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Contexte et fonctions causales

Les éléments contextuels peuvent remplir deux fonctions causales : l’autorisation et la sélection. Le contexte peut d’abord opérer une sélection parmi les effets produits de manière à ce qu’il n’en reste plus qu’un ; ce faisant, il entre de plein droit dans l’explication causale du phénomène. Le choix d’un itinéraire pour une manifestation peut par exemple être limité en raison de travaux de voirie empêchant l’un des deux trajets souhaités. Ainsi le contexte joue-t-il un rôle important dans le fait que la manifestation ait lieu à tel endroit, au-delà du choix des itinéraires. Deuxièmement, le contexte peut autoriser la production d’un comportement jusqu’ici empêché. Une avancée technologique comme Internet peut par exemple autoriser des actions comme le lancement à très grande échelle de pétition ou d’appel à souscription, et avec un coût minime.

On peut résumer les différentes fonctions causales remplies par les éléments contextuels dans le schéma suivant :

Figure 11 – Contexte et fonctions causales Raisons / Dispositions Contexte Action1 Action3 Action4 Action2 Action Contexte

Rodolphe Gouin – La transformation des protopartis – Thèse IEP de Bordeaux – 2008

Bilan intermédiaire

Nous sommes arrivés au terme de l’analyse des logiques explicatives du comportement d’un individu. Celui-ci peut s’expliquer soit par l’attribution de raisons, soit par l’attribution de dispositions, soit par le poids du contexte. Si ce dernier ne peut produire à lui seul le comportement, parce qu’il ne peut se substituer à l’action humaine, qui, même dans les circonstances les plus déterminantes, doit cependant au minimum avoir lieu, on peut supposer que ces trois logiques explicatives peuvent le plus souvent être combinées. Il ne s’agit pas de proposer un modèle qui systématiquement donnerait sa part à chacune d’entre elles, mais de suivre une stratégie de recherche qui teste chaque logique comme une hypothèse, tant que celles-ci sont compatibles les unes avec les autres. La question de savoir si l’explication par les raisons peut se combiner à l’explication par les dispositions reste cependant difficile à trancher196. Y a-t-il un sens à dire qu’un comportement a été produit à la fois par des raisons et par des dispositions ? Nous pensons que oui, puisque nous ne savons pas davantage ce que sont réellement les raisons que les dispositions. Quoiqu’il en soit, elles n’en constituent pas moins deux stratégies a priori aussi valables l’une que l’autre et qui pourraient bien se révéler, après étude des données empiriques, indéterminées. Elles ne sont pas sous-déterminées par l’expérience, comme si les faits pouvaient finalement, par accumulation ou amélioration de traitement, permettre de les départager, mais bien indéterminées, c'est-à-dire toutes deux aussi compatibles l’une que l’autre avec les phénomènes. Notre propos n’est certainement pas de dire que toutes les explications se valent, car seules celles qui proposent une histoire causale à la fois cohérente et compatible avec les données empiriques peuvent prétendre à quelque valeur. Mais à proposer à la fois des histoires causales rationalistes et des histoires causales dispositionnalistes, on risque effectivement de se retrouver dans le cas du traducteur de Quine197, qui propose un manuel parfaitement conforme aux faits, comme l’est celui du second traducteur, mais se révèle incompatible avec ce dernier, et sans qu’il existe de solution pour choisir entre les deux. Par conséquent, au mieux on explique l’action par la

196

Cette question sera à nouveau posée et une position définitive sera adoptée lorsque nous aurons fait intervenir la question du niveau représentationnel (principalement dispositionnaliste) et la question des niveaux de causalité (multicausalité verticale).

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Rodolphe Gouin – La transformation des protopartis – Thèse IEP de Bordeaux – 2008

conjonction de telles raisons, telles dispositions, et tels éléments contextuels, au pire on propose deux histoires causales de la même action, toutes deux également acceptables. Le pluralisme est soit méthodologique, soit théorique. Nous nous inscrivons à nouveau ici dans l’épistémologie interprétationniste de Dennett198, qui comme on l’a compris, à défaut de pouvoir expliquer dans le sens fort et réaliste du terme, impliquant la mise en évidence des causes réelles, propose des interprétations objectives. Nous ne discuterons pas davantage ce point parce qu’il est difficile en Europe, et particulièrement en France, de travailler sur l’interprétation sans devoir nécessairement expliciter ses rapports à l’herméneutique199. Nous avons dit l’essentiel de ce qui importait sur ces questions pour notre recherche, le problème du rapport à l’herméneutique n’aurait pas ici d’intérêt particulier. Précisons encore deux points200. D’abord, conformément à la posture instrumentaliste, le choix entre raisons et dispositions peut être opéré en fonction des capacités prédictives de chacune de ces stratégies explicatives en fonction du type d’objet à étudier. Les dispositions permettant de bonnes prédictions des comportements récurrents, habituels, ritualisés, routinisés, on peut préférer ce type d’explication si l’objet est de cette nature. En revanche, les raisons prédisent mieux les actions planifiées, préparées. Il suffit à l’enquête empirique de déterminer si le comportement à expliquer tient plutôt du premier type (fréquemment observé dans des conditions semblables à certains points de vue) ou plutôt du second (indices d’une préparation, d’une réflexion, d’une planification du comportement avant son adoption), et choisir la logique explicative en fonction. Deuxièmement, l’étude du niveau représentationnel va nous permettre d’articuler bien mieux raisons et dispositions, en intégrant à notre étude une distinction de niveaux d’explication (multicausalité verticale). Ce qui fera l’objet d’une explication en termes de raisons à un premier niveau (le plus proche de l’action) pourra à son tour faire l’objet d’une explication de niveau 2, de type dispositionnaliste.

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C’est avec beaucoup de pertinence que P. Engel a traduit le titre de l’ouvrage de Dennett par La stratégie de l’interprète, s’écartant assez largement d’une traduction littérale.

199

Sur ce point, nous renvoyons à Engel P., « Interpretation without Hermeneutics : a Plea against Oecumenism », Topoi, 10, 1991, p. 137-146.

200

Sur ces deux points, voir Gouin R., « Is Rationality Still a Useful Concept for Social Sciences ? Reasons at Cognitive Age », International Conference on Social Sciences, Izmir (Turquie), 21-24 août 2008.

Rodolphe Gouin – La transformation des protopartis – Thèse IEP de Bordeaux – 2008

On peut proposer le schéma suivant qui résume l’ensemble des éléments concernant les logiques explicatives étudiées pour le moment :

Figure 12 – Modèle de la multicausalité fonctionnelle et logiques explicatives de l’action (niveau 1) Rsn act2 cause proximale act4 act1 act3 Rsn Rsn Rsn Rsn Dispo act5 cause distale Dispo Cntxt Cntxt Dispo Cntxt Action

Rodolphe Gouin – La transformation des protopartis – Thèse IEP de Bordeaux – 2008

Il nous faut rappeler pour terminer que seule la cause qui produit (ici, des raisons et ou des dispositions) est nécessaire, toutes les autres ne sont que des hypothèses possibles. Ainsi le modèle présenté ci-dessus est le plus complet possible mais il y a fort à parier que toutes les fonctions causales représentées n’auront pas de pertinence dans l’étude de chaque cas. Précisons enfin que seul le niveau 1 est représenté ici.