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Les besoins de définitions pour cette recherche sont à la fois relatifs à la nécessité de désigner l’état qui précède et celui qui suit la première campagne électorale, et à la sélection d’un cas d’étude. Rappelons qu’un seul cas suffit pour montrer l’applicabilité du modèle et donc la possibilité de suivre un programme de recherche entièrement fondé sur une épistémologie instrumentaliste et causaliste en sciences sociales. En effet, si les conditions logiques de l’explication causale de la transformation d’un protoparti permettent bien de déduire un modèle explicatif multicausal, alors il ne reste plus qu’à vérifier si ce modèle peut donner lieu à une recherche empirique rigoureuse. En théorie, la pertinence explicative du modèle ne peut être remise en question puisqu’il doit tirer des conditions logiques présentées l’ensemble des hypothèses possibles et cohérentes entre elles. Dès lors toute explication doit pouvoir être fournie, et celle qui apparaît comme la plus convaincante au regard des données empiriques doit être considérée comme la meilleure.

Plusieurs cas de protopartis ont été repérés dans l’histoire de France. Il s’agit à présent d’en choisir un. Nous avons ailleurs tenté d’établir une liste des protopartis à partir d’un travail de généalogie des partis politiques nationaux (ayant récemment participé aux élections nationales et européennes) actuels54. L’idée était de remonter toutes les filiations55 en espérant qu’elle s’arrêtent à un moment ou un autre sur un mouvement social qui aurait choisi de se transformer, seul, en parti politique. L’une des conclusions de cette recherche généalogique était qu’il y avait en France bien peu de protopartis historiquement à l’origine des partis actuels. En élargissant la base de départ à des partis nationaux disparus sans filiation significative, nous avons pu établir une liste approximative de protopartis, c'est-à-dire de mouvements ne comptant pas dans leur rang de personnel partisan (militants de partis nationaux déjà constitués) ou politique (élus nationaux) et ayant présenté seuls des candidats aux élections nationales ou européennes. Nous pourrions évidemment aussi nous intéresser

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Voir Gouin R., op. cit., première partie.

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Ces liens étaient fondés sur la présence des militants, non sur les idéologies, le vocabulaire, les étiquettes partisanes ou les reconstructions proposées par les militants eux-mêmes. Par exemple, la scission d’une partie des militants de tel parti rejoignant tel autre constituait, dans certaines proportions minimales, une filiation du premier parti au second.

Rodolphe Gouin – La transformation des protopartis – Thèse IEP de Bordeaux – 2008

aux partis régionaux ou locaux, notamment aux partis autonomistes dont beaucoup sont issus de mouvements sociaux. Mais le choix d’un protoparti présentant des candidats aux élections nationales nous semble plus stimulant car potentiellement moins focalisé sur des considérations de politique locale. Au-delà des groupes autonomistes, le cas des Motivé-e-s à Toulouse, par exemple, pourtant récent et donc propice à un riche travail d’enquête, est exclu. Le second critère de sélection est l’accessibilité de l’information et des sources. Le succès, d’un point de vue sociologique, de notre stratégie de recherche méthodologico-inductive repose en grande partie sur le travail d’enquête, sur le recueil de données et leur traitement. Le choix du cas doit donc être opéré aussi en fonction de ce critère.

Face à quelques organisations dont il est difficile d’évaluer la proximité avec le personnel partisan, mettant ainsi en doute leur proximité avec l’idéal-type du protoparti56, ce sont six organisations qui peuvent faire potentiellement l’objet de notre étude. Cependant, la Ligue communiste révolutionnaire de 1967 ne dure qu’une année, avant son interdiction en 1968, et sa résurrection directement sous la forme d’un parti. La brièveté de cette expérience rend ce cas moins intéressant à nos yeux. L’Union communiste (1940-1971) qui en se transformant en parti prend pour nom Lutte ouvrière, a quant à elle une durée de vie très longue. Mais une première tentative nous a montré que les informations à son sujet sont difficilement accessibles, et sur une si grande durée cet obstacle risque d’être très pénalisant. Le mouvement des chasseurs57 qui se constitue autour de la défense des chasses traditionnelles est animé, depuis le fameux « serment de Pau » prononcé par J. Saint-Josse en 1979, par deux organisations : l’Union nationale des chasseurs traditionnelles français (UNDCTF) et l’Association nationale des chasseurs de gibier d’eau (ANCGE). Quand en 1989 une première liste « Chasse, pêche, tradition » est présentée aux élections européennes et menée par Saint-Josse, ce sont en fait 41 fédérations départementales de chasse qui ont accepté de se lancer dans cette stratégie, et que l’UNDCTF rejoint. Il ne s’agit donc pas clairement d’un mouvement social présentant seul des candidats aux élections.

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C’est le cas notamment de l’Action française, du Centre de la Réforme Républicaine (1965-1967) et de la Fédération des Clubs Perspectives et Réalité (1968-1981).

Rodolphe Gouin – La transformation des protopartis – Thèse IEP de Bordeaux – 2008

Les cas restants sont à la fois les plus intéressants et les plus accessibles. Il s’agit du Sillon de Marc Sangnier (1899-1910), des Croix de feu du colonel de la Rocque58 (1927-1936), et de l’Union de Défense des Commerçants et Artisans de France de P. Poujade (1953-1956). S’il a été envisagé pendant longtemps de mener une analyse comparative de ces trois mouvements59, nous décidons finalement de limiter notre recherche au seul Sillon. La raison la plus immédiate est sans conteste le manque de temps. La deuxième, qui est liée, est la richesse du fonds documentaire consacré au Sillon et à son président à l’Institut Marc Sangnier, à Paris, sur lequel nous reviendrons. La troisième raison tient au mouvement lui-même, qui nous semble particulièrement riche parce qu’il mêle histoire politique et histoire religieuse, et qu’il se situe à un moment de multiples crises (la Séparation de l’Église et de l’État, l’organisation des partis et des syndicats socialistes et communistes, la réforme néo-thomiste et la crise moderniste au sein de l’Église catholique). Enfin il illustre mieux que les deux autres cas, selon nous, les débats et tensions qui pèsent au sein de l’organisation comme dans son environnement sur le processus de transformation en parti politique.

Après avoir défini l’ensemble des logiques explicatives mobilisables dans une optique causaliste et instrumentaliste (I), nous déduisons un modèle explicatif issu de l’harmonisation entre les exigences logiques formulées et les théories et concepts à disposition au sein de la littérature des sciences sociales (sociologie politique et psychologie sociale cognitive) (II). Le modèle est ensuite appliqué au cas de transformation du Sillon (III).

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Voir l’excellent ouvrage de C. Traïni, Les braconniers de la République. Les conflits autour des représentations de la Nature et la politique, Paris, PUF, 2003.

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La biographie du Colonel de la Rocque par J. Nobécourt fournit sur cette organisation des informations d’une richesse encore inégalée. Nobécourt J., Le colonel de La Rocque, 1885-1946, ou les pièges du nationalisme chrétien, Paris, Fayard, 1996.

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Signalons à ce sujet l’étude de C. Vivent, Chasse Pêche Nature Traditions, entre écologisme et poujadisme ? : socio-anthropologie d’un mouvement de campagnes, Paris, L’Harmattan, 2005.

Rodolphe Gouin – La transformation des protopartis – Thèse IEP de Bordeaux – 2008