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La question du diagnostic occupe une place très importante dans la littérature médicale, notamment dans les ouvrages d’obstétrique de l’époque moderne. La partie sur la grossesse est souvent assez réduite, mais une bonne part de celle-ci est occupée par le diagnostic. Les articles de dictionnaires commencent toujours par cela. Dans les traités des accouchements, c’est la partie qui suit la présentation des organes de la reproduction et les théories de la génération. L’intérêt porté par les médecins aux signes de grossesse et la multiplication de ceux-ci dans les ouvrages médicaux attestent de l’emprise croissante du corps médical sur la santé des femmes et ce qui touche à la naissance323

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315 Dans sa volonté d’être exhaustif, Murat distingue : les grossesses apparentes formées par une môle, celles formées par des hydatides, une tympanite utérine, l’hydropisie utérine, mais aussi les grossesses apparentes formées par du sang, un polype, un engorgement ou tumeur fibreuse, une hydropisie des trompe sous des ovaires, un état maladif des organes abdominaux, et les grossesses apparentes d’origine nerveuses, Murat, « Grossesse », Dictionnaire des sciences médicales, Paris, Panckoucke, t. 19, 1817, pp. 413-424.

316 Dans la thèse de Creissel en 1803, la question des faux germes et de la môle est aussi évoquée, mais brièvement. Les autres thèses postérieures sur le diagnostic en parlent rarement ; Creissel (Jean-François), Essai

médical sur les signes de la grossesse…, op. cit., An XII.

317 Pinard (Auguste), « Grossesse. Physiologie », Dictionnaire encyclopédique des sciences médiales, dir. par A. Dechambre, 1886, t. 11, série 4, p. 15.

318 Casassus (J.-B.), Des signes de la grossesse…, op.cit., 1860, Chap. II.

319 Un très long article est consacré par Pinard à cette question dans le dictionnaire Dechambre. Voir le chapitre IV.

320 Lisfranc (Jacques), Les maladies de l’utérus, Paris, Germer Baillière, 1836.

321 Bouchacourt rapporte les étapes du débat sur cette question : « Quant à la nature de la môle hydatiforme, après Percy (1811) qui voulait en faire une véritable hydatide, nous voyons Cayla affirmer qu’elle est une hydropisie des villosités choriales, puis Virchow la considérer comme un myome de ces mêmes villosités », Bouchacourt (Léon), Le diagnostic de la grossesse, op. cit., 1906, Chap. X, « Diagnostic des grossesses molaires ».

322 L’histoire du diagnostic de grossesse n’est pas facile à étudier car cette question interfère avec de nombreux sujets comme la durée de la grossesse, la perception des mouvements fœtaux, le déni de grossesse, etc. Tous ces points ne pouvant être étudiés de front, nous avons choisi de les étudier de manière distincte en nous efforçant de tisser des liens entre eux, tout en étant consciente de l’aspect artificiel de cette manière de procéder.

323 Voir dans les annexes, la grille type utilisée pour comparer l’étude du diagnostic de grossesse, selon les ouvrages médicaux (p. 1083). Nous avons relevé plus de 90 signes différents dans la littérature médicale.

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Les médecins cherchent à convaincre de leur légitimité et tentent de persuader l’opinion qu’ils sont les seuls à pouvoir établir un diagnostic fiable. Mauriceau indique déjà au XVIIème qu’« il n’y a aussi que les chirurgiens experts qui puissent donner des assurances bien certaines de la conception de la femme dès son commencement »324. Rares sont ceux qui reconnaissent lucidement, comme Roussel, que les tentatives de recherche des signes de grossesse avant trois ou quatre mois sont illusoires. Celui-ci préconise d’ailleurs d’« attendre tranquillement que les signes naturels annonçassent eux-mêmes la grossesse »325 et que « les femmes peuvent elles-mêmes mieux que personne connaître si elles sont enceintes »326. La plupart des médecins s’attachent au contraire à multiplier les signes de reconnaissance et les moyens d’investigation pour retirer aux femmes le privilège de « savoir ».

