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Un matou devin sera empaillé

Dans le document CONTES Tome II (Page 25-29)

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 ,  Joë Folcu, admettre le sens divinatoire de certains animaux ; que le rat, devinant un naufrage, puisse quitter un na-vire, la veille du départ ; qu’un cheval, averti d’une débâcle im-minente, refuse d’engager sur la glace ; qu’une sangsue, à fond de cave, remonte à la surface de son bocal, signe indubitable de beau temps.

Toutes ces histoires d’intuition, je veux bien y croire, puisque Joë Folcu s’en porte garant. Mais qu’un chat, si devin ou si bonne mascotte soit-il, puisse localiser la présence d’un sous-marin, à vingt arpents d’un navire, et pousser la gentillesse jusqu’à prévenir le capitaine, voilà qui me surpasse.

Joë Folcu, marchand de tabac en feuilles, ne démord pas de cet exploit.

Il a même acheté le chat en question d’un marin qui rentrait d’un voyage à long cours.

Cette histoire, Joë la tient nécessairement du vendeur de chats. On comprend que l’animal (le chat), ainsi entre les mains du négociant de

ta-Contes II Chapitre V

bac en feuilles, passera à la postérité. N’est-ce pas que la pauvre mascotte finira par être empaillée ?

Avant que d’en arriver à une si illustre fin (l’empaillage du chat), pas-sons la parole à son nouveau maître Joë Folcu. Ce fait « maritime » se doit de nous être connu.

Le chat, avant d’être promu au titre de mascotte à bord d’un vaisseau allié, n’était rien autre, à Saint-Roch, en face de Saint-Ours, qu’un simple mangeur de rats, et de déchets, au besoin.

Pour entrer ainsi dans la célébrité à Saint-Ours, il avait dû, sans doute, passer l’Atlantique au moins deux fois, aller et retour. C’eût été plus simple de traverser le Richelieu, mais la célébrité eût été « en moins ».

Il n’est pas toujours recommandable de prendre le chemin le plus court.

C’est ainsi qu’un chat, destiné à devenir « surchat », fait d’abord mentir les proverbes en vogue sur les rives du Richelieu.

Or, en haute mer, en mascotte qui se distingue, maître-chat couchait dans la cabine du capitaine. C’est du pied de son lit, bien en rond sur un édredon, que les premières manifestations divinatoires se firent sentir.

Par une nuit noire, une nuit de « black-out », où les officiers ne fumaient pas sur le pont, de peur d’attirer l’attention sur la course du vaisseau, le capitaine avait remarqué que sa mascotte ne consentait pas, comme d’habitude, au sommeil.

Que pouvait avoir le « saudit » chat de Saint-Roch à fixer ainsi « le nord » ? Que le vaisseau tournât en tous les sens, car il zigzaguait selon l’usage dans les zones occupées par des sous-marins, l’œil du chat res-tait au nord, comme l’aiguille d’une boussole. Que pouvait-il percevoir à travers les murs de la cabine ?

Intrigué, le capitaine était monté sur le pont. Naturellement, comme toute bonne mascotte, le chat l’avait suivi. Sur le pont de quart, dans la grande obscurité des mers « occupées », rien ne se distinguait que les deux points phosphorescents des yeux du chat. Encore ici, au grand vent, l’œil du félin ne se détachait pas du nord.

Au risque de révéler son passage à l’ennemi, le capitaine, n’en pou-vant plus d’impatience, avait allumé en définitive le plus puissant de ses

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projecteurs et l’avait subitement dirigé vers le nord. Sans être trop en-clin à la superstition, il se devait de libérer sa conscience d’une certaine hantise apportée par le chat.

En fait, il ne s’agissait plus de hantise puisque, dans le rayon du pro-jecteur, sur la mer, venait d’apparaître un canot de sauvetage monté par une dizaine de naufragés.

À l’horizon fouillé par le projecteur, aucun navire en perdition n’ayant été aperçu, ces naufragés devaient sans doute se trouver dans un état de détresse absolue. On en jugeait d’ailleurs par les signaux anxieux lancés du canot.

Le capitaine allait donner l’ordre de mettre à son tour un canot sur les flots lorsqu’un cri aigu se fit entendre à ses pieds. Le chat-mascotte ne se tenait plus de nervosité. Il dansait sur les pattes d’arrière et se vouait à toutes les culbutes, comme s’il eût été pris d’une crise d’épilepsie.

Était-ce une façon inédite d’exprimer sa joie et sa fierté de s’être mon-tré aussi devin ? Comprenait-il que ces naufragés lui devaient la vie ?

Devant une telle manifestation, le capitaine ne s’était pas montré par trop crédule. Jamais un chat, selon sa propre expérience, ne s’était li-vré à un excès de reconnaissance. Les chats sont plutôt égoïstes. Seule la frayeur pouvait le placer en si grande agitation.

Il semble que le capitaine, pour une fois, se soit montré aussi devin que le chat. Comme le canot de sauvetage descendait sur les flots, il avait donné ordre de changer la position du navire. Ainsi, pendant que ses ma-rins se portaient au secours des naufragés, le navire ne s’était pas présenté de flanc aux malheureux. La proue seule du vaisseau était visible de l’em-barcation en détresse.

À peine cette manœuvre était-elle accomplie, qu’un sillage de torpille se traçait du canot au navire sauveteur. Ces naufragés, par leur détresse, et leur solitude, masquaient la présence d’un submersible ennemi.

La torpille ne toucha point le navire. Celui-ci ne lui avait présenté qu’une petite surface. Le capitaine, heureux d’avoir viré, ouvrait à son tour le feu contre le canot des faux naufragés. L’embarcation coula à pic, sous le choc d’un premier obus, tandis qu’un second projectile à éclate-ment tardif s’enfonçait parmi les débris des naufragés (véritables cette fois).

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Le chat devin avait eu raison. Ce canot, monté par des ennemis, ca-chait à dessein le submersible qui auparavant les avait déposés en surface.

Et lorsque le navire allié continua sa course, une tache d’huile était restée sur la mer, seul indice d’un naufrage de sous-marin.

Je veux bien croire, avec Joë Folcu, au sens divinatoire de certains animaux, à celui même des chats devenus mascottes. Mais que celui-là ait pu deviner la présence d’un submersible dissimulé sous le canot, voilà, vous dirai-je encore, qui me surpasse.

Que le chat-mascotte de Joë Folcu soit en outre empaillé, je n’en doute pas. Mais le marchand de tabac en feuilles ne dira jamais que les faux naufragés avaient embarqué, pour le succès de leur entreprise hasardeuse, le chat-mascotte du sous-marin dans leur canot de malheur.

On sait que deux matous ont tendance à se livrer bataille si leur ren-contre est imprévue.

Le chat-mascotte de Joë Folcu avait été plutôt batailleur que devin.

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CHAPITRE VI

Où les barbues mentent autant

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