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En fait, sous un propos qui se veut moderne, on retrouve les « nourritures chaudes et sèches » qui servent à procréer des garçons et l’exercice physique qui évacue l’humidité du corps.

Il serait trop long de citer tous les autres auteurs qui, jusqu’au début du XXème

siècle (et même après…), s’inspirent plus ou moins de ce fond de croyances, ils sont trop nombreux. Dans la plupart des cas, on retrouve le rôle joué par l’âge des parents, la force supérieure ou inférieure des générateurs, l’influence du régime, etc. S’utilisant beaucoup les uns les autres, parfois jusqu’au plagiat, les médecins ne font finalement que ressasser l’Antiquité en prétendant énoncer de nouvelles théories244.

c.

Les idées nouvelles concernant le choix du sexe

Sans rentrer dans les détails de toutes les idées nouvelles avancées en matière de formation de sexes au XIXème siècle, retenons les principaux thèmes abordés.

Dès le début du XIXème siècle, certains anatomistes mettent en évidence l’indétermination sexuelle prolongée de l’embryon au tout début de la vie utérine. Ainsi Etienne Geoffroy Saint-Hilaire (1722-1844) a l’intuition que les deux sexes doivent coexister dans l’embryon et que cela explique notamment l’existence d’être hermaphrodites. Les embryologistes démontrent d’ailleurs dans les années 1830-1850 les similitudes de l’embryogenèse des structures génitales féminine et masculine.

242 Debay (Auguste), La Vénus physique, ou nouvelle théorie de la procréation des sexes à volonté, Paris, 1849.

243 Ibid.

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Mais cette idée d’une ambivalence sexuelle de l’embryon a du mal à être acceptée, tant est ancrée la représentation d’une différence des sexes irréductible dès le début de la vie. Le physiologiste Jean-Louis Brachet, dans sa Physiologie élémentaire de l’homme (1833), réfute ainsi l’existence même de l’hermaphrodisme :

Ce n’est pas seulement par les organes génitaux que la femme est femme et que l’homme est homme, c’est par l’économie tout entière ; les tissus, les organes, la stature de chacun d’eux sont tellement différents, qu’il est impossible de s’y méprendre. Ces différences existeraient-elles si les sexes étaient les mêmes ? La différence des sexes est donc bien tranchée : l’un est le sexe masculin, l’autre le sexe féminin, et il n’est pas possible de les confondre245.

La découverte tardive de la cause génétique de la formation des sexes, impliquant les chromosomes X et Y, explique la permanence d’idées erronées sur ce sujet et la croyance que l’on peut déterminer le sexe en influant sur le moment de la conception ou dans les premiers temps de la gestation. Pour Geoffroy Saint-Hilaire, ce sont les conditions environnementales dans lesquelles se développe l’embryon qui induisent le développement d’un sexe au dépend de l’autre. Il établit un parallèle avec les abeilles pour lesquelles la taille des cellules de la ruche et la quantité de nourriture influe sur le sexe. Pour lui, la contraction plus ou moins grande de l’utérus au moment du coït et de la fécondation conditionne le volume et l’apport de nourriture plus ou moins important à l’embryon. Un enfant de sexe féminin résulte ainsi de la contraction utérine qui donne un espace réduit à la matrice pour le développement du « fœtus » et donc peu de nourriture à celui-ci. Les conditions contraires produisent un enfant mâle. Un plaisir sexuel très intense et prolongé, réduisant trop l’espace utérin, empêcherait ainsi la conception ou provoquerait un avortement. Il assure avoir vérifié ces théories sur sa femme, étant particulièrement attentif à ses réactions pendant l’acte conjugal246

. Cette idée que la jouissance sexuelle peut influer sur le sexe de l’enfant à naître se rencontre tout au long du XIXème

siècle, avec des explications variables. Elle rend compte d’« observations » comme le fait que les jeunes époux, plein de fougues, produisent d’abord des filles, alors que les femmes « inopinément attaquées » font des garçons247

La loi de Thury, qui se base sur le degré de maturité de l’œuf, connait également un certains succès pour expliquer la détermination du sexe de l’embryon. Elle est issue des observations de deux éleveurs suisses, Thury et Cornaz, qui publient leurs résultats en 1863. Dartigues en résume les principaux traits :

1° Le sexe dépend du degré de maturation de l’œuf au moment où il est saisi par la fécondation.