Les signes immédiats de la conception

Il existe différents « tests » de grossesse, souvent très anciens, rapportés par certains médecins depuis la Renaissance. Cependant, les accoucheurs de la fin du XVIIème et du XVIIIème siècles leur accordent peu de crédit, la plupart ne les mentionnent même pas327 ; beaucoup de ces procédés semblent relever plutôt de pratiques populaires328. Plutôt que par des expériences incertaines, les médecins cherchent à repérer eux-mêmes les signes de ce bouleversement dans le corps de la femme. Du XVIIème jusqu’au début du XIXème siècle, ils distinguent chronologiquement l’apparition de différents signes de la grossesse. Certains les font même démarrer « avant l’action » du coït et renvoient en fait aux signes de fécondité329. Ainsi Creissel rapporte en 1803, dans sa thèse, le classement conseillé par J.-F. Séneaux :

[Il] prétend que ces signes doivent être rangés sous quatre classes différentes. Que ceux de la première classe doivent être tirés de tous les phénomènes qui précèdent le coït, et que l’on doit les prendre sur l’état actuel des deux époux. Que la seconde classe doit fournir tout ce qui accompagne cet acte. Que la troisième classe se tire des signes survenus immédiatement après l’action. Et que la quatrième classe des signes doit être prise généralement de tout ce qui survient quelques temps après la cohabitation ; c’est-à dire, de tous les phénomènes qui ont lieu depuis les premiers jours de l’imprégnation, jusque vers le quatrième ou cinquième mois de la grossesse, époque à laquelle les signes sensibles sont dans l’usage de se manifester330. La plupart des praticiens distingue les signes immédiats de la conception. Les médecins ont en effet cherché depuis l’Antiquité à repérer un coït fertile : il leur semble impensable que les conjoints ne se rendent compte de rien dans un moment si extraordinaire. Ils essayent donc d’affiner la sensibilité des couples en énumérant un nombre important de signes que l’on trouve déjà chez Hippocrate, plus tard chez Ambroise Paré, et qui perdurent dans les traités médicaux au XVIIIème et encore au XIXème siècle. Pour Mauriceau, en cas de fécondation, le plaisir ressenti par l’homme et la femme dans l’acte sexuel est plus grand qu’à l’ordinaire :

Ce qui arrive à l’homme, parce que dans ce temps le vagina serre davantage sa verge et à cause que la matrice qui s’ouvre pour recevoir la semence, suce (pour ainsi dire) se resserrant ensuite, le bout du membre viril qui pour être doué d’un sentiment très exquis, en est fort agréablement chatouillé et venant elle-même à recevoir les deux semences dont elle est friande, et principalement celle de l’homme, elle cause à la femme un tressaillement voluptueux et extraordinaire de toutes les parties de son corps 331.

324 Mauriceau (François), Traité des maladies des femmes grosses…, op. cit., 1681, p. 50

325 Roussel (Pierre), Système physique et moral..., op. cit., 1770, p. 171.

326 Ibid., pp. 171- 172.

327 Mauriceau indique : « Je ne m’arrêterai pas à faire le récit d’un grand nombre de signes de la conception, qui sont entièrement incertains, tels que sont ceux qui se tirent des différences du pouls et des urines et de quelques autres qui tendent plutôt à la superstition, qu’à une vérité effective, Mauriceau (François), Traité des maladies

des femmes grosses…, op. cit. , 1681, p. 50.

Déjà en 1626, Guy Patin avait consacré sa thèse à cette question « Peut-on trouver dans l’urine un signe certain de grossesse ? » et il concluait par la négative ; cité par Gélis (Jacques), L’arbre et le fruit…, op. cit., p. 112.

328 Ils sont donc évoqués infra dans ce chapitre.

329 Cette idée se retrouve chez Dionis ou Venette, par exemple.

330 Creissel (Jean-François.), Essai médical sur les signes…, op. cit., 1804.

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La matrice, ainsi décrite, ressemble à un animal avide et très sensible. Mauriceau reconnaît cependant que beaucoup de femmes disent ne rien avoir éprouvé de particulier. Autre signe classique de fécondation : la femme ne voit rien s’écouler de la matrice après coït, car celle-ci se resserre aussitôt. En effet, d’après Hippocrate, le fœtus résulte du mélange intégral des deux semences, il ne doit donc pas y avoir de traces de celles-ci dans les organes génitaux après le coït. La fermeture de la matrice passe d’ailleurs pour produire souvent de petites douleurs que la femme ressent dans le ventre autour du nombril et dans le bas ventre. Enfin, l’orifice interne de la matrice doit être fermé, ce qui peut être repéré par un toucher vaginal.

