• Aucun résultat trouvé

Au XIX ème siècle

2. Dans les milieux populaires

Des tabous moins marqués

De manière générale, les connaissances en matière de sexualité et de procréation sont plus développées des milieux populaires, notamment à la campagne. Une certaine liberté entre les sexes

69 Marie-Amélie, Journal de Marie-Amélie reine des Français, Paris, Librairie académique Perrin, 1980.

70 Voir aussi le cas de Zélie Martin, évoqué un peu plus loin, ou celui de Clémence Badère dans Mes Mémoires, Paris, Alcan-Lévy, 1886-1887. On sait que George Sand fut aussi très éprouvée par sa nuit de noce ; voir Adler (Laure), Secrets d’alcôve. Histoire du couple, 1830-1930, Paris, Hachette, 1983 ; rééd. Complexe, 1990, p. 51.

71 Lafarge (Madame), Dans le silence…, op. cit, p. 240.

72 « Comment les époux pourraient-ils se supporter dans une société qui organise comme aucune la partition des sexes et la protection des filles ? Dans tout mari, il y a un homme et cet homme est en lui-même une menace » ; Constant (Paule), Un monde à l’usage des Demoiselles…, op. cit., p. 337.

73 Laure Adler évoque ces nombreux récits de nuit de noces où la jeune fille n’a pas vraiment compris ce qui l’attend ; Adler (Laure), Secrets d’alcôve…, op. cit., Chap. II : « La nuit de noces ou l’horreur du viol légal », pp. 31-65.

74 Maupassant (Guy de), Une vie, op. cit, p. 70.

75 Adler (Laure), Secrets d’alcôve…, op. cit., p. 38.

76 L’expression est de Balzac.

77 Sohn (Anne-Marie), Du premier baiser à l’alcôve…, op. cit., p. 220.

56

pendant l’enfance permet des observations et des expériences utiles dans ce domaine. Les témoignages de Rétif de la Bretonne concernant son éveil à la sexualité et celui de sa sœur montrent que l’initiation sexuelle est parfois très précoce chez les jeunes ruraux au XVIIIème siècle. Ainsi, Rétif de la Bretonne est témoin de plusieurs scènes de copulation dès son jeune âge ; il est aussi embrassé et masturbé par de grandes filles plus âgées. Sa sœur aînée, Margot, se livre également à des expérimentations sexuelles sur lui et une autre sœur :

Elle nous prit un jour, Marie-Louison, qui avait à peu près mon âge et moi ; elle nous conduisit dans les chenevières fort hautes, et là, elle nous disposa avec beaucoup d’ignorance, chacun de nous assis vis-à-vis, disant : « Hé : accouplez-vous ! ». Marie-Louison, selon son intelligence, obéit ; mais moi je n’en avais ni la volonté ni la faculté, et je ne faisais rien si ce n’est des tentatives inhabiles. Enfin Margot rougit et nous renvoya, intacts, en disant : « Je vous en prie, cessez… ». Je n’ai jamais pu concevoir quel avait été le but de Margot, alors âgée de treize ans. Sans doute un garçon lui avait tenu quelques discours, ou elle avait vu quelque scène, comme celles que j’ai rapportées79

.

Dans les catégories populaires, les jeux sexuels enfantins et la masturbation ne sont donc pas rares et ne font pas l’objet d’une réprobation aussi systématique que dans les milieux bourgeois. Ils permettent à l’enfant de se familiariser avec son corps et de faire un certain apprentissage sexuel. Il paraît évident aussi que la promiscuité qui règne dans les logements des milieux populaires favorise l’information sexuelle. Les enfants voient et entendent des choses malgré les lits clos ou les alcôves. Ainsi, Pierre Rivière évoque les bruits de copulation que sa sœur aînée entend sous le toit familial : « Mon pére depuis leurs grands differents n’avait pas eu de commerce charnel avec elle. Cependant (…) il voulut essayer la premiere ou seconde nuit. Ma sœur Victoire entendit. Alors elle dit : ah mon dieu mon dieu qu’est-ce que vous lui faites ? Vois-tu, lui dit-il, qu’est-ce que cela te regarde, je lui fais ce que les hommes font à leurs femmes »80. Les enfants ne peuvent pas non plus ignorer les nombreuses couches maternelles, qui ont parfois lieu dans la salle commune. La sœur de Pierre Rivière connaît ainsi le phénomène de la grossesse, puisque sa mère calcule avec elle le terme supposé d’une de ses grossesses. Il semble cependant qu’à partir des années 1870 les milieux populaires intériorisent davantage les normes de la pudeur bourgeoise ; les enfants ont de plus en plus leur propre chambre et les parents se font plus discrets81.

