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Analyse dynamique, logique du modèle et schématisation

Adopter pour l’explication de la transformation d’un protoparti une approche dynamique s’appuyant sur le double mouvement de déconstruction et de reconstruction du continu exige que l’on précise l’articulation avec une logique du modèle.

Au moment de l’explication, concevoir le phénomène à expliquer comme un point du temps, dans son unicité et son homogénéité, serait trop réducteur. C’est malheureusement l’impression que pourrait laisser la présentation du modèle sous forme de schéma. Mais il ne s’agit là que d’effets dus à la présentation des logiques explicatives. Si les variations temporelles ne sont pas représentées, il ne s’agit que d’une faiblesse technique de notre schématisation. Présentant en effet les processus causaux dans un même espace, elle peut amener le lecteur à les négliger. Ce serait une erreur, puisque l’analyse dynamique les aura montrées.

La schématisation peut aussi faire croire que l’explication de la transformation d’un protoparti doit, à la fin de l’enquête, être schématisable, comme si l’on pouvait inscrire à la place des facteurs explicatifs abstraits proposés dans le modèle des éléments historiques concrets. Cela peut effectivement être le cas, sous réserve de lisibilité d’une telle figure. Mais il ne s’agit que d’une manière de présenter les résultats, pas de l’analyse dans son déroulement. Autrement dit, l’explication par le modèle ne réside pas dans le schéma. Le modèle est une grille de lecture qui oriente notre regard sur certains points de la réalité historique que l’enquête permet ou non de révéler. Certaines hypothèses qu’il propose ne rencontrent d’ailleurs aucune correspondance dans la réalité historique de tel ou tel cas. D’une certaine manière, à l’apparition, la disparition ou la modification de chaque facteur explicatif au cours de la transformation, autrement dit à chaque état synchronique, le modèle doit être entièrement ré-appliqué. Un schéma qui présenterait les résultats devrait alors systématiquement être modifié, exposant sur fond du schéma du modèle les éléments historiques explicatifs du cas étudié. Pour des raisons pratiques, ceci paraît impossible. L’articulation entre analyse dynamique, logique du modèle et schématisation se fait donc de la manière suivante : lors de l’enquête le modèle indique les éléments de la réalité à observer ; l’approche dynamique amène à la déconstruction du continu, identifiant alors des états

Rodolphe Gouin – La transformation des protopartis – Thèse IEP de Bordeaux – 2008

synchroniques différenciés sur la base d’un changement des facteurs explicatifs présents (ou de leurs valeurs) dont la liste est imposée par le modèle ; la reconstruction du continu met ensuite en évidence les variations causales intervenues dans la production du phénomène. Si la schématisation de cette reconstruction est possible, elle sera effectuée.

Plus précisément, il nous faut répondre à la question suivante : à partir de quand le protoparti devient-il un parti politique ? Au moment de la décision de présenter des candidats en son nom ? À partir de l’annonce publique de cette décision ? Mais si cette décision ou cette déclaration ne sont pas suivies d’effet, peut-on parler de transformation ? Peut-être alors a-t-elle lieu lorsque les pouvoirs publics officialisent ces candidatures ? Mais si les candidats se retirent au dernier moment ? Faut-il attendre le moment du vote, voire la publication officielle des résultats ? Bref, on comprend que cette transformation implique en réalité plusieurs moments (des états synchroniques) qu’il s’agit de prendre en compte et d’expliquer. Le plus important à nos yeux est sans doute celui de la décision de présenter des candidats, à condition que celle-ci soit suivie d’un travail de mobilisation pendant la campagne électorale. Autrement dit, ce qui nous importe le plus est que, par ses actions, le protoparti se comporte comme un parti politique. L’approche dynamique permet de plus de saisir les éventuelles boucles de rétroaction qui s’insèrent entre les différentes causes et fonctions causales, au-delà de ce que la multicausalité verticale devrait pourtant permettre de révéler. Par exemple, des raisons amènent à la prise de décision de la transformation, décision qui contribue à modifier le contexte qui, en retour, modifie ces mêmes raisons. Il n’y a pas réversibilité mais rétroaction, autrement dit les raisons qui auraient dû perdurer dans la mise en œuvre de la décision prise se voient modifiées. Pour le dire autrement, la décision a bien été prise, mais le fait de persévérer dans son application peut être ensuite l’effet des mêmes raisons modifiées par le contexte238.