2° L’œuf qui n’a pas atteint un certain degré de maturation, s’il est fécondé donne une femelle ; quand ce degré de maturation est dépassé, l’œuf fécondé donne un mâle248.

Selon cette théorie, il est nécessaire de pratiquer le rapport sexuel dans les vingt-quatre heures précédent les règles ou immédiatement après la menstruation pour avoir des filles, et d’attendre quelques jours après pour avoir des garçons.

Une autre théorie, développée par David Richard, est basée sur l’influence de la nutrition, mais dans une optique un peu différente de celle du passé ou de ce qu’affirmait Geoffroy Saint-Hilaire. L’idée vient de l’observation de la nature :

1° Nutrition de l’organe maternel. On a remarqué chez les plantes comme chez les animaux, que plus les conditions de la nutrition et de développement sont favorables, plus il y a de chances pour la production d’organismes femelles249.

Une future mère bien nourrie donne donc des filles, alors que si elle l’est insuffisamment, elle produit un garçon. D’autres théories se rapprochent de celles-ci et constituent en fait des variantes ; elles

245 Brachet (Jean-Louis), Physiologie élémentaire de l’homme, Paris, Germer-Baillière, et Lyon, Melle Savy, 1865, t. 2, p. 268.

246 Ibid., pp. 180-181

247 Ibid., p. 181.

248 Dartigues (P.), De la procréation volontaire des sexes, étude physiologique de la femme, Paris, 1882, p. 98.

249 Richard (David), Histoire de la génération chez l’homme et chez la femme, Paris, J.-B. Baillière, 1883 (1ère

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insistent souvent sur le rôle de l’environnement, que ce soit le climat, le milieu social, voire l’habitat rural ou urbain. Ainsi pour Cleisz,

on trouve plus de filles chez les personnes en situation, plus de garçons chez les personnes de condition inférieure (…) au point de vue de l’habitat, toutes les statistiques démontrent qu’il y a un excédent de garçons bien plus considérable à la campagne qu’à la ville, parce que les campagnards se nourrissent plus mal et se fatiguent davantage. Les femmes des villes, mieux nourries, nourrissent mieux les fruits qu’elles portent250

. Les idées de Geddes semblent assez voisines :

Chez la plupart des animaux la femme est passive ; c’est elle qui détient les produits de réserve ; le mâle au contraire, est toujours en mouvement ; il s’use plus vite, sa vie est plus courte…Geddes a développé dans un ouvrage récent une théorie de la nutrition, la théorie du métabolisme… quand il y a gain, c’est l’anabolisme ; quand il y a perte, c’est le catabolisme (…). Le sexe féminin est essentiellement anabolique251.

On trouve encore bien d’autres thèmes expliquant la détermination du sexe dans la littérature médicale jusqu’au début du XXème siècle : on fait jouer un rôle à l’heure de la conception, à l’alternance ovarienne mensuelle, à l’adrénaline ; d’autres encore considèrent qu’il y a prédétermination du sexe, etc. Mais ces thèmes ne sont encore que des réminiscences des théories anciennes, plus ou moins adaptées aux idées du jour. En effet, le point commun de ces idées est de placer la vigueur, le mouvement, la force, la maturité, du côté du masculin ; la passivité, l’inertie du côté du féminin252. Même les idées en apparence favorables aux femmes, comme celles liées à l’abondance de nourriture, recèle le même fond de pensée qui remonte à Hippocrate et Aristote. Ainsi, une nourriture abondante devrait apporter un surcroît de force, mais il n’en est rien : l’excès de nourriture ralentit le métabolisme et produit une fille.

