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à la « croisade » pour le livre du SNE

On connaît bien aujourd’hui le contexte dans lequel le parti commu- niste français lança ses « Batailles du livre » animées par Elsa Triolet et soutenues par le Conseil national des écrivains 56. Les ventes annuelles du

CNE ont débuté le 26 juin 1946 dans un climat d’unité encore solide, où les éditions Gallimard peuvent s’exposer aux côtés des Éditions de Mi- nuit ou des Éditions sociales sans courir le risque d’être soupçonnées de philocommunisme. Le retrait de nombreux éditeurs à partir de 1948 se lit dans la hausse constante de la part des maisons d’édition du PCF dans le chiffre d’affaires de ces ventes annuelles, 9 % en 1946, mais 63,7 % en 1950 57. À cette date, l’esprit de la Libération et l’idéal de la Résis-

tance sont oubliés et le PCF lance seul sa première « Bataille du livre » en 1950. La dernière, programmée en 1952, traduit l’essoufflement d’une campagne de mobilisation de l’opinion qui avait démarré en juillet 1948 lorsque le PCF avait créé un Comité de défense du livre français chargé de combattre les visées de la Commission nationale du livre français à l’étranger, qui, au Quai d’Orsay, remplaçait le SOFE d’avant-guerre 58. La

même année, Elsa Triolet publiait L’écrivain et le livre ou la suite dans les

idées qui exprimait publiquement sa vision et annonçait, à la fois, sa par-

ticipation, avec Pierre Seghers, aux Journées du livre du Palais Royal du Syndicat national des éditeurs en 1950 et son rôle-clé dans le démarrage de la « Bataille du livre » à Marseille le 19 mars 1950 59.

Le SNE ne pouvait qu’être partagé devant ces initiatives dont la nature trop politique le dérangeait, même si un représentant des Éditions so- ciales, Joseph Ducroux, siégeait au sein de son Conseil depuis 1947. En 1950, la présence de l’abbé Pierre à la Bataille parisienne du livre, celle de Pablo Picasso et de Louis Aragon pouvaient encore apparaître comme le signe d’un engagement culturel fort. L’omniprésence des auteurs commu- nistes dans les suivantes allait entraîner l’arrêt définitif de ces manifesta- tions dont il demeure cependant une expérience intéressante d’un point de vue professionnel, les Bibliothèques de la Bataille du livre, dépôts cir- culants et payants, chargés de pallier la carence des bibliothèques muni-

56 Marc Lazar, « Les “batailles du livre” du Parti communiste français (1950-1952) », Vingtième siècle,

revue d’histoire, oct.-déc. 1990, no 28.

57 Marie-Cécile Bouju, Les maisons d’édition du Parti communiste français, 1920-1956, thèse de doc- torat d’histoire, IEP de Paris, 2005.

58 Ibid.

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cipales qui ne prêtent, en 1950, que 8 millions de volumes 60. Poussant les

pouvoirs publics à s’engager dans la définition des politiques publiques de lecture, le SNE est partie prenante de la Commission nationale du livre français à l’étranger au ministère des Affaires étrangères où il a obtenu des aides substantielles à l’exportation. Il a même réussi à faire supprimer le rapport qui reprochait aux éditeurs leur trop faible dynamisme 61, ce

qui, une fois encore, traduit l’existence de rapports étroits entre les hauts fonctionnaires du Quai, Jérôme Seydoux en l’occurrence, et le syndicat professionnel. L’harmonie règne également avec le ministère de l’Édu- cation nationale qui conserve les bibliothèques sous sa houlette jusqu’en 1975 et qui a mis en place, dès 1945, avec les bibliothèques centrales de prêt et sa Direction des bibliothèques et de la lecture publique les pre- miers instruments lui permettant d’assumer ses missions 62.

C’est après la fin de la guerre d’Algérie, au moment où la France des Trente Glorieuses touche en quelque sort les dividendes de la croissance continue que le SNE décide de transformer sa commission de la publicité en commission de la promotion du Livre. Sous la conduite de Robert Laffont, elle étudie, début 1965, les statuts d’une Association pour le développement de la lecture qui se veut l’aiguillon des pouvoirs publics. Finalement dénommée LIRE, l’association va lancer une grande campa- gne de sensibilisation de l’opinion qui débute par un article fracassant publié dans Les Nouvelles littéraires et qui s’intitule « La grande pitié des bibliothèques 63 ».