Ces signes, décrits par Mauriceau, perdurent largement au XVIIIème siècle ; on les retrouve ainsi à l’identique chez Nicolas Venette. Celui-ci souligne cependant que « la plupart (…) sont équivoques (…) néanmoins s’il s’en trouve plusieurs, ils servent à confirmer le jugement qu’on peut porter sur des signes plus certains »332. Selon les auteurs, on observe d’autres nuances et quelques évolutions. Pour Dionis, par exemple, ce sont les contractions de la matrice, favorisant l’entrée de la semence dans les trompes, que perçoivent certaines femmes : « Les habiles faiseuses d’enfants sont sûres d’avoir conçu quand elles ont senti ce trémoussement incontinent après l’éjaculation, parce que c’en est un signe infaillible»333. Par contre, pour lui, la verge de l’homme ne ressort pas plus « sèche » qu’à l’ordinaire quand il y a conception, seule une petite partie de sa semence se portant à l’ovaire. Chambon de Montaux en 1785, tout en reconnaissant que « dans le plus grand nombre des femmes, les choses se passent comme Hippocrate l’avait observé », conteste cependant la validité de certains signes traditionnels. Il indique par exemple que le plaisir ressenti par la femme n’est pas nécessaire à la conception, et il ajoute que la matrice n’est pas hermétiquement fermée après la conception334.

Certains médecins sont beaucoup plus critiques. Dans le deuxième tiers du XVIIIème siècle, Astruc énumère les signes traditionnels mais indique :

Les médecins mieux instruits ont reconnu l’abus de ces pronostics et ont purgé la médecine de ces futilités, ou pour mieux dire, de ces chimères. Elles ne sont pourtant pas anéanties. Elles subsistent et subsisteront longtemps entre les mains des gardes et des sages-femmes qui savent s’en servir pour amuser la crédulité des femmes qui les consultent335

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Pour sa part, Roussel ne mentionne aucun signe antique et qualifie ceux que l’on prétend observer avant trois ou quatre mois de « charlatanisme éhonté336 ». Il semble donc s’opérer un début de clivage entre les croyances du peuple et des praticiennes féminines de la naissance et celles des médecins masculins qui prétendent à un savoir scientifique de plus en plus autonome de l’héritage antique.

Outre les signes du moment de la conception, les traités des XVIIème et XVIIIème siècles recensent aussi ceux qui sont un peu plus tardifs, mais souvent sans les classer ni les hiérarchiser. Là aussi, les médecins reprennent souvent tels quels les signes issus de la tradition hippocratique, parfois en précisant qu’ils ne sont pas très fiables, et en rajoutent d’autres. Sont ainsi mentionnés une sensation de chaleur dans tout le corps, parfois précédée d’un froid, une langueur ou une fatigue immédiatement après un coït fécondant, le refus d’une nouvelle étreinte, des grincements de dents, etc. Les auteurs précisent cependant souvent qu’aucun signe en lui-même n’est signifiant ; pour Chambon de Montaux, « chacun de ces signes de grossesse ne suffit pas pour porter un pronostic certain sur cet état, mais la réunion de plusieurs ne laisse, le plus ordinairement, aucun doute sur la gestation, chez les femmes bien constituées »337.

