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Par-delà les avancées ou les reculs, les réussites ou les échecs, et quelles que soient par ailleurs les appréciations que l’on peut porter sur les évo- lutions de l’enseignement supérieur depuis la Libération, il ne fait aucun doute que les bibliothèques universitaires ont accompagné l’expansion des établissements, se sont radicalement modernisées, se sont résolument engagées sur la voie de l’accès aux ressources numériques, ont enfin amé- lioré très nettement l’ensemble des services rendus aux usagers. Il est plus difficile en revanche de qualifier précisément le développement opéré. Nous avons vu que du Livre noir des bibliothèques universitaires (1973) au rapport Miquel (1989) en passant par le rapport Vandevoorde (1982), le

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diagnostic porté par les contemporains était sévère. Depuis 1989, trois rapports se sont attachés à dresser un bilan et à évaluer l’effort entrepris.

En 1995-1996, le regard de la commission constituée à l’initiative du Premier ministre et du ministre de l’Éducation nationale et présidée par Roger Fauroux est sans indulgence : « La commission a eu l’occasion de vi-

siter plusieurs universités françaises et étrangères et de constater, sans forcer le trait, l’indigence des bibliothèques universitaires de notre pays. […] Qu’il s’agisse d’acquisitions d’ouvrages, de collections, d’abonnements en cours, d’em- plois affectés en bibliothèques, de salles équipées des nouvelles technologies, de prêt à domicile ou de prêt interbibliothèques, d’horaires d’ouverture, de budget de fonctionnement ou du nombre de places offertes, la France est à la traîne39. »

Et le rapport ajoute : « La remise à niveau est loin d’être accomplie 40. »

En 1998-1999, la commission des Finances du Sénat décidait, à l’ini- tiative de Jean-Philippe Lachenaud, de mener une enquête sur les bi- bliothèques universitaires. Très détaillé, son rapport indiquait que « les

progrès enregistrés […] sont à nuancer : si les bibliothèques universitaires ont engagé un important travail de modernisation, elles ne paraissent pas encore aptes à aborder le XXI e siècle dans les conditions optimales. L’importance des in-

vestissements réalisés […] a permis de combler un retard considérable […]. Les bibliothèques universitaires n’ont pas encore achevé leur modernisation 41. » En

2005 enfin, un rapport de la Cour des comptes consacré aux BU soulignait que si « l’effort consenti [depuis une quinzaine d’années] par la collectivité

nationale a été important 42 », « la France se distingue toujours par la faiblesse

relative des moyens dont disposent ses bibliothèques universitaires 43 ».

Une comparaison avec deux pays européens de niveaux analogues sur les plans démographique, économique et scientifique, le Royaume-Uni et l’Allemagne, confirme ces appréciations. Même si la France est pénalisée par un émiettement excessif de ses structures documentaires qui entraîne une déperdition inévitable de données statistiques, les chiffres attestent d’une inégalité forte et persistante, ainsi qu’en témoigne le tableau por- tant sur l’année 2003 44.

39 Roger Fauroux, Georges Chacornac, Pour l’école, [rapport de la commission présidée par R. F.], Calmann-Lévy, La Documentation française, 1996, p. 131-132.

40 Ibid., p.133.

41 Rapport d’information fait au nom de la commission des Finances […] sur la situation des biblio-

thèques universitaires françaises par M. Jean-Philippe Lachenaud, sénateur, Les rapports du Sénat,

no 59, 1998-1999, p. 34.

