sur le rôle stratégique au sein de l’organisation de tel ou tel type de dirigeant ». Fort heureusement, personne en général ne défend de positions ou d’hypothèses si radicales, restreintes ou vagues. Il ne s’agit pas ici de durcir jusqu’à la malhonnêteté les tempéraments de recherche perceptibles dans certains