De manière plus évidente encore que dans les milieux favorisés, la proximité des jeunes campagnardes avec les animaux peut favoriser l’accès à la connaissance des phénomènes reproductifs. Zola évoque, dans La Terre, le cas de Françoise, quatorze ans, qui aide le taureau à saillir une vache, sous le regard de Jean :

Non, faut l’aider… S’il entre mal, ce sera perdu, elle ne retiendra pas. »

D’un air calme et attentif, comme pour une besogne sérieuse, elle s’était avancée (…). Elle dut lever le bras d’un grand geste, elle saisit à pleine main le membre du taureau qu’elle redressa. Et lui, quand il se sentit au bord, ramassé dans sa force, il pénétra d’un seul coup de reins, à fond. Puis il ressortit. C’était fait : le coup de plantoir qui enfonce la graine (…).

Françoise, ayant retiré sa main, restait le bras en l’air. Elle finit par le baisser en disant : « ça y est.

- Et raide ! » répondit Jean d’un air de conviction (…).

Il ne songeait pas à lâcher une de ces gaillardises, dont les garçons de la ferme s’égayaient avec les filles qui amenaient ainsi leurs vaches. Cette gamine semblait trouver ça tellement simple et nécessaire qu’il n’y avait vraiment pas de quoi rire, honnêtement. C’était la nature82

. Dans cette scène, Zola force évidemment un peu le trait mais son récit part de réalités indéniables. Les jeunes filles voient les bêtes copuler et mettre bas, et leur sexualité peut effectivement être l’objet de commentaires et de plaisanteries dont elles sont témoins. Anne-Marie Sohn cite d’ailleurs plusieurs cas dans les archives judiciaires de jeunes filles mentionnant ce que « les bœufs font aux vaches »83, mais aussi les comportements des chiens ou des boucs comparés aux pratiques sexuelles humaines.

79 Rétif de la Bretonne (Nicolas Edme), Monsieur Nicolas, Paris, éd. 1883, t. I, p. 52.

80 Moi, Pierre Rivière…, op. cit., p. 136 (orthographe respectée).

81 Sohn (Anne-Marie), Du premier baiser à l’alcôve…, op. cit. , pp. 142-143.

82 Zola (Emile), La Terre, Paris, Pocket, 1994 (1ère éd. 1887), p. 28.

83 Procès-verbal du juge d’instruction d’Ambert, 15 septembre 1874 (A.D., Puy-de-Dôme, U 010821), cité par Sohn (Anne-Marie), Du premier baiser à l’alcôve…, op. cit. , p. 153.

57

Cependant, le rôle joué par le monde animal doit être nuancé. Ce savoir n’est pas toujours relié à la sexualité humaine ni au phénomène de la grossesse.

Les contacts avec les aînés, les camarades ou les adultes, beaucoup moins surveillés que dans l’éducation bourgeoise, laissent aussi circuler plus facilement des informations à caractère sexuel. En particulier dans le monde ouvrier urbain, le contact quotidien avec d’autres femmes à l’atelier permet peut-être une forme d’initiation. Un savoir élémentaire, mais souvent pertinent sur la reproduction et la grossesse se transmet aussi à la campagne, mais il s’agit d’une éducation non verbalisée ni explicite, dissociée des règles de bienséance84. L’espace du lavoir et son assemblée de femmes est certainement un lieu privilégié pour l’éducation à la sexualité et à la fonction reproductrice. Dans ce lieu exclusivement féminin, le linge raconte l’intimité des corps et la parole des femmes est plus libre ; les histoires de grossesse, d’adultère et d’avortement circulent85

. Les filles y accompagnent leur mère et peuvent voir le linge taché de sang ou son absence quand la femme est dite « grosse »86. Les veillées et les fêtes campagnardes, auxquels on assiste très jeune, sont aussi verbalement associées à la sexualité. La fin des repas de fêtes comporte souvent des calembours, des chansons grivoises ou des farces évoquant la sexualité et la fécondité, notamment celles des jeunes mariés lors de leurs noces. Les enfants, certainement attentifs, doivent tirer profit de ces allusions plus explicites qu’à l’ordinaire87.

