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b. Traditions et continuités en matière de procréation des sexes

Les croyances populaires pour procréer les sexes à volonté

La littérature populaire et de colportage traite volontiers cette question, les conseils s’inscrivant dans la médecine des signatures. Dans le Grand Albert, on recommande au mari, « pour avoir à coup sûr un garçon » : « Faites boire à votre femme en se couchant, un verre de vin dans lequel vous aurez versé une poudre composée des entrailles et des génitoires d’un lièvre desséchées et pilées très fin »209. Une ceinture de poil de chèvre trempée dans du lait d’ânesse et attachée sur le nombril au moment de voir son mari, peut aussi amener la conception, sauf le cas d’impuissance formelle »210. On ignore évidemment la diffusion de ce genre de recettes…

205 Lettre du maréchal Mac Donald à sa fille d’Anne-Charlotte, duchesse de Massa, mi-octobre 1815 ; Fonds Claude Ambroise Régnier, duc de Massa (279 AP/10), Archives Nationales.

206 Mirabeau, Lettres à Sophie…, op. cit., lettre du 19 janvier 1777.

207 Sue (Eugène), Les Mystères de Paris (1842-1843), R. Laffont, 1989, p. 584.

208 Par exemple dans la famille de Sassenay, le futur grand-père ne semble pas avoir de préférence pour un sexe ou l’autre : « Cet enfant (…) sera bien reçu, garçon ou fille par ses grands-parents », lettre du vicomte de Sassenay à Athénaïs d’Arlincourt, comtesse de Sassenay, 26 juillet 1829, correspondance d’Athénaïs d’Arlincourt, comtesse de Sassenay (337AP/17), Fonds Bernard de Sassenay (337 AP), Archives Nationales.

209 Les secrets admirables du Grand Albert, op. cit., éd. 1895, pp. 107-108.

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La phase de lune au moment de la conception ou de l’accouchement passe également pour jouer un rôle dans la formation du sexe de l’enfant211, mais il s’agit souvent plus de constatations et de présages que de règles de procréation212. Marie de Médicis demandait ainsi pendant sa grossesse « combien on tenait de la lune, craignant d’accoucher d’une fille, sur l’opinion vulgaire que les femelles naissent dans le décours et les mâles sur la nouvelle lune »213. Cette croyance se poursuit avec une étonnante constance jusqu’au XXème siècle. Dans les Vosges, en Gironde et en Wallonie, on croit que si une femme conçoit en jeune lune, son enfant sera du sexe fort, en vieille lune du sexe faible214. La croyance en l’influence défavorable de la lune déclinante est banale dans les mentalités populaires et elle s’observe également dans d’autres civilisations215. Cependant, dans de plus rares cas, comme en Vendée, en Beauce ou dans le Bourbonnais, c’est la lune nouvelle qui passe pour favoriser le sexe féminin ; preuve du flottement et des contradictions de certaines croyances populaires216.

On pense aussi pouvoir déterminer le sexe de l’enfant à naître en fonction de la phase de la lune qui préside à la naissance du dernier né, comme si après une naissance le germe sexué d’un nouvel enfant se formait dans le corps de la mère217. La plupart du temps, si un enfant naît en lune décroissante, le suivant sera une fille. Dans le Pas-de-Calais, on dit : « Quand les enfants viennent en décours, le suivant est une fille tout court »218. En Poitou, haute Bretagne et Picardie, si la lune ne change pas dans les huit jours qui suivent un accouchement, l’enfant à venir sera du même sexe que celui qui vient de naître, à moins qu’il ne soit conçu en vielle lune219

. Mais là aussi il existe des divergences entre ces croyances selon les régions. Ces idées ne reposent sur aucune enquête statistique, seulement sur des raisonnements analogiques, parfois contradictoires220. Pourtant, encore dans les années 1920, quelques rares médecins croient, à tort, valider scientifiquement ces préjugés populaires, preuve de leur enracinement221. Cependant, la majorité des praticiens à partir du XVIIème siècle tendent à douter de cette croyance, puis critiquent de plus en plus ouvertement ce qu’ils considèrent comme un préjugé. Déjà en son temps Mauriceau remarquait que sur les onze femmes qu’il accouche le même jour à l’Hôtel-Dieu, cinq eurent des garçons, et les six autres eurent des filles. Comme toutes ces femmes sont accouchées à terme, il en conclue qu’elles ont conçues en même temps et avec la même lune ; cela lui semble démentir l’influence de l’astre lunaire222. Tour au long du XIXème siècle, des médecins, comme J.-B. Salgues, s’élèvent contre cette croyance, en vain223.