Ces théories, qui circulent encore dans des publications du début du XXème siècle, montrent, là encore, le décalage et le retard avec les travaux contemporains des biologistes253. L’explication tient, entre autre, au fait que ce n’est pas tant la rationalité scientifique qui guide les médecins que la place et l’image de la femme dans la société. L’ovule, présenté comme gros, bien nourri et passif dans le processus de génération, fait écho à l’image de la femme et à son rôle dans la société de l’époque254

. Le médecin, avec son discours d’autorité, se fait donc le vecteur de transmission de l’idéologie bourgeoise en matière de définition des rôles sexués. La science n’est pas neutre…

Si la compréhension du phénomène de la fécondation est restée longtemps obscure, le diagnostic et la détermination de la durée et du stade de grossesse ont également été très incertains. Des progrès importants s’observent néanmoins aux XVIIIème

et XIXème siècles dans ces différents domaines.

250 Cleisz (Augustin), Recherches des lois qui président à la création des sexes, Thèse de médecine, Paris, 1889, pp. 41et p. 32.

251 Bénard (Jean-Claude), « Fille ou garçon à volonté… », art. cit., pp. 67 et sq.

252 Ainsi l’idée que les mariages heureux donnent des filles, les unions tourmentées plutôt des mâles, laisse transparaître l’idée que l’abandon au plaisir procrée des filles, le contrôle de soi donne des garçons. L’activité sexuelle, notamment la recherche de la jouissance, est perçue comme une dépense d’énergie affaiblissant l’individu (on l’a vu dans les conseils concernant la nécessaire modération de la fréquence des coïts) : procréer une fille traduit donc un rapport imparfait ; ibid., pp. 73-74.

253 On trouve encore aujourd’hui des ouvrages ou des sites Internet proposant conseils et recettes pour obtenir fille et garçon à volonté ; des effets de mode s’observent dans ce domaine. Ainsi, le régime Stolkowski prétend que le rapport entre différents sels minéraux dans l'alimentation a une influence sur le sexe du futur bébé, l’alimentation de la mère influençant le tri des spermatozoïdes, porteur soit du chromosome X, soit du chromosome Y dans les voies génitales. Un régime fille se compose d’une alimentation riche en calcium-magnésium et pauvre en sodium-potassium : en gros des laitages ; pour un garçon, il faut privilégier une alimentation salée, privilégiant notamment la viande. Le Dr Papa, attaché à l’hôpital Cochin, se targue d’une réussite proche de 70%. Bien d’autres techniques existent, mais aucune n’est fiable car l’échantillon est réduit et ces différentes méthodes ne font en fait que réactiver des représentations anciennes sur les particularités des deux sexes (source : http://www.famili.fr/,pouvez-vous-choisir-le-sexe-de-votre-enfant-nbsp,376,12988.asp)

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II. DIAGNOSTIC DE GROSSESSE ET REACTIONS

A. L

E DIAGNOSTIC DE LA GROSSESSE

L’épineux problème du diagnostic de grossesse a été abordé a plusieurs reprises par les historiens de la naissance255, mais souvent de manière assez brève, exception faite des articles de Cathy Mc Clive et de Jürgen Schlumbohm qui élargissent la question à une aire européenne256. Des thèses d’histoire de la médecine ont parfois évoqué le sujet, mais de manière assez superficielle257

. Réalisées par des non historiens, ces travaux se focalisent surtout sur certains progrès de la science obstétricale en matière de diagnostic et n’offrent qu’une vue partielle et partiale de la question. Un travail personnel important a donc été réalisé afin de traiter de manière approfondie la question du diagnostic de grossesse par le monde médical. Nous avons exploité les œuvres de médecins des XVIIIème et XIXème siècles, certaines connues, d’autres moins. Nous avons également dépouillé des documents originaux comme les mémoires envoyés à l’Académie royale de chirurgie (conservés à l’Académie de médecine) pour le XVIIIème

et la plupart des thèses de médecine du XIXème siècle sur la question du diagnostic de grossesse258.

