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Pour attirer la pluie d’un ciel récalcitrant…

Dans le document CONTES Tome II (Page 75-80)

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’  cantons du lac Saint-Jean et de l’Abitibi, lorsque la sécheresse végétale attisait les feux de brousse et menaçait les colons d’encerclement ; à l’instar des cantons recouverts d’une poussière de cendre, le village de Saint-Ours avait déjà, un jour quel-conque dans le siècle, réclamé du ciel une abondance de pluie.

Sans orage appréciable depuis deux mois, ni ondée bienfaisante le ma-tin, Saint-Ours avait connu le « temps lourd » sans crevaison subite ; le soleil obscurci par des nuées de fumée ; le sol assoiffé buvant les puits ; les ruisseaux transformés en crevasses et des feuilles se cassant aux arbres, comme au lendemain d’une gelée.

Cette fois-là, dans Saint-Ours, les vers gris avaient « coupé » les plants de tomates, et les exhortations en commun, aux croisées des chemins, s’étaient trouvées sans exaucement.

Contes II Chapitre XVII

Un matin, les champs avaient craqué de sécheresse. Tous les oiseaux de la grande forêt, derrière les concessions, avaient tenu conseil en un tournoiement énorme, et une émigration en juin, vers le nord, avait couvert le village d’une ombre momentanée. Les animaux domestiques allaient-ils se joindre au gibier et traverser, ventre à terre, comme cer-tains chevreuils affolés, le parc du kiosque et le champ de courses, à l’est de la paroisse ? Sur les trottoirs peu fréquentés et couverts d’une cendre fine déposée par des écarts du vent, n’avait-on pas découvert des pistes en tout semblables à celles des ours et des loups ?

Ce matin-là, après avoir balayé quelques pistes étranges sur la plate-forme de sa boutique, Joë Folcu, marchand de tabac en feuilles, avait conçu tout un programme de conjurations, et peut-être de sorcellerie, afin d’inviter le firmament à répondre aux exhortations de tout un vil-lage, jusque-là demeurées inutiles.

Coûte que coûte, il fallait en définitive qu’il plût ! Comme maire de son village, allait-il attendre que la disette des pluies ruinât tous les contri-buables ? Son tabac n’était-il pas suffisamment sec ? Le feu des forêts allait-il s’attaquer aux moissons, dans les granges, de l’an dernier ? La veille, la sécheresse avait poussé l’insulte jusqu’à fendre, du haut jusques en bas, le grand mai qu’il avait lui-même, Joë Folcu, transplanté à ses frais dans le parterre de l’hôtel de ville. Le maire et le marchand de tabac en feuilles en avaient assez !

Balai en mains, sur sa plate-forme, et le visage tourné vers le ciel assé-ché, Joë Folcu en avait appelé au soleil, dans un geste profane. Cet astre, d’ailleurs, n’avait même pas déposé une ombre, comme de coutume, à ses pieds.

— J’en ai assez de te regarder comme à travers un verre fumé. Tu vas la cacher ta face anémiée de lune maladive en plein jour. Foi de chiqueur sans crachat, je te promets des nuages pleins de pluie, comme d’énormes vessies, et le ciel pleuvra comme une belle poussée, au lendemain d’un retranchement.

Et quelques jours plus tard, le maire des Saintoursois, prestement en-chaîné dans son collier, avait suggéré, au milieu d’un conseil plénier, des moyens d’extrême urgence capables de conjurer les pluies.

Contes II Chapitre XVII

J’ai retrouvé, dans les procès-verbaux du conseil municipal, et révisés par Joë Folcu lui-même, quelques extraits de ce discours à jamais célèbre, et qui devait influencer, il n’en fallait pas douter, la subite crevaison des nues. En voici, de mémoire, quelques passages significatifs.

