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a-vache-qué !

Dans le document CONTES Tome II (Page 132-136)

ia-quia-quia !

L

’   l’oreille d’une vache, aussi bien que dans la mienne, cet appel a toute la valeur d’un menu. Pour la vache, si peu laitière soit-elle, c’est l’heure de la traite. Pour le jeune barbouillé que j’étais à Saint-Ours, cet appel lancé à pleine gueule et à travers champs sonnait l’heure du souper. Et je m’en réjouissais autant que les vaches.

Qua-vache-qué ! Quia-quia-quia ! Voilà enfin du folklore d’inspiration

« canayenne » et qui ne provient pas de la vieille Normandie. Il était de notre ressort que nous fussions entendus de nos vaches, et de nos en-fants, à l’heure de la bavette. Cette langue ne remonte plus au-delà de Jacques Cartier. C’est un mot de passe entre fermiers et bestiaux pure-ment « canayens » et, si je l’évoque aujourd’hui, n’éveille-t-il pas mon sens poétique ?

Contes II Chapitre XXXI

Je ne sache pas d’anciens Saintoursois « urbanisés » qui entendraient un jour, par le téléphone, susurrer cette formule, sans que leurs oreilles s’emplissent du chant des chaudières vides balancées à bout de bras, et des meuglements familiers.

Qua-vache-qué ! est une amplification du mot « quérir » et dont nos vachers ne sauraient se passer « quand ils vont aux vaches », à l’heure de la traite. Un troupeau étranger, ainsi commandé, continuerait, sans contredit, de paître, comme s’il se fût agi d’Algonquin.

Notre langue, souvent, porte à confusion. Il n’en faut pas moins per-sévérer. Et l’aventure survenue à René Doumic, lorsqu’il visitait notre province, pendant les fêtes du troisième centenaire de Québec, illustre, on ne peut mieux, cette confusion.

Le secrétaire perpétuel, à cette époque, de l’Académie française, était arrivé de nuit à Québec. Par faveur spéciale, il était descendu du paquebot avant que celui-ci accostât. Et c’est ainsi que M. Doumic, en pleine nuit, était conduit à une chambre qu’on lui avait réservée dans un collège de la vieille capitale.

Notre distingué visiteur s’était promis de porter une attention toute spéciale à notre beau parler français, langue archaïque, lui avait-on expli-qué.

Le lendemain au moment du réveil, M. Doumic en avait eu pour sa curiosité de savant linguiste. Un groupe de collégiens, ce matin-là, prenait ses ébats dans la cour de récréation, en pratiquant ce jeu bien canadien surnommé communément la « tague ». Une rumeur de jeu avait atteint l’oreille du savant.

Enfin l’académicien allait assister à une démonstration improvisée de la survivance française au Canada.

M. Doumic s’y connaissait en linguistique française, mais jamais il ne put, cette fois, y accorder un sens.

— Y t’a t’y ? hurlait un groupe des collégiens.

— Y t’a ! répliquait le groupe adverse.

Et le groupe des spectateurs de répondre, toujours en chœur :

— Y t’a pas ! Y t’a pas ! Y t’a pas…

Contes II Chapitre XXXI

René Doumic, quelques heures plus tard, racontait cette aventure à des journalistes et expliquait sa stupeur d’avoir été réveillé par une consultation exprimée en algonquin.

Selon Joë Folcu, marchand de tabac en feuilles, les expressions « ca-nayennes », abstention faite, suggère-t-il, des survivances algonquines, devraient être à la portée de tous les sujets canadiens de langue fran-çaise. Tout le monde n’est pas appelé à quérir les vaches, mais l’on peut connaître la nomenclature d’un métier, ou d’une profession, sans pour cela le pratiquer. Voilà comment il faut comprendre l’instruction généra-lisée.

Or, toujours selon Joë Folcu, cette linguistique, afin qu’elle se vulga-rise, ne devrait pas s’adresser qu’aux bestiaux. Et c’est ici que le marchand de tabac en feuilles préconise l’utilisation des haut-parleurs.

— Plutôt, explique-t-il, que d’envoyer la jeunesse aux vaches, à l’heure de la traite, pourquoi des amplificateurs de la radio ne seraient-ils pas installés à l’orée des bois et des champs de pâturage ? Notre langue ca-nadianisée serait ainsi à la portée de tous les bons « Canayens » et des touristes voulant se familiariser avec le pays qu’ils visitent.

Le problème de la diffusion des langues autochtones, ainsi résolu par la radiodiffusion, s’applique de même à celui de l’assiduité à l’école.

— Que d’enfants, dit-il encore, se voient privés d’instruction, dans les familles adonnées aux rendements laitiers des vaches ? Lorsque les trou-peaux paissent loin de la laiterie, l’adolescent doit quitter la classe au début de l’après-midi afin de les quérir à temps pour l’heure de la traite.

Les vaches de chez nous doivent-elles prendre le pas sur l’instruction pu-blique ? Appelez vos vaches au micro, mes chers concitoyens, et laissez vos enfants à l’école.

Le cri national de « Qua-vache-qué ! » poussé à pleine « gueule » par-dessus les clôtures, et par temps humide, n’est-il pas aussi préjudiciable à nos enfants doués d’une belle voix ? La cacophonie de cet appel n’a rien de recommandable pour nos futurs ténors.

Voilà un autre aspect de la question négligé par Joë Folcu dans les allégués de sa requête.

Que de grands artistes furent abîmés par les vaches ! On peut

ai-Contes II Chapitre XXXI

mer la littérature régionale sans jeter aux vaches nos meilleurs choristes.

Puisque les conférenciers de nos déjeuners-causeries, dans les hôtels des villes, consentent à l’amplification de leur voix, à l’aide du microphone et des haut-parleurs, pourquoi n’en serait-il pas de même pour les vachers à l’égard de leur public en pâturage ?

Et, d’ailleurs, Joë Folcu, marchand de tabac en feuilles, m’accordera que les troupeaux ont droit aux bénéfices de la science. Leurs trayons en captivité dans les trayeuses mécaniques, à l’heure moderne de la traite, ces chères vaches s’objecteront-elles à ce que les vachers, auparavant, élèvent le ton de l’appel ?

Devenue auditrice, la vache est justifiable d’exiger plus de clarté dans l’exposé des discours.

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