Signes rationnels et signes sensibles de la grossesse

A partir du XVIIIème siècle, certains médecins commencent à classer les signes de la grossesse autrement que chronologiquement. Jusque là, la plupart se contentaient, après avoir évoqué les signes

332 Venette (Nicolas), Tableau de l’amour…, op. cit., 1751 (éd. 1818), pp. 28-29.

333 Dionis (Pierre), Traité général des accouchements…, op. cit., 1718, p. 73.

334 Chambon de Montaux (Nicolas), Des maladies de la grossesse…, op. cit., 1785, pp. 45-51.

335 Astruc (Jean), Traité des maladies…, op. cit., 1770, t. 1, IV, Livre III, Chap. III, 4) « Signes de la conception ».

336 Roussel (Pierre), Système physique et moral…, op. cit., 1770, p. 171.

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accompagnant le coït fécondant, de mentionner ceux du début de la grossesse et ceux qui sont plus tardifs338. Dès le milieu du XVIIIème siècle, plusieurs médecins distinguent les signes rationnels et les signes sensibles de la grossesse. On l’observe notamment chez Puzos et Petit en 1759, mais aussi chez Deleurye ou Baudelocque dans la deuxième moitié du siècle. Cette attitude n’est cependant pas encore systématique puisque Chambon de Montaux en 1785 ou même le docteur Marc en 1817 ne cherchent toujours pas à classer ces différents signes dans leurs ouvrages.

Les signes rationnels sont, pour Puzos, ceux « que la raison tire des accidents qu’éprouve une femme en âge de devenir mère, lorsque ces accidents, symptômes ordinaires d’une grossesse commençante, en paraissent devoir être attribués à aucune autre cause »339. Ces signes proviennent principalement du témoignage féminin et ils servent à exclure les cas de fausses grossesses. Ils sont très nombreux et concernent toutes les parties du corps féminin car « lorsque la femme a conçu, les changements les plus étonnants surviennent dans toutes les parties de son organisation340 ». Ainsi, l’appareil génital et urinaire, les seins, l’appareil digestif, l’appareil respiratoire, cardiaque et le système nerveux, le système circulatoire, le visage et la peau, l’allure générale et le poids, mais aussi le comportement général et le caractère se modifient et livrent des signes que les médecins se chargent de décrypter341.

La suppression des règles nous apparaît aujourd’hui comme un indice essentiel de grossesse, mais ce n’est pas toujours le cas à l’époque moderne où les femmes sont souvent irrégulièrement réglées. L’aménorrhée peut résulter de nombreux facteurs : un allaitement prolongé342

, des situations de disettes qui suspendent l’ovulation et de bien d’autres causes. La « suppression des menstrues » entre d’ailleurs en tant que telle dans les « maladies des femmes », banales à l’époque343. D’après les travaux de Schlumbohm sur la maternité de Göttingen, le docteur Osiander a ainsi repéré un certain nombre de femmes qui ont très probablement connu une grossesse, mais qui disent ne pas s’en être aperçues, malgré une suspension de leurs règles. Ainsi, Anna Catharina Herbold « nie obstinément avoir déjà accouché, mais avoue qu’à quelques reprises son écoulement menstruel ne s’est pas

338 C’est le cas par exemple de Nicolas Venette ou de Pierre Dionis, mais aussi des articles de dictionnaires comme l’Encyclopédie méthodique en 1790 ou le Hélian en 1771. Dans ce dernier, on lit par exemple à l’article, « Grossesse », pp. 209-211 : « Les signes de grossesse peuvent se manifester dès le second mois, mais ils ne sont sûrs que dans le quatrième. Dans le second mois, les règles ont déjà manqué deux fois, le sein commence à s’enfler ; on a des maux de cœur, des envies de vomir, des vomissements, des dégoûts, des appétits bizarres. Dans une personne qui jouissait d’une bonne santé et qui n’était pas sujette à ces infirmités, la réunion de ces figures commence à faire une preuve assez forte. Cette preuve devient plus forte encore dans le troisième mois, parce que les règles ont manqué trois fois, qu’il commence à y avoir du lait au sein, que les maux de cœur, les envies de vomir, les dégoûts, les appétits bizarres continuent, et que la région hypogastrique commence à grossir sensiblement ». Au quatrième mois on observe que les maux de cœur et appétits déréglés cessent, qu’il y a toujours du lait dans les seins, que le ventre grossit : « l’enfant commence à remuer, et quand la mère n’est pas trop grosse, on peut distinguer avec un peu d’attention si c’est la tête, le coude ou les genoux que l’enfant remue ».