Enfin, les contacts entre les sexes sont également souvent plus libres dans les milieux populaires. L’Eglise s’est bien efforcée, depuis la Contre-Réforme, de moraliser les jeunes ruraux en limitant les rencontres et la promiscuité entre les sexes, mais elle semble peu écoutée. L’âge au mariage étant assez élevé dans ces milieux88, il existe des pratiques d’attente et d’essai de l’accord sexuel, mais dans un cadre bien délimité. Même si une grande importance est en général accordée à la virginité féminine, les garçons et les filles sont parfois autorisés à se fréquenter, voire à expérimenter une sexualité faite de baisers, d’attouchements et de masturbation réciproque, mais qui ne va normalement pas jusqu’au coït89. Les folkloristes du XIXème siècle ont ainsi relevé ces pratiques dans de nombreuses régions françaises, la plus connue étant le maraîchinage vendéen90.

Le taux des conceptions prénuptiales, non négligeable dans la plupart des régions françaises donne un indice sur l’importance de ces fréquentations avant le mariage et montre d’ailleurs que nombre de jeunes gens vont jusqu’aux relations sexuelles complètes91

. Deux types de grossesses prénuptiales peuvent en fait être distinguées : soit le mariage est prévu et les futurs époux anticipent l’union en la consommant, ce qui se traduit par des naissances sept à huit mois après le mariage92

; soit le mariage vient réparer une grossesse, sans avoir été nécessairement souhaité, et cela correspond alors plutôt à des naissances dans les premiers mois de l’union93. C’est ce dernier cas qui semble le plus courant, si l’on en croit les analyses des démographes. Evaluées à environ 10 % des naissances au

84 Laget (Mireille), Naissance et conscience de la vie…, op. cit., p. 212.

85 On peut penser, à ce propos, au passage de L’Assommoir où une blanchisseuse, la grande Clémence, se livre à des commentaires dans la blanchisserie de Gervaise, au moment du tri du linge :

« A chaque pièce cette grande vaurienne lâcha un mot cru, une saleté, elle étalait les misères des clients, les aventures des alcôves, elle avait des plaisanteries d’atelier, sur les trous et toutes les taches qui lui passaient par les mains. Augustine faisait celle qui ne comprenait pas, ouvrait de grandes oreilles de petite fille vicieuse. Mme Putois pinçait les lèvres, trouvait ça bête de dire des choses devant Coupeau : un homme n’a pas besoin de voir le linge ; c’est un de ces déballages qu’on évite chez les gens comme il faut (…). Dans la boutique, à chaque triage, on déshabillait ainsi tout le quartier de la Goutte d’Or » ; Zola (Emile), L’Assommoir, Paris, Presses Pocket, 1978 (1ère éd. 1877), p. 165.

Il faut toutefois souligner dans ce passage le décalage qui existe entre la réalité vécue et les représentations des auteurs masculins bourgeois sur les femmes des milieux populaires et la sexualité.

86 Knibiehler (Yvonne), « L'éducation sexuelle des filles au XXème siècle », Clio, Le temps des jeunes filles, numéro 4-1996, (http://clio.revues.org/index436.html).

87 Voir infra dans ce chapitre des exemples de rites de fécondité pratiqués lors du mariage ; voir aussi Loux (Françoise), Pratiques et savoirs populaires…, op. cit., pp. 110-112.

88 Voir note 7, p. 5.

89 Le cas particulier des mariages à l’essai sera évoqué infra dans ce chapitre, p. 90.

90 Flandrin (Jean-Louis), Les amours paysannes…, op. cit, pp. 191-200.

91 Ibid., pp. 177-179.

Nous aurons l’occasion de revenir sur la question des conceptions prénuptiales et des naissances illégitimes dans le chapitre VI.

92 Il y a cependant un risque de confondre ces conceptions prénuptiales avec des naissances prématurées.

58

XVIIIème siècle94, les conceptions prénuptiales tendent à progresser un peu partout à la fin du siècle – davantage en ville qu’à la campagne –, signe du relâchement de certaines contraintes et des progrès du mariage d’amour face aux mariages arrangés95. Les jeunes gens auraient ainsi eu davantage tendance à commencer leur expérience sexuelle avant le mariage afin de forcer le consentement parental. Au XIXème siècle, la tendance se confirme, en particulier dans les milieux populaires urbains ; « faire Pâques avant les Rameaux » est une réalité pour de nombreux jeunes couples.

