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Un père Noël pour adultes

Dans le document CONTES Tome II (Page 164-168)

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 ,  les barbes sont grises ; à plus forte raison, celles des pères Noël. Comment vouliez-vous, conséquemment, que Joë Folcu, marchand de tabac en feuilles, pût admettre, en toute bonne foi, que la barbe d’un Santa Claus rencontré, par hasard, la nuit de la Noël, ne fût nullement postiche ? Auriez-vous exigé qu’il tirât dessus ? Avant de conclure à la naïveté de Joë Folcu, mettons un peu d’ordre dans l’exposé des faits attachés à cette étrange aventure dite de Noël.

† †

Lorsque Joë Folcu accepta le rôle d’un père Noël dans la fête organisée pour les enfants du maire de Saint-Ours, ce n’était pas sans une certaine appréhension.

Le futur père Noël disposait bien d’un masque garni d’une belle barbe, d’une tuque à pompon, d’un uniforme à passementerie d’imitation d’her-mine blanche, et de bottes russes semblables à celles du père saint Nicolas.

Contes II Chapitre XXXIX

Toutefois, son dernier maquillage lui avait nui. La petite fille qu’il avait voulu émerveiller n’avait-elle pas failli mourir de peur ? Pouvait-il, en outre, deviner, dans l’encadrement d’une fenêtre, pendant le ré-veillon de la famille, que les yeux creux de son masque puissent mettre la petite en émoi ? La barbe et les hermines blanches de son déguisement n’avaient probablement pas donné le rendement de joie qu’il attendait. Et, d’ailleurs, la petite était cardiaque et la famille l’avait auparavant ignoré.

Or, Joë Folcu s’était juré, cette fois, de remplacer le masque par un ma-quillage approprié. Une belle barbe se détachant sur un teint rose n’allait-elle pas apporter à la famille du maire un air traditionnel de fête ?

Pour les enfants, cette fois, le bonhomme se devait de porter beau.

Comme le veut la légende, Joë Folcu allait faire son entrée après la messe de minuit, vers la fin du réveillon. Le sapin était fixé par la base dans une chaudière à charbon parfaitement dissimulée. Une belle besace de cadeaux sur l’épaule allait sans doute attirer sur Joë l’admiration des pe-tits.

La nuit était belle comme il se doit après de si grands préparatifs.

La messe de l’aurore achevée, à l’heure du réveillon, toutes les maisons du village portaient les reflets de leurs fenêtres allongés sur la neige. On eût dit une nuit de pêche au flambeau, lorsque les feux, au printemps, se tiennent debout dans la rivière.

Au moment de se diriger, travesti en père Noël, vers le bas-côté de la maison du maire, Joë Folcu avait oublié ses mésaventures.

Par une nuit semblable, nuit de belle lune, une lune, pour une fois, qui n’avait pas de coton dans les oreilles, comme dirait René Chopin, des chiens de garde l’avaient déjà confondu avec un vagabond et lui avaient quelque peu mangé la barbe. On comprend qu’à cette époque il portait un masque. Aujourd’hui, dans ses bottes russes et parmi la neige canadienne, ses yeux n’étaient pas creux. Aucun chien ne se serait mépris.

Avec un flacon dans sa poche arrière, et le pied bon, que cette nuit de la Noël était belle ! Dans quelques bancs de neige, car il neigeait tôt à cette époque, des pelles oubliées donnaient l’impression de pattes de chevaux en bois dépassant d’un sac de Santa Claus. Tout concourait à vouloir que ce fût une véritable belle nuit de la Noël.

Contes II Chapitre XXXIX

Dans la cour du maire, entre les bâtiments, Joë Folcu avait différé quelque peu son intrusion de père Noël, afin de goûter davantage son bonheur. C’est alors qu’une ombre s’était avancée de l’une des granges vers le bas-côté de la maison.

Qu’est-ce à dire ? avait murmuré le père Noël factice, en se dissimu-lant derrière une haie de cenelliers, monsieur le maire aurait-il retenu les services d’un autre père Noël ?

Ce premier ressentiment était parfaitement justifié, puisque l’autre portait également une belle barbe de Santa Claus. À contre-jour, la lune en face, Joë Folcu ne pouvait dire si le second père Noël était mieux dé-guisé que lui-même. Toutefois, il ne pouvait y avoir d’erreur et l’autre le concurrençait.

— Drôle d’idée, me disait plus tard Joë Folcu. Le maire voulait-il un père Noël pour la petite et un autre pour grandes personnes ?

— Peut-être votre sosie, lui fis-je remarquer, avait-il été engagé par le maire pour son jour de l’An et qu’il se trompait de date ?

— C’est peut-être moi-même qui me trompai de date, me répondit-il ! Abîmé dans ses conjectures, Joë Folcu était encore derrière sa haie, lorsqu’il constata la subite disparition de l’autre. Avait-il eu la berlue ? Cette ombre sur la neige était bien celle d’un profil garni d’une barbe de Santa Claus. C’est sans doute un père Noël se méprenant de maison au clair de lune, avait-il songé en définitive.

Comme l’autre devait, en ce moment, faire son apparition ailleurs, Joë Folcu s’était décidé à frapper à la porte du bas-côté et à remplir son rôle de père Noël. La petite, une fois couchée, puis la barbe postiche bien roulée dans sa poche, Joë Folcu s’était abstenu de faire allusion à l’autre bonhomme, son concurrent de quelques minutes. Le vin de cerises aidant, il eût été la risée du maire et de ses invités.

Le lendemain, grand brouhaha dans Saint-Ours. Chez le maire, après le réveillon, et chacun dans son lit, bien assoupi par la fête et les ingurgi-tations de vin de cerises, la porte du bas-côté avait été crochetée et l’ar-genterie de la maison, dérobée.

Et Joë Folcu de m’expliquer :

— J’ai déjà été déchiré par des chiens, une nuit où ma barbe fut

confon-Contes II Chapitre XXXIX

due avec celle d’un vagabond. Pour une fois que la barbe du voleur était véritable, si je l’avais su, monsieur, j’eusse mangé mon homme par dépit.

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CHAPITRE XL

Une idée nouvelle pour l’An

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