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La nécessité du diagnostic

Outre la satisfaction d’une légitime curiosité, établir la réalité d’une grossesse est dans certains cas une impérieuse nécessité. Déjà à l’époque moderne, les médecins mettent en garde contre les conséquences catastrophiques des erreurs de diagnostics. Mauriceau rapporte ainsi :

qu’il ne s’est que trop vu de pauvres femmes qu’on a fait avorter en les médicinant et saignant, ne les ayant pas crues grosses d’enfant ; ce sont autant d’homicides que font ceux qui en sont cause par leur ignorance ou témérité. Outre la mort qu’ils donnent souvent à ces petites créatures innocentes, ils les privent de la félicité éternelle en les faisant mourir au ventre de leur mère sans recevoir le baptême260.

L’incertitude en matière de grossesse pose aussi problème dans certaines affaires de droit criminel. En effet, les femmes condamnées à mort voient leur peine suspendue en cas de grossesse jusqu’à l’accouchement. Cette disposition existe depuis le droit romain et est réaffirmée à plusieurs reprises par la législation française261 . En effet, si un fœtus est repéré dans la matrice, notamment grâce à ses mouvements, c’est qu’il est animé et donc doté d’une âme ; il ne faut donc pas risquer de tuer un innocent non baptisé en exécutant la mère. Il est donc indispensable que les condamnées soient examinées par un praticien, notamment parce que certaines femmes cherchent à éviter le châtiment en se faisant passer pour grosse :

Il ne faut pas aussi que le chirurgien se fie tant à ce que lui peuvent dire ces sortes de femmes, qui ont peur d’être condamnées pour quelque délit qu’elles ont commis, d’autant que pour avoir quelques délais de leur punition, elles disent presque toutes qu’elles sont grosses262. Les risques d’erreurs sont cependant importants et un certain nombre de scandales après l’exécution de femmes, pourtant enceintes, ont marqué les esprits. Ainsi Mauriceau rapporte, dans son traité, deux exemples de femmes pendues pour vol et qu’on n’avait pas crues grosses, alors qu’elles étaient enceintes de quatre et cinq mois, la vérité ayant été révélée lors d’une dissection publique à l’issue de l’exécution263. Ces cas servent d’avertissement encore aux siècles suivants pour les médecins ou les juristes qui appellent à la prudence ceux qui doivent juger de l’état des femmes condamnées. On peut cependant être surpris que ce genre de fait ne se soit pas relayé plus souvent264.

Au XIXème siècle, les médecins restent conscients des enjeux autour du diagnostic de grossesse. En 1860, Jean-Baptiste Casassus rappelle les différentes raisons qui poussent les femmes à consulter des praticiens de santé pour dissiper leurs doutes : « Le plus souvent la décision qu’elles

260 Mauriceau (François), Traité des maladies des femmes grosses…, op. cit., 1681, p. 68.

261 Deux arrêts royaux – celui du 30 octobre 1536, et celui du 28 mars 1637 – définissent l’attitude des juges vis-à-vis des femmes enceintes. Ils défendent de forcer une femme ayant déclaré sa grossesse à révéler le père de l’enfant, et en général, de procéder criminellement contre elle. L’ordonnance criminelle de 1670 confirme ces dispositions :

Si quelque femme devant ou après avoir été condamnée à mort, paraît ou déclare être enceinte, les juges ordonneront qu'elle sera visitée par des matrones qui seront nommées d'office, et qui feront leur rapport dans la forme prescrite au titre des experts, par notre ordonnance du mois d'avril 1667 : et si elle se trouve enceinte, l’exécution sera différée jusques après son accouchement.

Ordonnance criminelle du mois d’août 1670, faite à Saint-Germain-en-Laye, enregistrée par le Parlement de

Paris le 26 août 1670, entrée en vigueur au 1er janvier 1671. Cette dispositione est reprise par le Code civil en 1810.

262 Mauriceau (François), Traité des maladies des femmes grosses…, op. cit., 1681, p. 69.

263 Ibid., pp. 68-69 ; voir l’analyse détaillé d’un de ces deux cas dans l’article de Mc Clive (Cathy), « The Hidden Truths of the Belly… », art. cit., pp. 211-214.

264 C’est peut-être parce que les cas n’ont pas forcément été enregistrés dans des sources parvenues jusqu’à nous ; la médiatisation du cas de 1666 tenant beaucoup à sa révélation lors d’une dissection publique.