211 Depuis l’Antiquité, les astrologues font intervenir les planètes masculines et féminines. Les premières, chaudes et sèches, donnent une semence plus consistance et plu vigoureuse ; les secondes, froides et humides, une semence plus fluide et plus faible ; Saintyves (Pierre), L’astrologie populaire, op. cit., pp. 214 et sq.

212 Loux (Françoise), Le jeune enfant…, op. cit., p. 48.

213 Héroard, Journal, Paris, F. Didot, 1868, I, 4.

214 Sauvé (L.F.), Le Folklore des Hautes-Vosges, p. 219 ; Mensignac (C. de), Superstitions de la Gironde, p. II ; Warsage (R. de), Calendrier populaire Wallon, Anvers, 1920, p. 73.

215 « Déclin, décours, décroissance, sont synonymes de malfaisance », Sébillot (Paul), Le Folklore de France, I, p. 43.

216 Saintyves (Pierre), L’astrologie populaire…, op. cit., p. 216.

La lune nouvelle étant considérée comme le moment de la plus forte puissance de la lune, astre féminin par excellence, il est assez « logique » que les filles y soient conçues de préférence.

217 Loux (Françoise), Le jeune enfant…, op. cit., p. 49.

218 Saintyves (Pierre), L’astrologie populaire…, op. cit., p. 217.

219 Souché (B.), Croyances, présages, Niort, 1880, p. 6.

220 Saintyves (Pierre), L’astrologie populaire…, op. cit., p. 217.

221 « Nous ne pouvons résister au désir de faire constater en passant que, si nous admettons pour un instant le bien-fondé de cette formule empirique, nous avons peut-être, par elle, l’explication des quelques succès qui ont contribué, en leur temps, à la vogue de certaines théories de la procréation volontaire. Ainsi la loi de Thury (de Genève), qui passe jusqu’à présent pour la plus sûre, décrète que « le sexe dépend du plus ou moins de maturité de l’ovule ; conçu quatre ou cinq jours avant les règles, le produit sera une fille ; 5 ou 6 jours après la cessation des règles, l’enfant sera un garçon ». Or, quatre septénaires, soit la durée d’un cycle lunaire, séparent deux époques menstruelles, et il est assez curieux de constater que, suivant un dicton populaire, les époques ont généralement pris fin autour du dernier quartier ; cinq ou six jours après les règles, la fécondation aurait donc lieu en nouvelle lune et donnerait un garçon ; quatre ou cinq jours avant, elle aurait lieu en lune de déclin et elle donnerait effectivement une fille » ; Duprat (F., Dr), Le secret de la Procréation volontaire. Garçon ou fille à

volonté, Paris, l’Auteur, 1920, pp. 17-19.

222 Mauriceau (François), Traité des maladies des femmes grosses…, op. cit., 1681, pp. 95-96.

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L’héritage antique

C’est surtout l’héritage des médecins de l’Antiquité qui perdure en matière de formation des sexes. Comme nous l’avons vu précédemment, les Anciens estiment que le sexe se détermine au moment même de la conception224. Il peut dépendre notamment de la qualité et de la force de la semence du mâle et de la femelle : celle qui prédomine décide du sexe (pour Hippocrate et Aristote). Mais la détermination du sexe tient aussi à d’autres facteurs. En effet, les différents paramètres qui jouent un rôle dans la conception, comme l’influence de la position pendant le coït, l’alimentation et la boisson, mais aussi la façon de vivre en général, peuvent aussi avoir une influence sur le sexe, en vertu d’un symbolisme très ancien225

. Celui-ci distingue les caractères supposés du masculin et du féminin en deux pôles opposés226 : droite / gauche ; sec / humide; chaleur / froideur ou cuit / cru en lien avec culture / nature. Les deux types de critères ne sont pas équivalents, la supériorité étant du côté du mâle, et l’infériorité le propre de la femelle.

On retrouve ces différents critères dans la plupart des conseils concernant la détermination du sexe de l’enfant à naître à l’époque moderne et au XIXème

siècle. Les ouvrages médicaux s’intéressant à la procréation traitent toujours de cette question. On la trouve chez Huarte, Quillet ou Venette, mais on assiste à une floraison d’ouvrages sur ce sujet au XVIIIème et encore davantage au XIXème siècle. L’étude de cette littérature témoigne de l’extraordinaire permanence des représentations antiques dans ce domaine ; elles sont cependant réappropriées par chaque époque. Ainsi, Huarte propose six recommandations pour procréer un garçon :

La première, c’est de manger des viandes chaudes et sèches. La seconde, de faire en sorte qu’elles se cuisent bien dans l’estomac. La troisième, de prendre force exercice. La quatrième, de ne point s’employer à l’acte vénérien, que la semence ne soit bien cuite et bien assaisonnée. La cinquième, de voir la femme quatre ou cinq jours avant qu’elle ait ses purgations. La sixième, de faire en sorte que la semence tombe au côté droit de la matrice. Lesquels six points étant observés comme nous dirons, il est impossible qu’il s’engendre une fille227.