« Ces messieurs du conseil apprendront, sans préjugé, que leur Maire a vécu deux semaines dans l’abstinence, avant de lui communiquer les résultats de ses recherches des meilleurs moyens pour conjurer les averses. »

« Quant à mes abstinences, qui invitaient au recueillement initial de ma personne, je dois vous dire qu’en présence des feux, et de leurs me-naces, je me suis retenu de fumer. N’était-ce pas nuire à mon propre commerce ? En tout cas, mes résolutions étaient symboliques dans une époque où la fumée empeste l’atmosphère. Après vingt-quatre heures de pipe éteinte, j’ajouterai que j’eus la faiblesse de mordre dans une tablette de chique. Mon sacrifice n’en a pas été amoindri, et je ne m’exprime pas ainsi à la défaveur de mon tabac à chique. »

« C’est donc à mon état d’abstinence que je dois certaines constata-tions. Incapable de vivre sans pipe à la bouche, et pour ne pas rompre avec mes résolutions, j’ai eu recours à une pipe de plâtre et, comme les enfants, je me suis livré au jeu recueillant des bulles de savon. Grâce à ce retour à l’enfance, j’ai pu constater que l’atmosphère avait perdu toute son humi-dité. Dès qu’une bulle quittait ma pipe, elle éclatait avec un bruit de cristal, un bruit sec. Jamais à ce point Saint-Ours n’avait été déshydraté. »

« N’est-ce pas, messieurs, qu’en présence d’une telle sécheresse at-mosphérique, et de la menace des feux de forêts, il était urgent que nous trouvassions un système curatif ? »

« Si le feu attire le feu, comme un paratonnerre la foudre, il reste que l’eau se doit d’attirer l’eau ou l’humidité nécessaire à précipiter la crevaison du firmament. Je ne peux conseiller à chacun de vous de veiller en groupes sur vos galeries et perrons, les pieds au repos dans une cuvette d’eau ménagère, ni que toute la famille se livre au lavement des pieds avant le coucher. Ne serait-ce pas trop exiger des enfants qui tombent de sommeil dès le crépuscule ? »

« Permettez que je vous offre un succédané. Afin de monter l’humidité

Contes II Chapitre XVII

dans notre atmosphère paroissiale, ne serait-il pas recommandable que chacun de vous remît à quelques jours le « changement » des couches, et leur blanchissage, par conséquent ? Ainsi, toutes les chaises de la maison se trouveront « trempées » et cette humidité bénévole se transportera, sans efforts, grâce aux consentements des plus âgés de la famille, vers les lits, les sofas et les hamacs. »

« J’aurais pu, dans un effort louable d’humectation recommander que nos arrosoirs municipaux arrosassent sans relâche, du matin au soir, et du soir au matin, toutes les rues de la paroisse. Mais il aurait fallu que chacun de vous portât ses claques de caoutchouc en plein été et s’exposât ainsi à s’acheminer pieds nus, l’automne prochain, vers les fontes de l’hiver et du printemps. »

« Pouvais-je trouver mieux en l’occurrence ? Quant au retard à chan-ger les couches des petits, j’invoque à l’appui une loi de la nature qui force l’humanité à se mouiller dès l’enfance. Pourquoi contrarier cette nature au moment où nous la conjurons de bien vouloir mouiller nos campagnes ? » Les archives de Saint-Ours ne nous disent pas si les odeurs ammonia-cales, propres à certaines pouponnières, ont eu raison de l’atmosphère iodée que répandent, sur la campagne, les fumées abusives des incendies de forêts. Toutefois, il reste qu’avant la première averse de rédemption, les soirées ne durent point vibrer sous le croassement des savanes assé-chées, et que la bière, dans les tavernes, ne put sans doute se prévaloir d’une mousse durable. Sous la sécheresse, comment vouliez-vous que les

« beaux collets » des verres de bière eussent pu survivre aux bulles de savon ?

Quelques jours après sa fameuse assemblée du conseil, lorsque Joë Folcu, rencontré par les siens, dut reconnaître que l’application de ses principes hygiéniques n’avait pas apporté une abondance de pluie sur Saint-Ours, il avait eu recours, pour dégager sa responsabilité, à des ex-plications quelque peu douteuses.

— Si votre confiance eût égalé votre naïveté, expliqua-t-il au conseil, vous auriez été, ce soir, en chaloupe dans nos rues.

Et devant les protestations de confiance exprimées par les plus cré-dules, le maire avait eu le dernier mot :

Contes II Chapitre XVII

— Si la confiance eût été votre lot, messieurs, chacun de vous, ce soir, aurait apporté son parapluie et ses claques en venant au conseil.

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CHAPITRE XVIII

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