Ces particularités propres aux milieux populaires expliquent que les jeunes filles qui en sont issues arrivent probablement plus rarement que celles des élites totalement ignorantes de la sexualité et de la grossesse à leur mariage. Il est toutefois difficile de faire la part des choses entre la réalité et les représentations ; la jeune paysanne dégourdie et la jeune oie blanche bourgeoise sont aussi des constructions nées de la plume des penseurs et auteurs de l’époque.

Les travaux d’Anne-Marie Sohn sur les attentats à la pudeur contre les petites filles sous la Troisième République96 montrent une situation contrastée. En effet, on peut distinguer dans les milieux populaires « trois stratégies éducatives en matière de sexualité : le silence et l’ignorance, garants de la vertu des filles ; l’interdit par la menace du péché et de la saleté ; une information spontanée plus que systématiquement donnée par des parents qui parlent librement du sexe »97. La première attitude semble la plus courante au XIXème siècle et imite l’éducation des filles dans les milieux plus favorisés98. Les parents refusent toute information sexuelle et pratiquent la dissimulation de la nudité. Cela amène les enfants à méconnaître totalement les choses du sexe et même à une incapacité à le nommer99. On comprend alors que les jeunes filles puissent avoir du mal à réagir face aux pressions et agressions sexuelles dont elles ne mesurent souvent pas les conséquences100. Anne-Marie Sohn cite d’ailleurs plusieurs cas exemplaires de jeunes filles enceintes qui ignorent leur état, parfois jusqu’à la veille de leur accouchement. Ainsi, elle rapporte le cas, pourtant tardif, d’une fille de quatorze ans, enceinte de son propre père, jardinier à Sèvre (Seine-et-Oise) « qui a paru très étonnée et (…) a répondu qu’elle ne savait pas ce que c’était d’être enceinte (…). Elle était tellement naïve qu’elle n’avait fait jusque-là aucun rapprochement entre son état et les actes dont elle avait été la victime »101. Autre cas éloquent, celui d’une institutrice stagiaire d’Ahun (Creuse) âgée de 21 ans qui indique devant la justice : « Oh ! vous ne me croirez pas ! mais je vous avoue que je ne me croyais pas enceinte (…). J’ai bien senti remuer, j’ai bien vu des vergetures mais je ne comprenais pas ce que cela était »102. En effet, les filles ne font pas forcément le lien entre l’acte sexuel et la grossesse.

La deuxième attitude parentale consiste à transcrire la sexualité « au travers des notions de péché et de saleté, inculquées dès le plus jeune âge et qui tient lieu d’éducation sexuelle pour la

94 Les variations locales sont cependant très importantes. Dans plusieurs villages du Perche, le taux ne dépasse pas les 3 %, mais il avoisine 5 % en Ile-de-France et peut atteindre 30 % et plus en Seine-Maritime où dans le Nord à la fin du XVIIIème siècle ; Dupâquier (Jacques), La population française…, op. cit. (éd. 1995), t. II ; Flandrin (Jean-Louis), Les amours paysannes…, op. cit., pp. 178-179.

95 Pour une étude plus approfondie du contexte de la montée des relations prénuptiales et de ses liens avec l’illégitimité ; voir la fin de la troisième partie chap. II : Grossesses subies et refusées ; voir aussi Beauvalet (Scarlett), Histoire de la sexualité…, op. cit.

96 Sohn (Anne-Marie), « Les attentats à la pudeur sur les fillettes en France et la sexualité quotidienne (1870-1939) », Mentalités, n°3 : Les violences sexuelles, sept. 1989, pp. 71-111. L’auteur a utilisé des sources judiciaires, notamment 702 dossiers de procédure concernant ces attentats à la pudeur contre les petites filles sous la Troisième République qui permettent de mettre en évidence les savoirs sur le corps et la sexualité dans les milieux populaires.

