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Au XIX ème siècle

A. L ES PRATIQUES POPULAIRES 1. Favoriser la fécondité

Afin d’éviter la stérilité, des mesures « préventives » existent dans la société traditionnelle pour favoriser la fécondité274. Elles nous sont principalement connues par les sources ethnographiques, recensées notamment par les folkloristes du XIXème siècle, à un moment où ces croyances séculaires s’affaiblissent. Auparavant, les sources sont rares ; à la fois à cause des intéressés eux-mêmes, qui taisent leurs pratiques, et des autorités ecclésiastiques, soucieuses de lutter contre ces survivances païennes et de ne pas donner l’exemple275. Les informations recueillies sont très marquées socialement, puisqu’elles concernent principalement les populations rurales ; elles sont également difficilement datables.

Les rites de fécondité le jour des noces

Nous ne nous attarderons pas sur les rites antérieurs au mariage auxquels se soumettent les jeunes filles en quête d’un époux, mais plutôt sur les rites pratiqués lors du mariage. La plupart ont davantage pour objet la procréation que la sexualité du couple et ils concernent surtout la femme. Les futurs mariés attendent de cette célébration une protection contre les sources de stérilité et d’impuissance ainsi qu’une assistance pour procréer une belle descendance. Ces rites sont si nombreux et variés qu’il est difficile d’en faire une étude exhaustive ; nous mentionnerons seulement les plus courants et les plus significatifs.

L’offrande de céréales à la femme ou au couple fait partie des rituels incontournables des épousailles et se perpétue encore aujourd’hui dans les poignées de riz jetées sur les mariés à la sortie de l’église ou de la mairie. Les grains de céréales, symboles même de la fécondité, évoquent les fruits de la terre et ceux que la femme porte dans son ventre, montrant bien le lien étroit entre le monde végétal et le corps féminin. Une coutume corse du XIXème siècle est particulièrement éloquente : « Après la cérémonie mais avant le repas de noces, les femmes éloignaient les hommes et les enfants ;

272 Comme le souligne Françoise Loux, « entre ces deux aspects du symbolique – de l’ordre des prières ou des guérisseurs – et ce qui est plus purement médical, il n’y a pas d’opposition. Il s’agit, certes, de deux registres différents, mais un certain type de recours n’exclut pas l’utilisation de l’autre. Au contraire (…) les deux types de renforcent naturellement » ; Loux (Françoise), Pratiques et savoirs populaires…, op. cit., p. 148.

273 Nous n’avons pas prétention de mener une étude complète sur la stérilité aux XVIIIème et XIXème siècles, notamment sur le plan médical. Nous avons exploité les références sur la stérilité accessibles dans notre corpus d’écrits médicaux (traités d’accoucheurs, dictionnaires médicaux, etc.) sans faire le tour de toutes les publications existant sur la question. D’autres références sur ce sujet sont accessibles dans l’ouvrage d’Elsa Dorlin, La matrice de la race …, op. cit. pp. 63-65.

274 Ce passage doit beaucoup aux travaux de Jacques Gélis, en particulier L’arbre et le fruit…, op. cit., Partie I, chap. III, « Quand l’enfant tarde », pp. 51-79.

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puis chacune d’elle prenait une poignée de froment qu’elle versait sur la tête de l’épousée en chantant une strophe où elle lui souhaitait d’avoir sans douleur des enfants mâles ; puis la jeune femme était conviée à s’asseoir sur une mesure remplie de blé, le corps en contact avec la semence »276. L’utilisation des céréales peut se faire sous la forme d’un rituel d’aspersion277

, mais elles sont aussi parfois distribuées par la femme aux participants à la noce, signifiant par-là les liens étroits entre la fécondité individuelle et collective. Autre pratique proche : le rituel de partage de bouillies céréalières ; le millet est ainsi souvent servi en bouillie aux repas de mariage. En Alsace, encore au début du XXème siècle, le plat se consomme pendant la soirée précédant la noce.

Une importance particulière est souvent accordée au chou dans les rites de fécondité278. Il intervient ainsi dans de nombreuses coutumes le jour du mariage. La cérémonie de l’arrachage du chou, connue dans plusieurs régions de France, est également évoquée par George Sand dans La Mare

au Diable. Dans une véritable « comédie » où les acteurs sont déguisés, un « jardinier » et une

« jardinière » se rendent en procession chez la mariée avec toute la noce pour arracher le plus beau chou du potager. Il est ensuite planté dans une corbeille entourée de terre fraîche, de branches et de rubans, puis, après avoir franchi bien des obstacles, il est placé au plus haut de la maison du marié et arrosé de vin. La même cérémonie a lieu dans le jardin du nouvel époux et le deuxième chou est juché sur le toit de la maison que la nouvelle mariée vient de quitter. George Sand précise :

Ces trophées restent là jusqu’à ce que le vent et la pluie détruisent les corbeilles et emportent le chou. Mais ils y vivent assez longtemps pour donner quelque chance à la prédiction que font les anciens et les matrones en le saluant : « Beau chou, vis et fleuris afin que notre mariée ait un petit enfant avant la fin de l’année, car si tu mourais trop vite, ce serait un signe de stérilité, et tu serais là-haut sur sa maison comme un mauvais présage279.