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demandent leur serait utile pour régler leur conduite »265, en particulier quand il s’agit de nourrices qui sont censées arrêter d’allaiter en cas de grossesse ou si elles sont malades, car il faut faire attention aux remèdes prescrits. La médecine légale et la justice ont aussi intérêt, dans certaines circonstances, à pouvoir certifier une grossesse266. En effet, « il est beaucoup d’occasions où les femmes ont intérêt de feindre une grossesse. L’espoir d’un mariage, celui d’obtenir une somme d’argent »267, également dans les cas d’héritage si le père supposé de l’enfant est mort. Mais la nécessité, ressentie par tous, d’établir un diagnostic précis et précoce de la grossesse, bute souvent sur la réalité ….

Les femmes et les médecins face à l’incertitude de la grossesse

Si Jürgen Schlumbohm semble faire état d’une certaine précision dans le diagnostic féminin de la grossesse dans le contexte particulier de la maternité de Göttingen268, la plupart des historiens soulignent plutôt l’incertitude prolongée concernant la réalité d’une grossesse autrefois. Contrairement à aujourd’hui, le diagnostic est rarement brutal. Les signes les plus communs : ventre gonflé, arrêt des règles et mouvements fœtaux, sont souvent peu clairs ou peuvent avoir d’autres causes, ce qui prolonge le doute parfois assez longtemps. Les femmes utilisent d’ailleurs parfois cette incertitude pour tenter de camoufler un crime lorsqu’elles sont notamment accusées d’avortements ou d’infanticide269.

On ne peut cependant pas considérer que l’incertitude n’est qu’une construction mentale des accusées ou une stratégie délibérée des femmes pour échapper à la rigueur de la loi270. Cette idée est partagée par l’ensemble des femmes et les praticiens de la naissance reconnaissent eux-mêmes assez volontiers la difficulté à établir la certitude de la grossesse. Comme le souligne Nicolas Venette : « La plupart des signes de la grossesse sont équivoques et tous les bons praticiens conviennent de leur incertitude, surtout dans les premiers mois »271. Cathy Mc Clive rapporte un exemple qui montre l’ampleur de la confusion de certains diagnostics médicaux. Il s’agit du cas porté devant la justice et détaillé dans un factum de 1703 de Michelle Mabille, suspectée d’infanticide devant le tribunal de Vert, près de Chartres272. Malgré les multiples visites de sages-femmes, de médecins et de chirurgiens assermentés, aucun consensus ne se dégage des différents rapports, certains la déclarant enceinte, d’autres ne percevant aucun signe clair de grossesse. Même le voisinage est invité à témoigner et produit des déclarations contradictoires. L’accusée finit par être innocentée, le tribunal jugeant qu’en l’absence de perception de mouvements fœtaux, il ne devait pas y avoir de grossesse et donc pas d’infanticide. Les auteurs du factum concluent que l’état de Michelle Mabille résulte d’un accident naturel ressemblant à une grossesse et que l’accusée elle-même a pu être abusée sur son état par certains signes équivoques273.

265 Casassus (J.-B.), Des signes de la grossesse…, op. cit., 1860, chap. I, « Généralités sur l’importance des signes de la grossesse ».

266 Les chapitres de médecine légale sont particulièrement étoffés en ce qui concerne le diagnostic de grossesse ; voir par exemple l’article de Marc, « Grossesse, médecine légale », dans le Dictionnaire des Sciences médicales, Paris, Panckoucke, t. 19, 1817, pp. 488-546.

267 Casassus (J.-B.), Des signes de la grossesse…, op. cit., 1860.

268 Jürgen Schlumbohm a travaillé sur 1 300 cas de femmes enceintes ou en couches répertoriés dans les cahiers du directeur de la maternité de Göttingen, Fridriech Osiander.

269 Voir infra dans ce chapitre le paragraphe consacré aux fausses grossesses.

270 Mc Clive (Cathy), « The Hidden Truths of the Belly…», art. cit., p. 211.

Voir aussi Gowing (L.), “Secrets Births and Infanticide in Seventeenth-Century England”, Past and Present, 156, 1997, pp. 87-115.

Encore aujourd’hui, malgré progrès médicaux et la prétendue « transparence » du ventre féminin, on reconnaît de plus en plus la possibilité de grossesses incertaines ou ignorées. Voir notamment l’ampleur prise par la question du déni de grossesse depuis l’affaire Véronique Courjault, accusée d’infanticides sur plusieurs de ses nouveaux-nés.