97 Sohn (Anne-Marie), Du premier baiser à l’alcôve…, op. cit., p. 81.

98 A.-M. Sohn indique que dans près de deux tiers des cas d’agressions sexuelles sur fillettes, leur ignorance est partielle ou totale sur les questions sexuelles ; Sohn (Anne-Marie), Du premier baiser à l’alcôve…, op. cit., p. 143.

99 « C’est le cas de la fille d’un imprimeur parisien, âgée de dix ans qui indique « Il m’a montré son devant dont je ne savais pas le nom », Procès-verbal du juge d’instruction de la Seine : 29 août 1876, A.D., Seine, D2 U8 61, cité par Sohn (Anne-Marie), « Les attentats à la pudeur… », art. cit., p. 78.

Voir aussi Sohn (Anne-Marie), Du premier baiser à l’alcôve…, op. cit., pp. 143-145.

100 Louis (Marie-Victoire), Le Droit de cuissage, France (1860-1930), Paris, L’Atelier, 1994. Voir aussi Sohn (Anne-Marie), Du premier baiser à l’alcôve…, op. cit., pp. 145-147.

101 P.V. du juge d’instruction de Versailles : 17 novembre 1934, A.D., Seine-et-Oise, Assises, Session du 13 au 23 février 1935 ; cité par ibid., p. 78. L’auteur dit avoir trouvé trois autres cas analogues.

59

plupart des familles »103. Dans les milieux populaires, certains parents profitent de l’arrivée des premières règles104 pour conseiller la prudence vis-à-vis de l’autre sexe et laisser planer la menace vague d’une grossesse. Les jeunes filles envisagent ainsi ces questions sous l’angle de l’interdit, de la honte et de la peur des hommes. Cette attitude explique que, même une fois mariées, les femmes continuent de percevoir la sexualité et la grossesse comme des phénomènes tabous et honteux.

Enfin, le dernier comportement, assez banal, témoigne de solides connaissances concernant les questions sexuelles et reproductives105. Certaines filles savent ainsi nommer avec précision les organes sexuels en utilisant très souvent des expressions locales en patois. A l’époque moderne, le cas est plus fréquent dans les milieux ruraux, mais au cours du XIXème siècle, les filles d’ouvriers semblent souvent les mieux informées et décrivent la sexualité de façon parfois assez crue106. La censure verbale et les tabous pesant sur les adultes sont donc plus ou moins lourds selon les familles, en lien avec le poids variable de la religion chrétienne selon les milieux sociaux.

Des progrès à la fin du XIXème siècle ?

En matière d’éducation sentimentale et sexuelle, une évolution semble se dessiner à la fin de la période étudiée. En effet, à partir des années 1870 débute l’ère du « flirt » et la tendance s’accentue au tournant du siècle dans les milieux favorisés107. A cette époque, il ne consiste encore qu’en jeux de mots et de regards équivoques entre garçons et filles, éventuellement en quelques effleurements, tout au plus un baiser, mais il marque une rupture dans l’éducation chaste des demoiselles. L’exemple vient des pays anglo-saxons, mais il se développe car l’étau éducatif se desserre un peu pour les jeunes filles françaises des milieux favorisés. Les progrès de l’instruction féminine, impulsés par Victor Duruy et Camille Sée entre 1867 et 1880, ne sont pas étrangers à cette évolution. Davantage éloignée de la religion, cette éducation ne remet pas en cause la vocation d’épouse et de mère, mais elle permet aux femmes d’être plus cultivées et ouvertes. La médicalisation de la société et le développement de l’hygiène permettant une banalisation de la toilette intime favorisent aussi une meilleure connaissance du corps. La pratique du sport féminin y contribue également ; la gymnastique, comme l’équitation, la bicyclette et les bains de mer connaissent en effet un succès croissant. Dans les milieux populaires, les liaison prénuptiales se développent également et transforment une pratique minoritaire en rituel de fréquentation classique, favorisant une plus grande liberté sexuelle108. Sans nous attarder à cette évolution qui déborde le cadre chronologique de cette étude, il faut cependant souligner qu’au début du XXème siècle, le corps et la sexualité restent encore des sujets très tabous pour les jeunes filles. Les « oies blanches » n’ont pas encore complètement disparu109.

Malgré les tabous persistants concernant la maternité, la valorisation de l’amour maternel conduit à préparer les filles à leur futur rôle dès l’enfance.

103 Sohn (Anne-Marie), Du premier baiser à l’alcôve…, op. cit., p. 79.