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CHAPITRE XVIII Chalet à louer

Dans le document CONTES Tome II (Page 80-84)

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’ ’  quarante ans, et que j’eusse passé une nuit dans le chaletÀ l’orée du bois,en face de la montagne, jamais la solitude nordique, et l’ombre d’une montagne, n’avaient occupé, à mon sens, une de mes nuits blanches avec autant d’appréhension morbide.

Habitué, dès l’enfance, à partager les vacances de mon grand-père, dans la solitude d’un camp de bois rond, je pouvais m’offrir, sans transi-tion, ni trop d’impressions pour un tempérament nerveux, la rumeur mé-tallique de la ville et le silence qu’habitaient la gent volatile et ma pression artérielle contre mes tympans.

La chouette, qui chante sans écho et sur quatre horizons simultané-ment, n’avait jamais eu, pour moi, d’autre sens que d’annoncer « du beau temps » pour demain. Le clapotis du lac, sous la chaloupe, m’inspirait au-trefois une image littéraire que je n’ai pas encore utilisée avec avantage : l’eau clapote au rythme des pas de quelqu’un marchant la nuit sur les flots.

Contes II Chapitre XVIII

Avant que j’eusse passé une nuit blanche, dans ce fameux chalet à louer, avec l’ombre de la montagne, toutes les manifestations de la nuit n’étaient que pure matière à la littérature.

Les grenouilles, par exemple, dans les étangs, ronronnaient autrefois pour moi, comme de l’eau qui bout ; le pic-bois, dont le bec « vrillait » une écorce pouvait être confondu avec le grincement d’une porte sur des gonds rouillés ; les aurores boréales et leurs peignes lumineux auguraient une journée de grand vent pour le lendemain ; la lune, qui se levait dans un sapin, surgissait d’une toile d’araignée ; tous les pins, se détachant sur un fond lunaire, éveillaient la piété d’innombrables flèches de cathé-drales. (Des maçons du moyen âge ont quelquefois donné à leurs pierres aériennes des ajours comme en présente, à contre-jour, une branche d’épi-nette.)

Pourquoi, à l’âge de quarante ans, dans ce chalet au cours de mes der-nières vacances, autant d’appréhensions morbides m’avaient-elles assailli de connivence avec les ombres de la montagne ?

Sur la véranda, derrière les moustiquaires, pourquoi, cette unique fois, n’éprouvais-je plus mes impressions toutes littéraires d’antan ?

Un camion lointain, chargé de planches, n’éveillait plus, ce soir-là, sur les routes raboteuses une salve d’applaudissements confiés à l’écho.

J’eusse plutôt convenu de l’écroulement subit d’une charge de billes sur un ponceau sonore. Les ouaouarons ajoutaient à mon angoisse, en pinçant les cordes faussées d’une contrebasse tragique. Les remous de la crique à mes pieds, entre la montagne et le seuil du bois, remuaient d’étranges tonalités dont vibraient les flèches des sapins. Ces arbres, comme des clo-chers, avaient-ils, dans l’ombre, des abat-sons ? Et pourquoi, vers minuit, à l’heure lunaire, la brise transportait-elle, dans l’ombre des sapins nor-diques, les hurlements d’une foule en délire ? Dès que la brise tombait, des pleurs d’adultes occupaient ses intervalles, et des ricanements.

† Quelles appréhensions morbides !…

Cette première nuit de mes vacances avait évoqué, ou invoqué, à l’aide d’attributs pourtant paisibles de la nuit, des temps mal compris.

Contes II Chapitre XVIII

D’où pouvaient bien venir ces grands pleurs lointains d’un martyr et les ricanements attribués par mon esprit déjà apeuré à des bourreaux mal payés ?

De quels souvenirs moyenâgeux la montagne s’était-elle prévalue pour accueillir le repos d’un familier du Grand-Nord moderne ?

L’énigme de cette nuit d’angoisse me fut donnée trop tard, sur la route du retour, le jour suivant, par le facteur de la région, pendant qu’il me conduisait au chemin de fer.

Et voici les propos que me tint le facteur Joë Folcu, marchand à Saint-Ours de tabac en feuilles, de son métier, lorsque son parti politique n’était pas au pouvoir.

— Depuis le début de la saison, j’avais constaté que les locataires de ce chalet n’y passaient guère plus d’une nuit. C’est la semaine dernière, seulement, que j’ai pu constater la raison qui militait en faveur de son manque de popularité. C’est un beau chalet, à l’eau courante, et dont les fenêtres sont garnies de moustiquaires de cuivre. Les beaux sapins qui l’abritent ne manquent pas en nombre et en taille, et la vue sur la mon-tagne porte loin. Mais, voici, qu’au flanc de cette monmon-tagne, et parmi les arbres, se trouve une vieille grange abandonnée. Des cadavres d’animaux, dit-on, furent laissés dans ces ruines, et quelques chats, trop sauvages pour quitter les lieux.

Ces chats, autrefois, avaient rendu service. Dans la plupart des granges et écuries, vous savez, on élève des chats pour détruire la vermine, sur-tout la vermine avide de grains et même des bestiaux qu’ils dévorent sur-tout vivants. Ces chats, monsieur, après un certain temps, se sont multipliés.

Ils sont, aujourd’hui, des centaines, croit-on, et qui s’entre-dévorent, la nuit, faute de grains et autres provisions. La nuit, dans les montagnes, l’humidité est plus intense qu’ailleurs, et l’écho, de même.

C’est ici que Joë Folcu cracha de côté et raidit quelque peu les guidons de sa monture pour me dire tout simplement :

— Hier soir, pendant l’orgie des chats affamés, la brise a dû donner de votre côté.

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CHAPITRE XIX

Le vent n’aime pas qu’on le

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