Alors que le sondage commandé par le SNE à l’IRES en 1960 a montré que 58 % des Français ne lisent pas un seul livre par an et que le réseau des 503 bibliothèques municipales françaises dignes de ce nom n’a prêté que 13 236 000 livres 64, l’organe représentatif des éditeurs décide de mettre

tout son poids dans ce qu’il va dénommer « la Croisade de la lecture 65 ».

Dans le cadre de l’association LIRE et de cette bataille pour la défense de la culture, un tract massivement distribué évoque les problèmes rencon- trés par la lecture en France, et, particulièrement, les freins apportés à

60 Ibid. et Nicole Robine, Lire des livres en France des années 1930 à 2000, Éditions du Cercle de la librairie, 2000

61 Voir les Archives diplomatiques sur cette Commission nationale du livre français.

62 Histoire des bibliothèques françaises, t. IV, Bernadette Seibel, « Une politique culturelle : la politi- que de lecture au XXe siècle », in Matériaux pour une histoire de la lecture et ses institutions, no 17, 2005,

p. 43-45 et Marine de Lasssale, L’impuissance publique. La politique de la lecture publique, 1945-1993, thèse de doctorat en science politique, université Paris I, 1995.

63 Archives du SNE, rapports d’activité.

64 Nicole Robine, op. cit., p. 115 et 141 pour ces chiffres. 65 Archives du SNE.

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la lecture des enfants. De plus, le SNE a élaboré un dossier remis à tous ceux qui veulent créer une bibliothèque afin de faciliter leurs démarches. Distribué dans toutes les villes de plus de 10 000 habitants, ce matériel de propagande en faveur de la lecture publique n’évoque à aucun moment la possibilité d’un prêt payant pour l’usager, idée hérétique que le SNE et le CNPF auquel il était attaché auraient alors violemment condamnée et combattue si elle avait été émise par un esprit dérangé. Pire, lorsqu’en février 1967, deux députés UNR déposeront un projet de loi tendant à taxer la location des livres dans les cabinets de lecture, le SNE s’y opposera an arguant du faible nombre de ces établissements dans le pays et du carac- tère « nuisible à l’expansion de la lecture » de cette mesure fiscale 66 !

Ayant promu, du 9 au 15 mai 1966 la première Semaine nationale de la lecture et obtenu, en novembre, de Georges Pompidou, Premier ministre, la tenue d’un comité interministériel qui décida la mise à l’étude d’un plan de développement de la lecture, le SNE s’engage, en 1967, dans la Quin- zaine du livre à l’ORTF (Office de radiodiffusion télévision française) et suit attentivement les travaux du comité interministériel qui aboutissent, en février 1968, à inscrire dans le VIe Plan de modernisation et d’équipe-

ment de la France pour les années 1971-1975 les mesures concrètes d’aide à la construction et au développement des bibliothèques municipales 67.

Le Syndicat national des éditeurs a prévu d’organiser sa semaine de pro- motion du 26 février au 3 mars 1968 et il l’a confiée au Centre laïque de lecture publique, persuadé que, sans cette participation volontaire à la campagne de popularisation de la lecture, les intérêts vitaux de ses membres seraient menacés. L’avenir devait lui donner raison puisque le nombre de bibliothèques municipales allait grimper de 503 en 1964 à 716 en 1971 et à 930 en 1980, tandis que le chiffre des volumes empruntés annuellement s’envolait, passant de 16 millions en 1964 à 28 millions en 1971 et 59 millions en 1980 68. D’une certaine manière, les statistiques,

désormais annuelles en ce qui concerne les BCP (bibliothèques centrales de prêt), enregistraient la réussite d’une politique volontariste de lecture publique à laquelle le SNE, comme le PCF ou la SFIO (Section française de l’Internationale ouvrière), l’UNR (Union pour la nouvelle République) et le CNPF (Conseil national du patronat français) avaient participé, ce que, pourtant, la mémoire professionnelle semble avoir aujourd’hui oublié.

66 Ibid.

67 Noë Richter, Introduction à l’histoire de la lecture publique, op. cit., p. 80.

68 Nicole Robine, op. cit., p. 147 et Anne-Marie Bertrand, Les villes et leurs bibliothèques : légitimer et

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