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Les yeux des poitrinaires veillent trop

Dans le document CONTES Tome II (Page 108-112)

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   d’une bonne nuit, ai-je souvent pré-tendu, et jamais les tristes pensers de la veille ne prévaudront au matin. Qu’on me laisse dormir, ajoutera, moins sentencieu-sement, Joë Folcu, marchand de tabac en feuilles, et, demain, je serai votre homme.

C’est le conseil que nous proposons à ceux qui cherchent l’oubli dans les alcools et le véronal. En présence d’un ennui, Gœthe se mettait au lit et trouvait le sommeil. Chaque jour a sa peine, et elles s’interceptent.

Gare ! donc aux projets nés de la nuit, pendant les sursauts de l’in-somnie. Le subconscient, comme un faux geste, ou un lapsus, n’est pas la science de la sagesse. Que des pas, dans la nuit, vous arrachent au som-meil, remettez plutôt au lendemain, au grand jour, la tâche, sur votre seuil, d’en relever la trace. Le conseil venu d’une ombre, comme elle, manquera

Contes II Chapitre XXV

toujours de consistance.

Pourquoi, en dernière fin de semaine, dans les Laurentides, me suis-je levé en pleine nuit, réveillé par une toux « venue de suis-je ne sais où », quelque part dans l’hôtel ? La veille, les yeux d’une poitrinaire, dont la chambre donnait sur le lac, avaient peut-être justifié mon attitude.

J’avais choisi cet hôtel pour le panorama qu’il m’offrait. Six mon-tagnes bordaient le lac à l’est. On eût dit autant d’estrades occupées par une grande foule de sapins. Et la surface de ce lac jurait par son calme, de même qu’une piste vide, au moment où le spectacle doit commencer. Les arbres s’y agitaient seuls, comme si la brise eût ignoré le lac lui-même.

Ce contraste était aussi symbolisé par l’aspect vieillot de l’hôtel, dans un paysage rajeuni par le feuillage et les pousses neuves d’un début de saison. En fait, l’hôtelier avait toujours négligé de couvrir ses murs de peinture. Quel âge pouvait bien avoir le bois de ces galeries et de la toi-ture ? Ces planches ne venaient sûrement pas d’une région où les arbres étaient plus jeunes qu’elles.

Ces éléments en opposition convenaient au citadin faisant une halte à la campagne, lorsque je m’aventurai vers l’extrémité d’une galerie, au second étage. Une couple de planches, servant de rampe, semblaient at-tendre un coup de vent pour s’abattre. Quel abandon. Aucune vigne, ou concombre grimpant, ne masquait ce désordre.

J’allais renoncer à mon « inspection » de locataire, vers ces lieux dé-serts, lorsqu’au soleil couchant une fenêtre s’était allumée dans cette so-litude. Quel malheureux ou excentrique individu avait bien pu choisir, dans cet hôtel pourtant si peu habité, une chambre donnant sur un tel désordre ? Que n’avait-il choisi, même guidé par un goût d’isolement, un angle plus agréable de la maison ?

La « pensionnaire » de cette chambre n’était autre qu’une malheu-reuse poitrinaire dont la fenêtre, « médicalement », devait donner sur le nord. Dans l’ombre de la galerie, j’avais pu, sans attirer l’attention, plon-ger un regard indiscret par cette fenêtre illuminée.

Alitée, près d’une rampe à abat-jour, une jeune femme, à cette heure paisible, regardait intensément, du fond de sa chambre, les quelques lueurs d’un jour mourant sur le faîte des montagnes.

Ses yeux, surtout, m’avaient impressionné… ses yeux de poitrinaire.

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Avant de m’endormir, ce samedi soir, j’avais dû lutter contre le sou-venir de ces yeux. Ils m’obsédaient, dans l’ombre de ma propre chambre obscurcie à dessein.

Les derniers jours d’un tuberculeux sont généralement « habités » de projets, de rêves nullement en rapport avec une vie sur le déclin. Et les yeux du malade conservent un espoir en opposition avec la réalité.

Ces yeux portent souvent des larmes de joie. Ils sont mouillés d’une eau limpide. Ils brillent « avidement ». Toujours, l’éclat de ces yeux trahit la tuberculose d’un patient dans un sanatorium.

Avant de m’endormir, j’avais mis au point, mentalement, une image littéraire pouvant exprimer l’état pathétique de cette vision.

Les yeux des poitrinaires, me disais-je en monologuant, sont mouillés comme des soleils qui « se lèvent dans l’eau », présage d’une journée rapidement orageuse. Les matins trop clairs ne sont-ils pas des indices de pluie prochaine ?

Dois-je ajouter que la médiocrité de mes comparaisons m’avait en définitive plongé dans le sommeil ?

Quelle heure pouvait-il être, lorsque je fus subitement tiré de cette lé-thargie ? Comme les fenêtres de ma chambre étaient obscurcies, j’ignorais même si le jour était levé.

Une toux atroce, venant de je ne sais où, déchirait le silence de mon réveil.

Mes appréhensions de la veille se trouvaient confirmées. L’aube avait dû poindre et la jeune femme de la galerie déserte, la femme aux yeux intenses, avait sans doute choisi cette heure pour retrouver la vérité de son état. Cette toux de l’aube, l’heure traditionnelle des poitrinaires ayant sonné, allait-elle dégénérer en hémorragie ?

De tels yeux ne devaient pas se fermer sur l’aube. Le dernier crépus-cule avait été trop beau. Je le savais. La veille, j’avais entrevu ces yeux.

D’un bond, je fus hors de ma chambre. Il faisait grand jour dans les corridors déserts. Sur la « galerie de l’abandon », le soleil avait embelli l’aspect vieillot de l’hôtel. Un cadavre de poitrinaire, discrètement enve-loppé, pour éviter un spectacle douloureux aux autres « pensionnaires » de la maison, ne devait pas être emporté dans ce matin resplendissant.

Je me devais d’intervenir, avec mes faibles connaissances en médecine et

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prévenir l’hémorragie…

Gare aux projets nés de la nuit, pendant les sursauts de l’insomnie ! Les appréhensions de la veille ne se doivent pas confirmer dans l’ombre.

Les conseils venus d’une ombre, comme elle, manqueront toujours de consistance.

Sur la galerie de l’hôtel, une toux persistait, il n’en fallait pas dou-ter, mais elle s’éloignait de mon angoisse, plus j’approchais de la fenêtre fatidique.

Sans gêne, j’avais mis la tête dans cette fenêtre pour m’apercevoir que la jeune femme reposait paisiblement. Ses yeux étaient clos… mais ils devaient quand même rêver derrière leurs paupières.

Tranquillisé, je ne fus pas long à reconnaître que la rumeur de cette toux venait, tout simplement, des lames douces du lac se brisant contre les flancs concaves d’un petit quai flottant.

Accordez-moi le sommeil d’une bonne nuit et jamais les tristes pen-sers de la veille ne prévaudront au matin.

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CHAPITRE XXVI

Le collectionneur est-il un

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