• Aucun résultat trouvé

Le vent n’aime pas qu’on le malmène

Dans le document CONTES Tome II (Page 84-88)

— Il y a des vents de face qui n’entendent pas que l’on vocière à leur endroit. Les jurons, ils vous les retournent en plein visage et même vous les « rentrent » en pleine bouche. Pour les surmonter, il faut se courber, sur la route, en signe de respect, ou leur tourner le dos, signe d’abandon.

Ce sont de grands courants qu’il faut prendre de front et nullement de biais. Ils sont entiers et recommandent la franchise en matière de ma-nœuvre.

Joë Folcu, marchand de tabac en feuilles, qui tient ces propos, fait sans doute allusion au noroît ; ces vents en rafales qui vous ébranlent un bour-don jusqu’à lui faire sonner le premier « coup » d’un glas (signe de mor-talité dans la famille du bedeau) ou qui « balancent » les enseignes d’un village jusqu’à faire grincer tous les dentiers, dans le verre du dormeur, sur la table de nuit.

Contes II Chapitre XIX

Dans son échoppe, le marchand de tabac en feuilles, ne parle du grand vent qu’avec onction. Il faut en juger par le choix de ses termes, lui qui, habituellement, ne se mouche pas, chaque fois qu’il va se prononcer.

On comprend que les atmosphères en furie ne lui soient pas toujours hostiles. Toutes les pipes de ses clients ne sont pas garnies d’un couvercle, et, sous les températures agitées, le tabac bien attisé brûle « tout seul ». On sait aussi que les allumettes, dans la saison des grands vents, « fondent » avec rapidité. L’homme qui marche dans le vent, comme celui qui veille, près d’un feu d’érable, n’est-il pas constamment assoiffé ? Mais oui, mes-sieurs, le vent invite à chiquer et toutes les conséquences ne peuvent nuire à Joë Folcu, marchand de tabac en feuilles.

Disons, pour compléter ce commentaire sur le tabac en « compressé », qu’il n’est pas recommandable de cracher dans le vent. De profil, ça s’ef-filoche… de front, ça « tapisse »…

Joë nous a promis une histoire tragique, attribuable au vent. Il y sera question, dit-il, d’une girouette qui s’essayait à tromper les vents. Mais il était nécessaire, auparavant, qu’il fît montre de ses connaissances, en fait de vents.

Selon le narrateur, derrière son comptoir, nous devons au vent l’adap-tation, par tous les pays, des modes uniformes de la coiffure et des an-ciennes coupes de la barbe et de la moustache.

— Pourquoi, précise-t-il, portons-nous une raie, dans les cheveux, ligne de séparation qui s’ouvre du milieu du front jusqu’à l’occiput ? C’est le vent, messieurs, le vent de front, qui séparait ainsi, autrefois, la che-velure en deux parties égales, inspirant alors la mode des têtes fendues symétriquement.

Joë Folcu donne un sens divinatoire à la raie, dite du milieu. Ceux-là, qui s’y conforment de nature, font preuve d’un caractère franc et de courage, d’intrépidité même. En regard du vent, comme de la vie, ils se présenteront de face. Leur chevelure ouverte en deux en fait foi.

Dirons-nous, pour faire suite aux données « chiromanciennes » du marchand de tabac en feuilles que la chevelure séparée de côté ou au-dessus de l’œil indiquerait un caractère fuyant, propre seulement aux in-dividus se présentant de profil à la brise ? Quant aux têtes lisses, feront-elles illusion d’indifférence, ou consentiront-feront-elles de nature à tout

com-Contes II Chapitre XIX

promis ? Et la coupe, surnommée brosse, celle des cheveux courts qui se tiennent debout, qu’en ferons-nous ?

Appartient-elle à ceux qui manifestent, inconsciemment, un désir bien arrêté de marcher la tête en bas, autrement dit, marcher au plafond comme certaines personnes pleines de « pep » ?

