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Ne pas confondre poignée de main avec shake-hand

Dans le document CONTES Tome II (Page 120-124)

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 A,  que de parler « affaires », et après l’entretien, s’échangent des poignées de main. En Amérique, on se la se-coue, à moins que la sincérité dushake-handne vous l’arrache.

Entre Français qui se tendent la main, seuls les doigts se touchent, par-dessus la table, au restaurant ou à l’atelier.

Les Saintoursois, ceux qui arrivent en ligne droite du régiment de Ca-rignan, se flanquent habituellement une tape dans le dos. C’est plus viril et, entre femmes, ça rappelle, en tout point (sans jeu de mots), les époques bienheureuses de la colonisation et le voisinage des Hurons.

Cette coutume ancestrale, on le comprend, retarde l’intrusion, dans les cercles de fermières, du décolletage dans le dos.

Et Joë Folcu, marchand de tabac en feuilles, de remarquer combien certaines modes vestimentaires ne sont pas toujours d’accord avec les

Contes II Chapitre XXVIII

coutumes et les mœurs.

— Au temps des Hurons, nos grand-mères se laçaient le corset haut dans le dos. On pouvait donc se « faire la main » sans inconvénient.

Aujourd’hui, nous rappellerons, avec le marchand de tabac en feuilles, que le droit des répliques est encore accordé aux femmes ; celles en par-ticulier qui auraient à se plaindre d’un accueil par trop franchement ap-pliqué du plat de la main.

Que de Saintoursois, de fait, ne doivent-ils pas à une paume féminine, bien appliquée entre les omoplates, et en matière de protocole mondain, par jour de semaine, d’avoir subrepticement avalé leur chique ?

Ce que les femmes peuvent être méchantes !

Je ne saurais passer à un autre ordre d’idées sans payer un tribut d’ad-miration à l’attitude d’une femme de nos jours qui avait reçu, en plein Parlement, pendant un bal, le bal des femmes de ministres, je crois, un témoignage d’expansion par trop paysan d’un député.

Je tiens cet inédit du même Joë Folcu, marchand de tabac en feuilles, qui avait été, pour la durée d’une session, à Ottawa, garçon d’ascenseur.

Ce poste privilégié, accordé quelquefois aux dévoués de la politique, en temps électoral seulement, avait donc permis au nouvel employé session-nel d’être le témoin muet de cette scène.

Or, le député en question, représentant du comté où la marée du Saint-Laurent commence à se faire sentir, non loin de Trois-Rivières, s’était

« rencontré » dans l’ascenseur avec une invitée portant bas l’échancrure arrière.

Tout ragaillardi par une récente tournée dehustings,le législateur, et par surcroît adepte des traditions « canayennes », s’était autorisé, à cause probablement de son indemnité parlementaire, à « saluer » madame d’une main morte appliquée sans méchanceté, mais avec vigueur, sur son dos autant dodu que découvert.

Joë m’assure que l’invitée d’honneur au bal ministériel ne releva point tout de suite ce manque de civilité. Toutefois, avait-il constaté, son sourire de parade s’était évanoui plus rapidement que la trace, dans son dos, de la main protocolaire.

Aujourd’hui, le député est mort de sa belle mort. Mais il n’est pas mort sénateur. Son ascension à la Chambre haute, affirme-t-on, lui avait

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été refusée à cause de l’intervention de la belle invitée auprès d’un proche parent, membre à cette époque du cabinet de Sa Majesté. On peut venir de l’Ouest, n’est-ce pas, et ne point s’adapter aux us et coutumes du bord de l’eau.

Cette « taloche », grâce à la discrétion des chroniqueurs parlemen-taires, n’est pas destinée, si politique fût-elle, à survivre dans l’histoire.

Joë Folcu, simple employé civil, n’avait pas autorité à se faire entendre par delà une session. Tant mieux pour la petite histoire à Ottawa. Ou-blions cet incident.

Celui qui va suivre, et qui a trait au fameuxshake-handaméricain, n’est pas raconté ici comme « faisant pendant », et par simple opposition, aux anecdotes canadiennes. Puisque nous « tapons » dans le dos, nous ne pouvons en vouloir aux Étatsuniens d’avoir la poigne trop solide. À chacun son enthousiasme et ses façons de l’exprimer.

Mais nous ne pouvons terminer ce récit sans que leshakehandde nos voisins, rappelé au début de ces propos, ne fût pas illustré, tout comme la tape « canayenne ». Entre touristes, pendant les vacances, échangeons des histoires vraies.

Celle-ci, nous la tenons de mademoiselle Ève Curie, fille de madame Marie Curie, le découvreur, avec son époux Pierre, du radium et de ses effets thérapeutiques sur le cancer.

Dans la biographie de la récipiendaire, par deux fois, du prix Nobel, Ève nous raconte, et nullement par dépit pour les Américains (elle habite d’ailleurs chez nos voisins en ce moment), un fait bien caractéristique de l’enthousiasme américain.

Lorsque le président Harding offrit à madame Curie un gramme de radium (100 000 dollars à cette époque) il avait fallu à la chimiste qu’elle se rendît elle-même à la Maison-Blanche pour y recevoir les fameux tubes, don d’une souscription des États-Unis « à la bienfaitrice de l’humanité », disaient d’elle, en manchettes, les journaux.

Après avoir reçu l’exceptionnelle « franchise de la cité de New York », madame Curie avait cru sa dernière heure arrivée, tant l’enthousiasme américain s’était par trop exprimé.

Ève nous dit qu’aux cérémonies du lendemain et du surlendemain, où cinq cent soixante-treize représentants des sociétés scientifiques

s’assem-Contes II Chapitre XXVIII

blèrent au Waldorf Astoria pour la fêter, Marie, déjà, vacillait de fatigue.

Entre la foule robuste, bruyante, et une femme frêle qui vient de quitter une vie de couvent, la lutte était inégale. Marie fut étourdie par le vacarme et les acclamations. Les innombrables regards sur elle l’épouvantaient, et aussi la violence avec laquelle le public se bouscula sur son passage. Elle craignit vaguement d’être broyée dans ce terrible remous. « Une fana-tique lui meurtrira bientôt la main par unshake-handtrop exalté, et la sa-vante devra achever le voyage avec un poignet foulé et le bras en écharpe – en blessée de la gloire¹. »

Inutile d’ajouter que, pour sauvegarder la vie de la « savante visi-teuse », mademoiselle Ève Curie, de connivence avec les organisateurs duspectacular trip,dut, en plusieurs occasions, se substituer à sa mère et grâce à un maquillage savant, recevoir des milliers de poignées de main qui eussent, probablement, « achevé » Marie Curie.

Joë Folcu, à son tour impressionné par cet authentique récit, va-t-il proposer ici aux organisateurs des fêtes du troisième centenaire de Mont-réal d’interdire le décolletage « arrière » dans certains bals où le choix des invités serait, quelquefois, négligé ?

n

1. Marie Curie, N.R.F., Paris.

CHAPITRE XXIX

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