271 Venette (Nicolas), Tableau de l’amour…, op. cit., éd. 1751, Chap. III : « S’il y a de véritables signes de grossesse ».

272 A Nosseigneurs de Parlement en la Chambre de la Tournelle Criminelle, Paris, 1703 ; cité par Mc Clive (Cathy), « The Hidden Truths of the Belly…» art. cit., pp. 217-218

273 Ce genre de cas pose cependant la question de la nature de l’examen pratiqué sur les femmes enceintes par les praticiens assermentés ; y avait-il vraiment un toucher interne ou seulement un examen externe ? ; voir Mc Clive (Cathy), « The Hidden Truths of the Belly…», art. cit., p. 213 ; id., « Blood and Expertise: The Trials of the

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Les praticiens de la naissance rapportent également assez souvent dans leurs écrits leurs erreurs de diagnostic ou celles de leurs confrères. Le diagnostic s’avère particulièrement délicat dans les cas où la femme croit être enceinte mais le médecin ne réussit pas à certifier la grossesse ou alors il se trompe274. Les archives de l’Académie royale de Chirurgie comportent plusieurs exemples évocateurs pour le XVIIIème siècle275. Le chirurgien Rivière rapporte notamment le cas d’une femme de quarante cinq ans, mariée depuis quatorze ans, bien réglée et sans enfant. En septembre d’une année non précisée, elle remarque une légère diminution de ses règles, ainsi que des symptômes de début de grossesse : dégoûts, nausées, faiblesses, etc. En octobre, les symptômes s’accentuent et les seins augmentent de volume. En novembre, elle a encore des règles mais beaucoup moins abondantes. La situation se prolonge jusqu’en mars où elle n’a presque plus de règles. Fin mars, un médecin l’examine et, trouvant du lait dans les mamelles, conclut à une grossesse. La femme affirme sentir son enfant remuer depuis deux mois :

Elle sentait son enfant cinq ou six fois pendant le jour ou la nuit, un mouvement extraordinaire dans son ventre, surtout quand elle était couchée. Je lui dis encore que ce mouvement devait être plus fort actuellement que dans les premiers temps qu’elle l’avait senti, mais elle m’assura qu’elle n’y trouva aucune différence. La continuation de ses règles, quoique réduites à presque rien la faisait espérer d’une grossesse qu’elle souhaitait avec autant d’ardeur que son mari. Enfin, pour satisfaire l’un et l’autre, il fallut en venir à une visite plus exacte276

.

Le médecin pratique donc un toucher du ventre et du col et sent une grosseur qui lui fait conclure avec certitude à une grossesse ; il prévoit l’accouchement vers la mi-juin. Vers le 10 juin, la femme ressent des douleurs, mais n’accouche pas et sent toujours des mouvements dans son ventre. Le médecin qui l’examine ensuite pense que la présence de plusieurs tumeurs dans l’utérus ont conduit à l’arrêt graduel des règles, à la tuméfaction du ventre et aux mouvements ; il conclut donc à une fausse grossesse et l’article se termine sans que l’on sache qu’elle en a été l’issue pour la femme. D’autres exemples abondent dans la littérature médicale, notamment concernant des femmes considérées comme enceintes alors qu’elles n’étaient qu’hydropiques ou enflées par des vents277

.

Il existe aussi des cas où la grossesse n’est pas diagnostiquée jusqu’à l’accouchement, la femme cachant parfois volontairement sa grossesse, sans que son entourage ni le médecin ne s’aperçoivent de rien. Ainsi Mauriceau rapporte le cas d’une fille de bourgeois en 1654 :

[Elle] fut traitée pendant cinq mois entiers, par un médecin et un apothicaire, comme hydropique qu’elle se disait être ; à la fin duquel temps, après avoir pris beaucoup de remèdes violents qu’ils lui ordonnèrent, elle guérit tout d’un coup en accouchant d’un enfant à terme, nonobstant tout ce qu’ils lui avaient donné ; ce qui étonna grandement le médecin et l’apothicaire, qui s’étaient ainsi lourdement trompés278.

Encore à la fin du XIXème, les erreurs de diagnostic n’ont pas disparu et Pinard lui-même conclut que « la preuve sans réplique, c’est la naissance même de l’enfant »279. L’incertitude et l’ambiguïté sont donc une part intrinsèque et largement reconnue du processus de la grossesse tel qu’on se le représente à l’époque moderne et encore largement au XIXème

siècle.