42 Cour des comptes, Rapport 2005, Les bibliothèques universitaires, p. 401. 43 Ibid., p. 402.

44 Sources : Allemagne : Deutsche Bibliotheksstatistik ; Royaume-Uni : Library and Information Statis-

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Allemagne Royaume-Uni France

Nb de volumes (monographies) 140 000 000 110 000 000 35 000 000 Nb de communications et prêts 49 5000 000 89 900 000 18 700 000 Dépenses d’acquisitions (en €) 161 600 000 198 600 000 81 800 000

En définitive, si le mot de « misère » était utilisé à juste titre entre 1970 et 1990 pour qualifier la situation, il est équitable, plus de quinze ans après le rapport Miquel et à la suite d’un effort de rattrapage incontesta- ble et d’une réelle mobilisation de tous les acteurs, de parler à propos des bibliothèques universitaires françaises d’un niveau globalement moyen en regard de celui atteint par leurs homologues étrangères. Les situations sont en outre assez disparates sur le territoire en fonction de l’inégalité des richesses bibliographiques accumulées selon les sites et aussi de la di- versité des politiques documentaires des établissements qui n’ont pas tous manifesté les mêmes ambitions, que ce soit en matière de constructions de locaux, d’intégration des bibliothèques des composantes au sein d’un même service, de développement coordonné des ressources sur papier ou électroniques ou de constitution d’un système d’information.

Si le processus engagé va à l’évidence dans la bonne direction, deux facteurs doivent toutefois inciter à la vigilance. Le premier tient à l’aug- mentation constante et importante des coûts, notamment ceux des abon- nements aux revues étrangères et des licences d’accès aux ressources numériques, qui appelle tout à la fois une croissance des budgets, une organisation toujours plus efficace pour la négociation des marchés d’ac- quisitions et, au sein de chaque établissement, une politique de mutuali- sation des crédits. Le second est plus profond : la légitimité de la biblio- thèque au sein de l’université et de la (des) communauté(s) scientifique(s) n’est pas encore véritablement reconnue. Aussi longtemps que la fonction documentaire ne sera pas perçue comme une fonction scientifique à part entière, directement articulée à la formation et à la recherche, nécessitant à ce titre un dialogue organique entre les personnels scientifiques des bi- bliothèques et les enseignants-chercheurs, la situation des bibliothèques universitaires restera incertaine.

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Malgré quarante années d’efforts pour intensifier les politiques publiques de la lecture en France, la question de leur cohérence, de leur lisibilité, de leurs effets reste posée de manière récurrente. Ainsi, certains travaux 1

ont pu considérer que l’offre institutionnelle ministérielle révélerait une véritable « impuissance publique » dont témoigneraient la position, le sta- tut des bibliothécaires et leur rêve « impossible » de faire triompher leur long combat pour l’avènement d’une politique de lecture centrée sur la lecture publique. Cette approche appelle discussions.

Si des politiques de lecture publique ont existé en France, quelle en est la genèse, quelles en sont les caractéristiques, les formes majeures ? Quelle importance accorder au jeu des acteurs, comment l’analyser et l’apprécier ?

Des mesures concrètes, un cadre général, des publics

Il convient tout d’abord de tenter de préciser ce qui caractérise les po- litiques publiques. Classiquement, les politiques publiques se présentent « sous la forme d’un programme d’action gouvernementale dans un secteur de

la société ou un espace géographique 2 ». Elles se manifestent en premier lieu

par un ensemble de mesures concrètes 3 : ainsi, dans le domaine de l’offre

Max Butlen

Institut national de recherche pédagogique

* Mes remerciements à Philippe Marcerou, directeur de la bibliothèque de l’INRP, pour sa relecture et ses propositions.

1 Comme ceux de Marine de Lassalle, L’Impuissance publique. La politique de la lecture publique en

France (1945-1993). Thèse pour le doctorat de science politique, sous la direction de Daniel Gaxie,

Université Paris I. Nous nous appuierons fréquemment sur ce travail tout en en discutant certaines conclusions.

2 Yves Mény, Jean-Claude Thoenig, Politiques publiques, PUF, 1989.

3 Pierre Muller, Les politiques publiques, PUF, (coll. « Que sais-je ? », 5e édition, 2003).

Pierre Muller, Yves Surel, L’analyse des politiques publiques, Montchrestien, 1998.

De la politique de la lecture

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