L’originalité de notre travail tient aussi à l’étude du diagnostic de grossesse hors du monde médical, notamment chez les élites, afin d’évaluer la pénétration des pratiques et des découvertes médicales dans la société. Pour cela, nous avons eu recours à de nombreux écrits du fort privé, ainsi qu’à quelques sources littéraires du XIXème

siècle259.

255 Gélis (Jacques), L’Arbre et le fruit, op. cit.

Laget (Mireille), Naissances, l’accouchement…, op. cit.

Morel (Marie-France), « Grossesse, fœtus, histoire », dans Missonnier Sylvain, Golse Bernard, Soule Michel dir., La grossesse, l’enfant virtuel et la parentalité, Paris, P.U.F., 2004, pp. 21-39.

256 - Mc Clive (Cathy), « The Hidden Truths of the Belly : The Uncertainties of Pregnancy in Early Modern Europe », Social History of Medicine, 15-2, 2002, pp. 209-227.

- Schlumbohm (Jürgen), « Les limites du savoir : médecins et femmes enceintes à la maternité de l’université de Göttingen aux alentours de 1800 », R.H.M.C., n°52-1, janvier-mars 2005, pp. 64-94 [http://www.cairn.info/article_p.php?ID_ARTICLE=RHMC_521_0064 ; nous faisons référence à la pagination de l’article en ligne, numéroté de la page 1 à 33]

257 On peut citer notamment : Lafaye (Michel), Histoire du diagnostic de la grossesse de l’Antiquité à nos jours, thèse de médecine, Paris, 1989. Cette thèse apporte quelques données factuelles sur l’évolution de certaines méthodes de diagnostic et l’avis de certains grands auteurs, mais le sujet n’est guère étudié dans une perspective historique.

258 Voici quelques unes des principales thèses ou publications sur ce sujet au XIXème siècle :

- Boislambert (L.), Recherches sur les moyens de reconnaître la grossesse utérine, thèse de médecine, Paris, 1823, n°59.

- Bossand (B.), Dissertation sur les signes de la grossesse et sur quelques maladies qui surviennent aux femmes

enceintes, thèse de médecine, Paris, An XIII (1804).

- Brunet (J.-T.), Des signes de la grossesse utérine simple, Thèse de médecine, Paris, 1850, n°156. - Casassus (J.-B.), Des signes de la grossesse utérine simple, Thèse de médecine, Montpellier, 1860, n°19. - Creissel (J.-F.), Essai médical sur les signes de la grossesse considérés depuis le moment de la conception

jusqu’au terme préfix de l’accouchement, Thèse de médecine, Montpellier, An XII, n°15.

- Delisle (N.), Dissertation sur les signes de la grossesse utérine simple, thèse de médecine, Paris, 1824. - Dufau (G.), Des signes de la grossesse, thèse de médecine, Paris, 1855, n° 315.

- Dumoret (P.), Difficultés du diagnostic de la grossesse, grossesses douteuses, Paris, 1897.

- Frémont (J.-B.), Dissertation sur les signes de la grossesse utérine simple suivie de qq propositions relatives

aux fe enceintes, thèse de médecine, Paris, 1824, n°123.

- Gafé (H.), De l’exploration obstétricale. Signes et diagnostic de la grossesse, Nantes, Morel éd., 1884. - Grand-Jean, Thèse sur la grossesse utérine simple et les signes qui la caractérisent, thèse de médecine, Paris, 1817, n°109.

- Lafargue (P.C.), Du diagnostic de la grossesse, Thèse, Paris, 1847, n° 13.

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1. L’incertitude de la grossesse et la nécessité de diagnostiquer la vraie grossesse