Si le diagnostic importe autant, c’est aussi car il est essentiel de distinguer la « vraie » de la « fausse grossesse ».

Female Medical Expert in the Ancien Regime Courtroom », Bulletin of the History of Medicine, 2008, 82, pp. 86-108.

274 J. Schlumbohm rapporte plusieurs exemples de diagnostics problématiques mentionnés par Osiander ; il s’agit de jeunes femmes venues consulter à l’hôpital et se déclarant enceintes, ce que le médecin finira par infirmer, mais parfois plusieurs semaines plus tard seulement ; Schlumbohm (Jürgen), « Les limites du savoir… », art.

cit., pp. 5-7.

275 A.R.C., carton 17, dossier 5 (Académie de Médecine) :

- « Observation sur une grossesse incertaine », Poirier, 1740, n° 93. - « Observations sur une fausse grossesse », Papatel, 1775, n° 94. - « Mémoire sur une fausse grossesse », Rivière (Deleurye), n° 95.

276 Ibid. cas n°95.

277 Mauriceau (François), Traité des maladies des femmes grosses…, op. cit., 1681, p. 71, cité dans le Chap. VI.

278 Ibid., p. 70.

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b.

« Vraie » et « fausse » grossesse

Une préoccupation ancienne et omniprésente à l’époque moderne

Cette préoccupation, qui a quasiment disparu aujourd’hui, est très répandue depuis l’Antiquité280. Elle est omniprésente à l’époque moderne, tant dans l’imaginaire et le discours médical que dans les croyances populaires.

En effet, cette question est abordée dans tous les traités et dictionnaires des XVIIème et XVIIIème siècles et fait l’objet de chapitres et d’articles particuliers, parfois forts étoffés281. Certains praticiens consacrent à ce sujet un ouvrage entier. Charles de Saint-Germain publie ainsi en 1651 un

Traité des fausses couches, enseignant la nature des faux germes, embryons, avortons et môles282.

L’ampleur de la littérature sur ce thème tient à la difficulté de décrire, distinguer et d’expliquer ces phénomènes. Ainsi, à l’article « Gravitas, grossesse » de sa Nosologie méthodique, Boissier de Sauvages distingue : la Graviditas vera (la grossesse vraie), mais aussi la Gravitas molaris (grossesse due à des môles), la Gravitas vesicularis (grossesse liée à une masse hydateuse), la Gravitas a falsa

mola (grossesse causée par une fausse môle), ainsi que la Gravitas sarcoma (grossesse due à une

excroissance adipeuse dans la matrice). Il y ajoute également la Gravitas perennis (grossesse prolongée) et la Gravitas tubalis (grossesse extra-utérine)283. Cette énumération de cas distincts de la vraie grossesse, qui occupe quand même les deux tiers de l’article, montre que les médecins cherchent à différencier et à classer toutes les choses qui peuvent se développer dans l’utérus et qui ne sont pas un fœtus : morceaux de chair, produits de la conception qui ont dégénéré, etc. Un vocabulaire spécifique désigne ces éléments abrités par la matrice : les termes qui reviennent le plus souvent sont : môle, faux germe, fungus, masse hydatideuse. Mais ce qu’ils désignent reste souvent incertain et les différents types de conception sont difficiles à différencier. En outre, selon les médecins, les définitions et les explications de ces phénomènes divergent souvent284. Même Boissier de Sauvages

280 Mc Clive (Cathy), King (Helen), « When is a fœtus not a fœtus ? Diagnosing false conceptions in Early Modern France », dans L’embryon humain à travers l’histoire…, op. cit., pp. 223-238.

281 Il serait trop long et un peu hors de propos de rentrer dans les détails de ces descriptions et de ces explications. Nous renvoyons aux passages concernés chez quelques auteurs :

- Mauriceau (François), Traité des femmes grosses…, op. cit., 1681, Livre I, Chap. X : « De la mole et du faux-germe », pp. 104-112 ; Chap. XXIII : « De l’hydropisie de matrice », pp. 169-172.

- Dionis (Pierre), Traité général des accouchements…, op. cit., 1718, Livre II, Chap. I, « De la bonne et de la fausse grossesse », pp. 121-129 ; Chap. XV, « Du faux germe », pp. 175-179 ; Chap. XVI, « De la mole », pp. 179-183.