Si le port de la barbe et de la moustache fut inspiré par des réactions, en présence du vent, avec les conclusions que l’on sait des chevelures, prêterons-nous aux barbiches, à deux pointes, le même caractère impu-table aux rayés par le centre ? Que dirons-nous alors des moustaches qui ont en poils la seule dimension d’un doigt posé en travers sous le nez.

Un doigt appuyé, debout, contre les lèvres, n’est-il pas une invitation à la discrétion ? À quel vent appartient donc la moustache embroussaillée ?

Je commence, maintenant, à comprendre la préférence qu’affichent certains grands diplomates pour la calvitie et les faces rasées de près. Les vents internationaux les plaçaient trop à la merci des journalistes quelque peu physionomistes.

Joë Folcu, marchand de tabac en feuilles, que son entretien, sur les vents, avait emporté vers des considérations élargies, eut, en définitive, pitié de ses auditeurs en revenant à sa promesse d’une histoire tragique, imputable aux vents.

Au carrefour des grandes maisons commerciales d’un petit village, dit-il, un certain Arthur Paiement, inventeur de naissance, avait garni, sur le toit de son magasin, sa girouette ancestrale, d’une hélice énorme d’avion.

Maintenant que le ciel s’offrait à de nombreux parcours de services aériens, ça faisait, avait-il pensé, plus moderne et plus utile. Les aviateurs, devenus familiers avec cette girouette, n’allaient-ils pas s’habituer à la consulter sur la direction des vents ?

Arthur Paiement n’avait pas que des visées aériennes. Avide, en somme, de se consacrer à la politique municipale, cette hélice n’allait-elle pas mettre son village en vedette parmi les compagnies, les services aé-ronautiques fédéraux et les voyageurs de l’air ? Sait-on jamais si, grâce à cette simple girouette, certains cultivateurs n’eussent pas, un jour, à sou-missionner quant au choix d’un terrain propice à l’aménagement d’un aérodrome ? Ne suffisait-il pas d’y avoir pensé ? Et Arthur Paiement,

né-Contes II Chapitre XIX

gociant en « liqueurs douces », faisait le rêve éveillé que l’on baptisait le futur aérodrome de son propre nom de famille. Qui oserait, alors, lui disputer ses réélections à la mairie ?

Le vent, de poursuivre Joë Folcu, peut favoriser de belles destinées. Il suffit, comme la girouette, de lui obéir.

Toutefois, que seraient devenus les avions, s’ils eussent écouté les conseils de cette girouette ? Car le vent de cette vallée, conduit par une brèche immense creusée entre deux montagnes, à trois milles du village, soufflait souvent du noroît, tandis que plus haut, dans le domaine aérien, il passait en rafales de l’est à l’ouest. Arthur Paiement ignorait, tout in-venteur qu’il fût, combien les aspérités de la région pouvaient changer le cours des vents.

En fait, trompés une fois par cette girouette, les pilotes avaient pris l’habitude de passer plus au nord. L’inventeur, toujours sans comprendre, s’en désolait.

Comme les vents sont variables et capricieux ! Après avoir brisé la carrière politique d’Arthur Paiement, ils devaient réclamer sa propre vie.

Debout sur le toit de son magasin, sa plate-forme d’observation et d’expérience, l’inventeur, un jour qu’il maudissait les pilotes d’avoir né-gligé son village, ne s’était pas rendu compte que les vents puissent réagir contre ses vociférations et changer subitement de cours.

Méchamment, et pour se venger, dira Joë Folcu, la brise avait, sans crier gare, changé la position de la girouette et l’hélice, décapité d’un seul coup l’inventeur mécontent.

Les vents n’aiment pas la contrainte et que l’on change leur cours. Ici, ils s’étaient vengés de la vallée.

n

CHAPITRE XX

Dans le document CONTES Tome II (Page 84-88)

Documents relatifs