D’un point de vue strictement analytique on pourrait proposer que l’étude s’attachât à isoler trois moments logiques qui sont au cœur de chaque processus de transformation : l’évocation et les discussions informelles sur la transformation, la délibération et la décision

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Voir entre autres, en sociologie des mobilisations, McAdam D., Tarrow S., Tilly C., Dynamics of contention, Cambridge, Cambridge University Press, 2001, p.10-13.

Rodolphe Gouin – La transformation des protopartis – Thèse IEP de Bordeaux – 2008

de se transformer, et la campagne. Le premier moment, ou la première étape logique, renvoie aux échanges ou déclarations qui posent la question de l’engagement du mouvement dans une campagne électorale, proposent des argumentaires, mais n’ont pas pour objectif la décision définitive de la transformation. Le deuxième moment, en revanche, est bien celui de l’engagement de principe en faveur de la participation à la campagne. Le troisième enfin renvoie à la campagne électorale, c’est-à-dire aux considérations tactiques relatives au choix des candidats, des circonscriptions, des moyens à mobiliser, et à l’ensemble des actions de campagne menées. Ces étapes ne renvoient pas qu’à des actes de parole, des prises de décision, des déclarations, mais à tous les actes qui génèrent ou découlent directement de ces discours. Ainsi l’étape nommée « évocation » ne se limite-t-elle pas nécessairement à l’ensemble des données empiriques discursives mais embrassent aussi tous les actes renvoyant à l’idée que la transformation est un horizon possible. Ainsi les recherches d’éventuelles circonscriptions ou de candidats, faites en prévision d’une éventuelle transformation, constituent aussi des éléments de cette première étape logique. Nous revenons plus longuement sur ce point dans la troisième partie afin d’éviter tout glissement du faire (transformation en parti) au dire sur le faire (discours et décision sur cette transformation).

Le dernier point à éclaircir est au cœur de l’analyse que nous allons proposer : les logiques explicatives de l’action, telles qu’elles ont été volontairement présentées, sont relatives à un individu. Or, le phénomène à expliquer est la transformation d’un protoparti, c’est-à-dire d’un groupe, d’une organisation, d’un collectif. Comment alors lier logique individuelle et logique collective ? L’acteur individuel auquel nous faisons référence peut-il aussi bien être un acteur collectif ? Y a-il un sens parler de raisons et de dispositions pour un groupe ou une organisation ?

Rodolphe Gouin – La transformation des protopartis – Thèse IEP de Bordeaux – 2008

Chapitre III – Individu ou groupe : quel acteur ?

Deux points logiques sont encore à éclaircir afin de poser les bases d’un modèle explicatif de la transformation des protopartis. Premièrement, y a-t-il un sens à parler de l’action d’un groupe au-delà de l’action d’un agrégat d’individus ? Dans une posture instrumentaliste, cette question n’est pas d’ordre ontologique (il ne s’agit pas de savoir si les groupes existent réellement) mais relève plutôt d’un choix stratégique : la référence à un groupe comme siège de raisons et de dispositions, ou, dans le vocabulaire de Dennett, comme système intentionnel, a-t-elle un intérêt ? Deuxièmement, si les groupes, organisations ou collectifs sont des instruments utiles, quel rapport entretiennent-ils avec les individus qui les composent ? Comment intégrer les logiques individuelles à l’explication de l’action par le groupe ? Et inversement, comment intégrer les logiques collectives à l’explication individuelle de l’action ?