- Puzos (Nicolas), Traité des accouchements, op. cit., 1759, Chap. VI : « Des diverses sortes de grossesse. De la bonne grossesse », pp. 67-72 ; Chap. XIX « Des mauvaises grossesses », pp. 196 et sq.

- Le Boursier du Coudray (Angélique), Abrégé de l’art des accouchements…, op. cit., 1759, Chap. IX, « Du faux germe et de la mole » pp. 38 et sq.

- Astruc (Jean), Traité des maladies…, op. cit., 1770, Chap. V, « Des fausses conceptions », pp. 230-258 ; Chap. XVII : « De la môle », pp. 186 et sq.

- Article « Môle », Encyclopédie… op. cit., t., X, 1765, pp. 626-627.

- Chambon de Montaux (Nicolas), Des maladies de la grossesse…, op. cit., 1785, Chap XXIX : « Des môles », pp. 293-352.

- Baudelocque (Jean-Louis), Principes sur l’art des accouchements…, op. cit., 1787, Chapitre III, « De la grossesse, de ses différentes espèces et des signes qui la font reconnaître », pp. 94-112 ; Art. IV : « Des fausses grossesses, de leurs signes et de leurs suites », pp. 530-539.

Ce sujet est un thème fréquemment abordé dans les archives de l’Académie royale de Chirurgie, conservées à l’Académie de médecine ; par exemple dans le carton 18, dossier 6, n° 97 : « Grossesse extraordinaire d’un faux germe ou mole » : pendant dix neuf pages, M. Mothe, chirurgien de Lyon, raconte qu’après une foule de symptômes nombreux et extrêmes survenus pendant sept mois, une femme accouche d’un mole « plus grosse qu’un pain de deux livres ».

282 Saint-Germain (Charles), Traité des fausses couches, enseignant la nature des faux germes, embryons,

avortons et môles, les accidens qui précèdent et accompagnent les fausses couches, le pronostic, les precautions, et les remedes necessaires pour assister et secourir les femmes, Paris, Cardon Besogne, 1651.

283 Boissier de Sauvages (François), Nosologie méthodique, Lyon, Gouvion, 1772, t. 9, Chap. X, « Gravitas, grossesse », pp. 154-167.

284 Beaucoup de médecins se rapportent au traité sur les môles de Lamz Weerde, médecin de Cologne, paru en 1686 et qui a pour titre Historia naturalis molarum uteri.

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n’est pas très clair dans ses catégories de « fausses grossesses ». Ainsi, à l’article Gravitas molaris, il indique :

Les concrétions charnues qui se forment dans la matrice sont ou de faux germes, ou des œufs qui n’ont point acquis leur maturité, ou des môles, ou des fungus. Les faux germes sont des placentas épais, fermés de toutes parts en forme de poire, qui ne renferment que de l’eau, et dans lesquels il n’y a point d’embryon, petit et informe. (…) La môle enfin est une masse charnue ou hydatideuse, formée par l’accroissement du placenta pendant plusieurs mois, sans aucun embryon285.

Plus loin, à l’article « Gravitas vesicularis », il emploie encore le terme de « masse hydateuse » qu’il ne distingue guère de la môle. Chaque médecin a une typologie plus ou moins personnelle de ces « fausses grossesses »286, mais on retrouve souvent les cas distingués par Dionis. Ce dernier considère que « la mauvaise grossesse est celle où il n’y a que des corps étrangers formés dans la matrice » ; à savoir : « des eaux qui font une hydropisie de matrice, « des vents », « un faux germe qui est une conception manquée », « une môle qui est une masse de chair » souvent composée d’« une infinité de vésicules remplies d’eau, attachées les unes aux autres, qui font un corps semblable à plusieurs grappes de raisin liées ensemble »287. La môle est censée être plus volumineuse288, plus dure et plus difficile à extraire que le faux germe. Elle passe pour n’être « qu’un faux germe que la matrice n’a pas expulsé dans le temps de la sortie ordinaire du faux-germe »289. Elle peut parfois prendre des formes inquiétantes, que l’imagination des spectateurs a tôt fait d’assimiler à des créatures variées selon son apparence (animal, végétal, etc.). Elle est redoutée par les médecins car cette masse de chair peut croître pendant plusieurs mois et rester parfois en place des années, avant d’être souvent expulsée avec de grands risques hémorragiques et de cancérisation. Elle peut aussi entrainer la stérilité.