339 Puzos (Nicolas), Traité des accouchements, op. cit. 1759.

340 Leroy (Alphonse), Essai sur l’histoire naturelle de la grossesse…, op. cit., 1787, p. 21.

341 Beaucoup de ces signes se confondent avec les symptômes des maladies de la grossesse qui seront évoquées plus loin. Nous nous contenterons ici d’évoquer les principaux ; nous renvoyons également au tableau comparatif regroupé dans les annexes pour davantage de détails.

342 Les femmes allaitent souvent leurs enfants pendant deux ou trois ans et ne sont pas toujours réglées entre deux grossesses.

343 Les médecins évoquent souvent ces « fausses grossesses » fréquentes qui ne sont que des « suppressions de menstrues ». Ainsi pour Mauquest de la Motte, « ces sortes de fausses grossesses sont très communes, il est surprenant de voir l’affliction de celles qui se trompent de la sorte. Si elles voulaient me consulter, peut-être ne tomberaient-elles pas dans cette erreur. J’ose bien assurer d’en avoir guéri plusieurs de cette prévention, et de n’avoir jamais manqué de faire là dessus un juste pronostic. Car dans les commencements la chose n’est pas possible, tant les accidents d’une simple suppression sont semblables à ceux qui indiquent le commencement de la grossesse : la distinction est très difficile, et l’on n’en peut avoir de certitude absolue que par l’attouchement de l’orifice extérieur de l’orifice intérieur de la matrice ; ce qui fait que j’excuse volontiers les femmes qui tombent dans ce doute, quand elles ont été mariées longtemps sans avoir eu d’enfants, comme celle-ci ; mais je ne puis comprendre comment celles qui en ont eu plusieurs peuvent s’y laisser tromper » ; Mauquest de la Motte (Guillaume), Traité complet des accouchements…, op. cit., 1715, cité par Gélis (Jacques), Accoucheur de

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manifesté pendant un trimestre »344. Maria Catharina Engelin concède aussi « qu’une fois, à 17 ans, ses règles ont cessé tout un hiver », insistant sur le fait « qu’elles étaient revenues d’elles-mêmes »345. Dernier cas plus suspect, Sophia Lüder admet « qu’une fois, son écoulement menstruel s’est interrompu pendant 20 semaines, mais qu’il lui est revenu quand elle est allée un jour aux cabinets ; elle ignore si elle était enceinte »346. Certaines femmes cherchent probablement à protéger leur honneur en faisant croire qu’elles ne se sont jamais crues enceintes auparavant, mais il est aussi plausible que l’arrêt des règles soit interprété de bien d’autres façons que par une grossesse.

Beaucoup de médecins ne mettent donc pas la suspension des menstruations en évidence dans leurs énumérations des signes de la grossesse. Au contraire, ils insistent beaucoup sur les exemples de femmes enceintes qui perdent du sang347 ou qui ont été fécondées sans avoir jamais été réglées348. Mauriceau, mais aussi Venette ou Jourdain349, mettent donc en garde contre des jugements trop hâtifs en présence de saignements. Le premier accuse d’ailleurs les sages-femmes de négligence dans le procès de 1666 car l’élément essentiel qui fait conclure à l’absence de grossesse chez Catherine Thaives est un écoulement de sang dans le vagin. L’accoucheur cherche ici à faire prévaloir sa supériorité professionnelle, mais dans les faits, les médecins hommes comme les sages-femmes reconnaissent tous volontiers la possibilité de saignements pendant la grossesse et cherchent à indiquer comment différencier les vraies menstruations d’une simple évacuation de sang350. La plupart des médecins considèrent donc que la suspension des règles n’est pas à elle seule un symptôme suffisant et qu’il faut la croiser avec d’autres signes pour présumer d’une grossesse.

Autre indice de ces représentations : Osiander, médecin à la maternité de Göttingen, accorde moins d’importance dans ses notes individuelles à la date des dernières règles ou à leur suspension qu’à la date de conception indiquée par les femmes. Sur les 1b300 cas de femmes recensées dans ces cahiers, on ne trouve que dans un procès-verbal sur cinq la mention de la dernière date de menstruation ; dans deux tiers d’entre eux, il est précisé quand « les menstrues n’ont pas eu lieu »351.