Le régime proposé par Huarte est basé sur la croyance que la semence prend les caractères des aliments ingérés. Il faut donc des aliments correspondants au tempérament masculin. Il précise d’ailleurs qu’il faut consommer rôties « poules, perdrix, tourterelles, etc. », ce qui n’est pas surprenant : les oiseaux sont des viandes « légères », qui « participent du monde de l’aérien, c’est-à-dire du léger, du subtil, de l’éthéré, du sec » et le rôti est « une cuisson sèche qui utilise l’air et non l’eau comme médiateur, une cuisson qui allie les qualités de l’air et celles du feu »228. Ces viandes sont faciles à digérer, rien ne s’oppose à la chaleur naturelle de l’estomac qui vient les cuire. L’exercice préconisé par Huarte a aussi pour but de dissiper l’excès d’humidité de la semence. Le délai préconisé pour obtenir une bonne semence est justifié par l’idée que les semences doivent être mûres et desséchées comme les graines pour pouvoir germer correctement229. Huarte préconise un rapport quelques jours avant les règles car : « L’enfant de sexe masculin aura aussitôt besoin de beaucoup de nourriture pour pouvoir s’alimenter. La raison en est que la chaleur et la sécheresse de son tempérament utiliseront et absorberont, non seulement le sang pur de sa mère, mais aussi les résidus »230. Sa dernière recommandation rejoint la théorie galénique qui établit que l’utérus est divisé en deux cellules, celle de droite fournit les garçons, celle de gauche les filles.

Ces croyances se retrouvent quasiment à l’identique chez Quillet, qui paraphrase le texte de Huarte et s’inscrit également dans la tradition antique. Il conseille ainsi à l’homme de se lier le testicule gauche pour éviter que sa semence destinée à former des filles ne vienne contrarier la semence émise par le testicule droit, qui forme les garçons. Cette pratique est soit disant inspirée de ce que font les éleveurs avec les taureaux231.

224 Voir le début du chapitre II sur les théories de la génération.

225 Beaucoup de règles rappellent celles, plus générales, de la conception (l’âge des époux, le climat, la continence, le moment opportun, etc.).

226 Voir Héritier (Françoise), Masculin/Féminin, la pensée de la différence…, op.cit. et Levi-Strauss (Claude),

Mythologies, I, Le cru et le cuit, Paris, Plon, 1964.

227 Bénard (Jean-Claude), « Fille ou garçon à volonté… », art. cit., p. 66.

228 Ibid.

229 Fischer (Jean-Louis), L’art de faire de beaux enfants, op. cit., p. 90.

230 Ibid.

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Venette énonce aussi dans son Tableau de l’amour conjugal six règles pour engendrer à volonté des filles et des garçons. Trois d’entre-elles (les règles deux, trois et quatre) sont exactement les mêmes que celles de Huarte. Il ajoute qu’il faut éviter de procréer quand on est trop jeune ou trop vieux (première règle), « la chaleur naturelle est trop faible dans les premiers pour cuire et perfectionner la semence ; les dernier sont trop languissants, et la glace de leur âge s’oppose à l’abondance et à la chaleur des esprits qui doivent contribuer à former un garçon ». A la différence de Huarte, sa cinquième règle postule :

L’expérience m’a fait encore remarquer que, si les femmes qui ont des règles modérées, conçoivent après leur écoulement, elles font, pour l’ordinaire, des garçons ; mais si elles ont des règles abondantes, et qu’elles engendrent avant que ces règles paraissent, ou dès qu’elles finissent, elles font toujours des filles… Car les femmes qui ont abondamment leurs règles, étant d’un tempérament plus humide que les autres, elles ne peuvent produire en elles-mêmes de semence propre à faire un garçon, puisque la complexion de leur corps et de leur chaleur est opposée à la génération d’un mâle232

.

Sa sixième règle prétend que les gens du Midi procréent moins de garçons que ceux du Nord, car « la chaleur des pays méridionaux diminue insensiblement la chaleur naturelle »233. Tous ces préceptes s’inscrivent dans la continuité de la tradition antique, et le succès des ouvrages de Quillet et de Venette contribuent à diffuser ces idées auprès du plus grand nombre.