Une survivance de ces pratiques associant chou et enfant né ou à naître s’observe aujourd’hui dans les pièces montées chargées de choux des mariages ou des baptêmes280. Le chou est en effet riche de significations symboliques. Plante omniprésente dans les jardins paysans, particulièrement dans certaines régions comme en Alsace, le chou est associé au sexe féminin et à l’utérus gravide car il s’arrondit progressivement « feuille après feuille »281

: on ne dit donc pas par hasard « naître dans un chou ». Par analogie, il représente aussi le petit enfant, dont il a la grosseur. Le langage populaire regorge d’ailleurs d’expressions imagées associant l’enfant au chou : « un beau bout de chou », « mon chou », « mon trognon », « chouchouter »282. La célèbre chanson enfantine « Savez-vous planter les choux » se révèle ainsi beaucoup plus osée qu’il n’y paraît au premier abord… La culture et la cueillette du chou renforcent encore le parallèle avec le nourrisson. Ainsi, en Alsace le chou quintal est récolté en automne, après neuf mois de culture et il sort la tête en avant, à la différence des autres légumes. Sa récolte en automne coïncide également avec un pic de naissances dans les familles paysannes, la plupart des conceptions ayant lieu en janvier. On dit donc aussi dans la région « attendre ou recevoir un enfant aux choux ». En outre, le ramassage du chou présente des similitudes avec l’accouchement. Ainsi, les femmes chargées de la cueillette, appelées « matrones », font tournoyer dans la main le chou sur lui-même pour briser sa base, ce qui évoque le geste de la sage-femme tirant la tête de l’enfant au moment de la naissance. Une fois détaché, le trognon du chou est coupé à l’aide d’une serpe, rappelant la section du cordon ombilical du nouveau-né. Ces correspondances sont encore renforcées par l’usage qui est fait du chou dans la médecine populaire. En effet, la consommation de

276 Gubernatis (Angelo de), La Mythologie des plantes, ou les légendes du règne végétal, Paris, 1882, t. II, p. 166.

277 Jocelyne Bonnet rapporte la pratique appelée « ensemencement », « semailles » ou « grenaison » : il s’agit de lancer du grenier, des fenêtres ou du haut des arbres alentour une pluie de graines de froment ou de millet. Elle interprète cette pratique comme un don aux Invisibles au nom de la vieille loi du « prendre et donner » : « en donnant des céréales ou leurs substituts symboliques sous la forme d’une pluie d’offrandes précédant le couple ou l’enfant, la famille entend recevoir en retour la prospérité et la santé nécessaires à la vie sur terre. Les offrandes prises par les Invisibles, morts ancestraux et entités supranaturelles, obligent ces derniers à donner, à rendre en retour la prospérité, la fertilité-fécondité nécessaire aux vivants » ; Bonnet (Jocelyne), La terre des

femmes…, op. cit., p. 96.

278 Bonnet (Jocelyne), « Naître dans les choux… », art. cit.

279 Sand (George), La Mare au diable, Paris, Maxi Livres, 2003, appendice IV, « Le chou », pp. 175-186.

280 Ibid.

281 Gélis (Jacques), L’arbre et le fruit…, op. cit., p. 50.

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ce légume était conseillée pour augmenter la production de lait de la future mère et accouchée ; la racine de chou cru passe aussi pour aider à expulser un fœtus mort. Outre cette symbolique rattachant le chou à la femme, ce légume est de manière plus générale un symbole de vie. En toute saison il y a un chou dans la terre du jardin paysan car on peut en récolter diverses variétés tout le long de l’année. Vert en toutes saisons, il est aussi le seul légume à profiter en hiver et cette permanence de vie en fait un symbole de vitalité éternelle.

Autre élément symbolique qui revient souvent dans les rites de fécondité des mariages : la poule blanche. Elle symbolise à la fois la virginité par sa couleur, mais aussi la fécondité car l’animal pond des œufs en quantité. Comme le chou, la poule est volée dans le jardin des parents de la mariée et promenée toute la journée avec la noce. Souvent maltraitée jusqu’à la faire crier, elle est censée témoigner des regrets de la jeune fille à ne bientôt plus être vierge. Une fois morte, la poule est généralement cuite le soir avec un chou et ce plat est servi aux mariés au lit dans la région de Castres283. L’association des deux éléments symboliques renforce la promesse de fécondité.

