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La maison qui meurt d’ennui

Dans le document CONTES Tome II (Page 197-200)

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   village ont une physionomie qu’elles n’em-pruntent pas à la rue, ni au paysage. Leur caractère est immuable.

Le soleil ne s’attarde pas sur leur seuil et la galerie y est toujours humide, comme du bois frais ou pourri. Jamais la lune, dans les fenêtres, ne fera trembloter ici une source de lumière parmi le feuillage. Ces mai-sons ne vivent pas et même les cris d’enfants qui s’en échappent semblent venir du voisinage.

J’ai vu des maisons habitées sur un coteau, mais dont une seule fenêtre bâillait au bas-côté. Ces maisons ne voyaient que de profil, comme les oiseaux ou les lièvres.

Certaines maisons s’ennuient à mourir. J’en ai connu une qui en est morte… celle du vieux Cormier, à Saint-Ours, au bout d’une rue inache-vée. Les deux demoiselles Cormier l’ont quittée à temps, après la mort de leur père. Elles avaient risqué de le suivre de près.

Contes II Chapitre XLVII

Le père Cormier, avant son mariage, craignait l’ennui et les femmes.

C’était, de plus, un timide. Pourtant, il convola dès que l’ennui eut raison de sa solitude. C’est à ce moment qu’il vint habiter la maison du bout de la rue. Son épouse la lui avait apportée en mariage. Ne se débarrasse pas qui veut de l’ennui…

Lorsque les deux demoiselles Cormier, des jumelles, vinrent au monde, le père s’était écrié :

— Au moins, la mère aura de quoi s’occuper et les enfants, entre eux, de quoi se distraire !

Madame Cormier est morte. Les jumelles se sont ennuyées à deux. Et le père s’est ennuyé seul, avant que les enfants atteignissent l’âge où l’on s’ennuie.

La maison, qui avait attiré l’ennui, était immuable de caractère, comme une de celles que nous avons décrites au début de ces propos.

Sa victoire ne devait pas la dérider. Jamais la lune, même dans son plein, ne fit surgir des sources de ciel dans ses fenêtres. La galerie ne s’est pas asséchée, et pour une double cause, tant que les jumelles portèrent des couches.

Lorsque les jumelles Cormier, après vingt-cinq années de célibat, son-gèrent à réagir contre l’ennui, l’expérience malheureuse de leur père ne devait pas les induire à la moindre idée du mariage.

Disons aussi, comme Joë Folcu, marchand de tabac en feuilles, de qui je tiens ce triste récit, que la maison se prêtait mal aux fréquentations, si désintéressées fussent-elles.

Les deux vieilles filles s’étaient donc pourvues d’un chien et d’un chat.

La maison ne devait pas céder son ennui pour si peu. Les gambades du colley sur la galerie ne la firent pas sourire, au bout de la rue, pas plus que les cris des enfants, au début, n’avaient aigri son ennui. Les siestes du chat noir dans ses fenêtres, même si les yeux jaunes de celui-ci eussent évoqué la présence d’un hibou aveugle, ne donnèrent pas à ses combles l’aspect d’un décor de Grand Guignol.

Toutefois, les Cormier avaient eu de quoi se distraire quelque peu et, sans une mauvaise interprétation qu’elles se firent subitement de la gaieté, toute nouvelle pour les deux demoiselles, et attribuable à leur

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manque d’entraînement, l’ennui ne serait peut-être jamais revenu dans leur cœur.

Mais voilà, le père Cormier venait de mourir, et le colley l’avait suivi de près.

Qu’est-ce, en somme, direz-vous, que cette fausse interprétation de toute nouvelle gaieté dans la maison ? Laissons Joë Folcu s’expliquer.

La mort du père Cormier, d’une part, n’eut rien de réjouissant pour les deux orphelines, ni celle, d’autre part, du chien, une fois leur chagrin atténué par le temps, comme il se doit.

Plus de gambades sur la galerie, à l’heure de la sieste, et dans la cuisine, pendant les repas, comment vouliez-vous que le chat et ses airs méditatifs pussent remplacer, auprès des demoiselles, les jappements du colley ?

La maison, incapable pour l’instant de reprendre son empire d’ennui, avait confié une mission au chat.

Le chat noir et ses yeux jaunes, gravés d’une pupille verticale, ne broyait pas que du sombre, comme un hibou perché sur un dossier de chaise. Mais la pensée, dans une maison de vieille fille, qui se passe d’ex-pression bruyante, ne pouvait se prêter à autre chose qu’à l’ennui né un jour de l’immobilité.

Pour mieux faire comprendre à quel point un chat peut stigmatiser l’ennui d’une maison, et au-delà de toute réaction, même si les occupants ont raison de leur hérédité, Joë Folcu décrira de nouveau un chat noir symbolisant l’ennui.

Les yeux d’un chat noir, avec leur pupille aussi étroite qu’une porte ouverte à peine d’une ligne, évoquent naturellement ou mirent l’ennui d’une maison où rien de nouveau ne survient et qui ne dissimule au-cun mystère, même si les portes laissent passer le jour, ou l’ombre d’une chambre close.

Ces demoiselles avaient mal interprété le message de bonheur qu’ap-portait maître félin, et la maison y avait compté. Ce message d’un bonheur de tout repos était celui qu’éprouvent les êtres vivant loin des imprévus.

Heureuse la maison et heureux le chat qui n’ont pas d’histoire, au-raient dû comprendre les demoiselles.

Contes II Chapitre XLVII

Le jour où les demoiselles Cormier se mirent en route pour l’hospice, le chat dans un panier, porté au bras, l’animal leur avait faussé compagnie, comme elles le libéraient dans le train, au moment du départ ultime.

Un chat s’attache mieux à une maison qu’à sa maîtresse.

La maison du bout de la rue tombe aujourd’hui en mines. Les descen-dants du chat noir y vivent encore à l’état sauvage.

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