Les ouvrages qui paraissent ensuite sur ce sujet jusqu’à la fin du XIXème siècle n’innovent plus guère et les recycle largement. Michel Procope-Couteau publie ainsi en 1748 un Art de faire des

garçons ou nouveau tableau de l’amour conjugal234 qui reprend les idées de Gallien et de ses prédécesseurs. Il considère : « [qu’]un des testicules ne servait qu’à faire des mâles, l’autre des femelles, et qu’il en était ainsi des ovaires (…). La femme peut diriger (la semence) vers celui de ses ovaires qui lui plait. Elle n’a qu’à se pencher toujours de son côté lorsqu’elle travaille à devenir mère ». Cependant, il s’interroge : « Quel est l’ovaire, quel est le testicule destiné pour les produire ? C’est ce que je ne sais pas encore trop bien moi-même »235. Jacques-André Millot déclare le savoir dans L’art de procréer les sexes à volonté ou histoire physiologique complète de la génération

humaine (1801)236. Il affirme que ce n’est pas l’homme, mais la femme qui détermine le sexe. Croyant

à la préexistence des germes ovistes, il pense que l’ovaire droit contient les germes garçons et l’ovaire gauche ceux des filles. Pour que l’un de ces germes soit fécondé par la semence de l’homme, il faut pencher la femme du bon côté : « quand on veut un garçon, il faut poser la main sous la hanche ou la fesse gauche, pour donner l’inclinaison qui détermine la liqueur à se porter du côté droit »237. Mais il insiste bien sur le fait qu’il ne faut pas mettre sa femme totalement sur un côté, ce qui surélève trop les hanches féminines et aboutit au contraire du résultat espéré. Si la femme est « d’à plomb sur ses reins », il est possible de féconder les deux ovaires et de produire des jumeaux des deux sexes. Si les jumeaux sont du même sexe, c’est qu’ils proviennent du même ovaire238

. Il rapporte plusieurs cas de son expérience de médecins qui valident sa théorie : « Je certifie que depuis la connaissance des ovaires que j’ai citée plus haut, j’ai toujours obtenu et fait obtenir à volonté le sexe désiré »239

. Ces idées sont reprises à l’identique par Robert le Jeune dans son Essai sur la mégalanthropogénésie…240 ou par Morel de Rubempré dans Les secrets de la génération ou l’Art de faire des garçons ou des filles

à volonté241.

232 Bénard (Jean-Claude), « Fille ou garçon à volonté… », art. cit., p. 67.

233 Ibid., p. 68.

234 Procope-Couteau (Michel), L’art de faire des garçons…, op. cit., 1755.

235 Bénard (Jean-Claude), « Fille ou garçon à volonté… », art. cit., p. 68.

236 Millot (Jacques-André), L’art de procréer les sexes à volonté ou histoire physiologique complète de la

génération humaine, Paris, An IX (éd. utilisée, chez Béchet, 1828).

237 Ibid., pp. 301 et sq.

238 Ibid

239 Ibid.

240 Robert le Jeune (Louis Joseph Marie Robert), Essai sur la mégalanthropogénésie ou l’art de faire des enfants

d’esprit qui deviennent de grands hommes, suivi des Traits physiognomoniques déduits par Lavater et du meilleur mode de génération, Paris, 1801).

241 Morel de Rubempré (J.), Les secrets de la génération ou l’Art de procréer des garçons et des filles à volonté, Paris, 1824 (éd. utilisée Les secrets de la génération ou l’Art de procréer à volonté des filles ou des garçons, de

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Frontispice de l’ouvrage de Morel de Rubempré,

Les secrets de la génération ou l’art de procréer à volonté des filles ou des garçons…, 1840.

Debay semble apporter des explications nouvelles avec La Vénus physique ou nouvelle théorie de la

procréation des sexes à volonté242. Pour lui, la détermination du sexe :

dépend exclusivement des qualités de l’œuf et du sperme. Ces qualités se traduisent pas les diverses proportions d’azote contenues dans les matières dont les œufs et le sperme sont formés. Le sperme il à un degré supérieur d’azotation, le produit sera mâle. Le sperme est-il à un degré inférieur d’azotation, le produit sera femelle… Les moyens que nous proposons se trouvent dans le régime alimentaire et dans l’hygiène243

.

En fait, sous un propos qui se veut moderne, on retrouve les « nourritures chaudes et sèches » qui servent à procréer des garçons et l’exercice physique qui évacue l’humidité du corps.

Il serait trop long de citer tous les autres auteurs qui, jusqu’au début du XXème

siècle (et même après…), s’inspirent plus ou moins de ce fond de croyances, ils sont trop nombreux. Dans la plupart des cas, on retrouve le rôle joué par l’âge des parents, la force supérieure ou inférieure des générateurs, l’influence du régime, etc. S’utilisant beaucoup les uns les autres, parfois jusqu’au plagiat, les médecins ne font finalement que ressasser l’Antiquité en prétendant énoncer de nouvelles théories244.