Ces divers rites destinés à favoriser la fécondité du couple associent donc souvent aliment et fonction sexuelle et reproductrice. Une correspondance analogique et symbolique s’établit en effet dans les mentalités paysannes entre l’acte sexuel et la cuisine – on l’a dit. Porter à boire ou à manger aux époux dans leur lit constitue un des rites nuptiaux les plus courants. Il s’agit souvent de soupes ou « rôties » constituées d’éléments nourrissants, comportant notamment du pain trempé dans du vin ou du bouillon, avec un assaisonnement plus corsé que d’habitude et souvent sucré284. En Alsace, c’est un vin chaud et épicé dans lequel on ajoute parfois de l’huile, du vinaigre et des cendres. En Berry, la Chichoune ou rôtie consiste en un vin chaud sucré trempé ou une soupe à l’ail ou à l’oignon épicée. Ce repas a pour mission de raffermir la force des époux et d’exciter leurs capacités reproductrices mais aussi, de manière plus symbolique, d’évoquer la consommation de l’acte sexuel à venir. Ces pratiques concernent plus particulièrement la femme, car la mariée doit subir un « façonnage culinaire » le jour de la noce pour que s’instaure le pouvoir de procréer285

: « la jeune femme apparaît au soir de ses noces comme l’initiée cuisinée, « assaisonnée », consommable, promue à l’art des cuisines nourricières et sexuelles »286.

Les rites de mariage comportent aussi parfois la coutume de briser des pots ou des cruches ; usage qui se pratique également à l’occasion de la naissance d’un premier enfant. Briser la vaisselle passe pour porter bonheur et augure du nombre d’enfants à venir pour la nouvelle mariée. On peut y voir aussi le symbole de la virginité perdue et celui du pouvoir de procréer. Briser la vaisselle maternelle signifie que la fille acquiert des attributs d’épouse et de future mère en détruisant le pouvoir génésique de sa mère, qui passe au rang des vieilles femmes. Le mariage apparaît bien comme un rite de passage où se transmet ce bien féminin qu’est la procréation287. D’autres rites de fécondité effectués le jour des noces font intervenir le pouvoir fécondant des sources, des fontaines ou des pierres dressées, ce qui les rapprochent des rites pratiqués pour conjurer la stérilité, évoqué ci-après.

Après quelques mois ou quelques années de mariage, si l’enfant vient à tarder, on s’inquiète et on s’interroge sur la possible stérilité du couple. Les XVIIIème

et XIXème siècles constituent une époque charnière pour la définition et l’explication de la stérilité. Les croyances anciennes tiennent une place

283 On dira aussi d’un couple qui a eu des rapports sexuels avant le mariage : « ils ont mangé le chou au pot » ; voir Bonnet (Jocelyne), « Naître dans les choux… », art. cit.

284 Ce repas symbolique était traditionnellement servi dans un bol ou une soupière. Il faut attendre la fin du XIXème siècle pour que soit introduit le « pot de chambre des mariés » et que le contenu du breuvage évolue, traduisant une évolution du sens de cette coutume ; voir Verdier (Yvonne), Façons de dire, façons de faire…, op.

cit., pp. 331 et sq.

285 Ibid., pp. 308-310 et pp. 323-324.

286 Bonnet (Jocelyne), Terres des femmes…, op. cit., p. 122.

287 Yvonne Verdier souligne aussi que dans certaines régions, comme dans le Lyonnais, la soupe épicée était servie aux mariés dans une tasse ébréchée ou un verre sale, « à l’image de l’organe, du « moule » plus ou moins hors d’usage de la mère. Partant, on peut avancer l’hypothèse sur le contenu du pot tel qu’il se présente dans la région : le vin aigre – comme le pain moisi qui l’accompagne – figurerait, telles des reliques, une faculté procréatrice pour le moins usée, passée, pourrissante. Mais il faut boire, et quelque chose de la fécondité maternelle est transmis, comme un levain, cette portion de pâte aigrie qui permet de régénérer de semaine et semaine la pâte nouvelle. Les filles tiendrait donc leur force procréatrice de leur mère, et cette propriété toute physique leur serait donnée : elle ne va pas de soi » ; Verdier (Yvonne), Façons de dire, façons de faire…, op.

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encore très importante et ne sont que partiellement et progressivement remplacés par de nouveaux savoirs.

2. La lutte contre la stérilité